Sarkozy condamné… à se changer lui-même

Les résultats des élections municipales le confirment : le chef de l’État a dilapidé une partie de son exceptionnel capital de confiance et d’autorité. S’il conserve de nombreux atouts, tout le problème est de savoir s’il saura, à l’avenir, les utiliser à

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Qu’on se rassure, à droite, d’avoir évité la « raclée » promise par un ministre prudemment anonyme, ou qu’on insiste au contraire, à gauche, sur l’ampleur des votes et abstentions sanctions, l’avertissement des élections municipales et cantonales ne sera pas sans frais pour le pouvoir. Le PS va maintenant viser les présidences des nouveaux conseils généraux pour élargir son emprise sur les départements, dont il contrôle déjà plus de la moitié, et consolider sa conquête de vingt des vingt-deux régions.
Encore n’est-ce pas le plus préoccupant pour la majorité gouvernementale, qui doit d’abord s’inquiéter de la première leçon immédiatement tirée du scrutin par Olivier Besancenot, le chef de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui promet « des mobilisations sociales victorieuses dans une situation riche en révoltes ». Nicolas Sarkozy a prudemment attendu que soit passé le deuxième tour pour dégager face au pays les enseignements du scrutin. « Il donnera une ligne forte », se borne à indiquer son entourage avec un laconisme qui traduit bien les sautes d’humeur successives du chef de l’État.

« Péripéties »
Tantôt il manifeste un dédain gaullien pour « ces péripéties », justifie son « hyperactivité » par le devoir de « réveiller un pays qui sommeillait », affirme qu’il « ne se laissera pas influencer par les sondages », tout en se reconnaissant une part de responsabilité dans leur menaçante évolution – « je ne m’exonère de rien ».
Tantôt il affirme qu’il tiendra compte de la signification des élections, concède des « erreurs et maladresses », et admet qu’il n’a pas su « gérer les événements intervenus » dans sa vie privée. Puis, dans un demi-aveu des insuffisances de son action, il s’engage à « réaliser après les municipales ce qu’il avait promis avant », ajoutant cette autocritique à peine déguisée : « Nous aurons à travailler tous ensemble. » C’était le slogan numéro un de sa campagne. Sur quoi il a entrepris, sitôt installé à l’Élysée, de tout faire par lui-même.
« J’ai changé », avait-il aussi publiquement confessé. S’il serait vain de le redire, il lui revient de le prouver. Sans rompre avec la rupture, il peut changer le changement. Édouard Balladur lui conseille d’« infléchir son style tout en conservant son originalité ». Là est en effet tout le problème. « C’est sa nature », remarque François Fillon chaque fois qu’il doit expliquer les conduites imprévisibles de son atypique président.
À quoi s’ajoute chez Sarkozy un côté « aimez-moi comme je suis, tant pis si ça dérange » qui n’arrange pas les choses. Il devra désormais suivre sa pente, selon le mot d’André Gide, « en la remontant ». Les sondages peuvent l’y aider s’il consent à entendre leurs reproches éloquents dans leur constance : Il « ne se contrôle pas assez » Il est « trop direct avec les gens » Il « ne respecte pas suffisamment la fonction présidentielle » Il « ne s’occupe plus en priorité de la hausse des prix » Et surtout, il « ne mène pas une politique efficace pour le pouvoir d’achat » Avec cette conclusion elle aussi générale : « Les choses ont tendance à aller plus mal. »
C’est le thème du livre-pamphlet de François Léotard au titre assassin : Ça va mal finir. Parce que cela a mal commencé. Il en augure un peu vite. Edgar Faure aimait à rappeler qu’en politique le pire n’est jamais sûr. Les réformes, dont Sarkozy entend « maintenir le cap », seront certes encore plus difficiles et périlleuses après neuf mois de dilapidation d’un capital exceptionnel de confiance et d’autorité. Mais elles deviendront d’autant plus nécessaires que les résistances seront plus vives.

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Fusible et paratonnerre
La politique du pouvoir, si elle est moins soutenue par l’opinion, n’est pas massivement rejetée, comme le montrent les succès électoraux des ministres-candidats. Sarkozy n’a pas soudainement perdu les qualités de détermination et les ressources d’énergie qui l’ont fait élire. Il conserve les énormes pouvoirs que lui donnent les institutions du régime, dût-il mieux les partager avec son Premier ministre. Il dispose avec Fillon d’un second loyal qui n’a pas seulement l’habileté politique mais le mérite moral d’accepter son rôle de maître d’uvre. Sa popularité ne gêne pas le président, elle le protège : le fusible de Matignon est devenu le paratonnerre de l’Élysée. En attendant une éventuelle redistribution des rôles dans le pouvoir à deux têtes, Fillon cultive son image calme et posée, joue la force tranquille, se fait réélire conseiller municipal de Solesmes, un haut lieu de l’esprit célèbre pour son plain-chant bénédictin et ses cures de méditation. « Ai-je l’air d’être bling-bling ? » demandait-il aux journalistes du Grand Jury de RTL avant le premier tour.
On ne parle plus d’un grand remaniement ministériel, qui serait limité, dans l’immédiat, à un réajustement technique ; sans toucher à l’ouverture, qui garde les faveurs de l’opinion et dont l’abandon signifierait qu’elle n’était qu’une manuvre politicienne, alors qu’elle est plus que jamais pour le chef de l’État une nécessité de gouvernance. Les trois députés socialistes qui avaient refusé d’intégrer la commission pour une nouvelle télé publique ont décidé finalement d’y siéger. Le plan d’austérité annoncé par la gauche au cur de la bataille électorale a été aussitôt démenti. Sarkozy reste persuadé que la rigueur ne mène à rien : seules les réformes peuvent dégager les économies qui stimuleront la croissance en réduisant les déficits. Et lui, pourra-t-il rebondir ?
Il a quatre ans pour répondre à la question posée, en France comme à l’étranger. Au moment où il aborde le deuxième round de son mandat, on rappellera qu’il en va de la politique comme de la boxe : ceux qui encaissent le mieux sont ceux qui se redressent le plus vite. Sarkozy n’a jamais été épargné au cours de sa carrière par les coups durs et autres coups fourrés. Jusqu’ici, il s’en est toujours tiré à son avantage. Commence-t-il à comprendre la nécessité de se changer lui-même ?
Au cours de son voyage en Afrique du Sud, c’est en privé, sans la horde habituelle des reporters et cameramen, qu’il a visité avec Carla le parc Krüger. Et c’est par un vol d’Air France qu’il est rentré à Paris. Max Gallo rappelle le précédent du triomphe de François Mitterrand, en 1981. Dès janvier de l’année suivante, la droite remportait d’un coup quatre élections législatives partielles. « Cela n’a pas empêché Mitterrand d’être président pendant quatorze ans. »

Plébiscite bordelais
Alain Juppé est aujourd’hui un autre exemple saisissant des retournements de la politique. Nommé Premier ministre par son admirateur Jacques Chirac, démissionnaire de Matignon après les grandes grèves de 1995, évincé pour cinq ans de la politique par la justice, battu aux dernières élections législatives dans son fief de Bordeaux, le voilà réélu maire dès le premier tour. Un plébiscite. Sur les rives de la Garonne (admirablement réhabilitées par ses soins), on vous explique la métamorphose du « psychorigide » par les contacts humains de sa fonction et par son remariage avec une Isabelle aussi influente que discrète. De Paris à Bordeaux, il y a de l’analogie dans l’air.

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