Abraham Serfaty
Ancien prisonnier politique marocain.
« L’une des premières décisions de Mohammed VI, quelques semaines après son intronisation, a été d’autoriser mon retour d’exil. Ce moment où j’ai enfin été reconnu en tant que citoyen a été l’un des plus heureux de ma vie. » Après quinze mois de clandestinité, dix-sept ans de prison et huit ans de bannissement, l’un des plus célèbres opposants au régime d’Hassan II pouvait enfin tourner la page. C’était en septembre 1999. Aujourd’hui, Abraham Serfaty (80 ans) et son épouse Christine Daure coulent une paisible retraite à Marrakech, mais sans renoncer à la lutte politique. Depuis les attentats de Casablanca, en 2003, ils se montrent très préoccupés par la montée de l’islamisme.
Issu d’une famille juive de Tanger, Serfaty est diplômé de l’École des mines, à Paris. Très tôt rallié au marxisme, il participe activement à la lutte anticoloniale, comme il le raconte dans le film Un printemps 56. L’indépendance du Maroc, que vient de réaliser Frédéric Mitterrand. Au lendemain de l’indépendance, il occupe différents postes importants et, en 1960, devient directeur du développement au sein de l’Office chérifien des phosphates (OCP). Mais la brillante carrière à laquelle il paraît destiné connaît un brusque coup d’arrêt. En 1970, il fonde Ilal Amam, une organisation d’extrême gauche, ce qui lui vaut d’être emprisonné et torturé. Libéré, il entre dans la clandestinité.
À nouveau arrêté en 1974, il restera dix-sept ans en prison. Tout au long de sa détention, Christine, son épouse, de confession protestante (coopérante au Maroc, elle l’a caché quand il était dans la clandestinité et, en 1986, obtiendra l’autorisation de l’épouser en prison), ne cessera d’alerter l’opinion et les médias. En 1991, Serfaty est enfin libéré, mais déchu de sa citoyenneté marocaine et contraint à l’exil : le couple s’installe en France. De retour au Maroc en 1999, l’ex-opposant est nommé conseiller auprès de l’Office national de recherche et d’exploitation pétrolière (Onarep).
« Je n’ai fait que mon devoir »
Victime d’une maladie génétique aggravée par sa détention, Serfaty est contraint depuis plusieurs années de se déplacer en fauteuil roulant. Ce qui ne l’empêche pas de se mobiliser pour les causes qui lui tiennent à cœur : il participe à des manifestations, intervient dans des colloques et des conférences. Le reste du temps, il sort rarement de sa modeste villa dans le quartier Assif.
« Cette maison, nous l’avons achetée à crédit. Les traites courent jusqu’en 2008, Abraham a refusé l’indemnisation que lui proposait, comme à toutes les victimes des « années de plomb », l’Instance Équité et Réconciliation [IER] », précise son épouse. « Je n’ai fait que mon devoir et n’ai pas à être indemnisé pour cela. J’ai été rétabli dans mes droits, et ma retraite d’ancien cadre de l’OCP me suffit », confirme l’intéressé.
Bien sûr, il se réjouit des progrès réalisés par Mohammed VI en matière de liberté d’expression et, depuis la réforme de la Moudawana (le code de la famille), concernant la situation des femmes. Reste, selon lui, à régler la question berbère – composante essentielle de l’identité marocaine – et celle du Sahara occidental. Mais, sur ces deux points aussi, la politique royale lui paraît sur la bonne voie.
« Il est beaucoup moins offensif que dans d’autres pays, car l’esprit de tolérance prévaut chez les Marocains. En outre, le statut d’Amir al-mouâminine [Commandeur des croyants] du roi est le meilleur rempart contre une dérive extrémiste. » Le 20 avril 2006, Abraham, Christine et Aziz Binebine, l’un des rares rescapés du sinistre bagne de Tazmamart, doivent donner à l’École des hautes études en mana¬gement de Marrakech une conférence intitulée « Les chemins de la liberté ». Heureux que Tazmamart ait été récemment rasé par les autorités, il souhaiterait qu’un monument dédié aux victimes soit édifié sur le site. « L’espérance renaît, on avance dans le sens de la démocratie et de la modernité », juge-t-il. Abraham Serfaty est désormais un homme en paix.
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