Russell Banks

Le dernier roman de l’écrivain américain, La Réserve, vient de paraître en français. Cette enquête dans le milieu huppé des années 1930 décrit une histoire d’amour entre l’héritière d’une richissime famille new-yorkaise et un artiste, déchiré entre ses al

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : L’histoire de votre nouveau roman, La Réserve, se déroule aux États-Unis. Avec en ligne de mire le vaste fossé entre les riches et les pauvres.
Russell Banks : En effet, j’ai voulu montrer comment ce fossé structure la société américaine. Le discours hypocrite selon lequel la société américaine serait une société sans classes me met toujours en rage. On nous affirme que l’Amérique est le haut lieu de la méritocratie, alors qu’en réalité l’idée de classe est omniprésente chez nous. La réalité est que 90 % des personnes nées pauvres aux États-Unis le demeurent. Et ce n’est pas parce qu’elles sont stupides ou paresseuses, c’est tout simplement parce que le rêve américain ne fonctionne pas pour la majorité de la population de ce pays.

L’autre thème récurrent de votre uvre est celui des divisions raciales. Je pense à Pourfendeur des nuages (1998), qui raconte l’histoire de l’abolitionniste John Brown, ou à Continents à la dérive (1985), qui se déroule dans le milieu des réfugiés haïtiens.
La race et la classe sociale sont les points névralgiques de la société américaine. J’en ai pris véritablement conscience lorsque je suis allé à l’université dans les années 1960. Toute l’Amérique était alors secouée par le Mouvement des droits civiques pour les Noirs. Je me suis tout naturellement engagé dans cette lutte qui m’a conduit dans le Sud profond où, en voyant la ségrégation à l’uvre, j’ai compris combien les relations raciales étaient centrales dans l’histoire des États-Unis. Elles l’ont été depuis le début de la colonisation avec l’arrivée des Européens, qui ont exterminé les Indiens et ont fait venir des Africains pour les réduire en esclavage.
Elles le sont toujours dans l’Amérique contemporaine, comme l’ont montré, en 2005, les images du désastre de l’ouragan Katrina, à La Nouvelle-Orléans, qui a touché majoritairement les Américains noirs. Les drames que nous avons connus en tant que peuple découlent des crimes fondateurs qui continuent d’empoisonner notre vie collective. C’est pourquoi les primaires démocrates qui se déroulent en ce moment même, laissant entrevoir pour la première fois la possibilité pour un Noir d’accéder à la Maison Blanche, constituent un tournant dans notre histoire.

la suite après cette publicité

J’imagine que vous suivez ces primaires avec passion. Obama peut-il remporter les élections ?
Si vous m’aviez posé la question il y a trois mois, je vous aurais répondu que non. Mais aujourd’hui la donne a changé le cours des choses. C’est la mobilisation massive des jeunes autour de la candidature de Barack Obama qui m’a fait changer d’avis. Pendant longtemps, depuis les années 1960, les jeunes de mon pays ne se sont pas mobilisés pour quoi que ce soit. C’est sans doute parce qu’ils ne se croyaient pas capables de changer la vie. Avec Obama, ils ont l’impression, à tort ou à raison, que leurs votes vont de nouveau compter. Obama est le premier homme politique depuis les Kennedy (John et Robert) et Martin Luther King à pouvoir mobiliser la jeunesse américaine de part et d’autre de la ligne de fracture raciale.

Comment expliquez-vous cette percée inattendue d’un leader noir comme Obama ?
Cela a sans doute à voir avec sa personnalité. Il est charismatique, progressiste, sans être radical. Ses positionnements par rapport à la guerre en Irak le font apparaître aux yeux du public comme étant le contraire de George W. Bush. Je connais beaucoup de gens qui avaient voté pour Bush aux dernières élections. Ils se sentent aujourd’hui trahis par ses mensonges concernant l’Irak, la torture. Les Américains en ont marre d’être montrés du doigt par le monde entier à cause des violences que leurs soldats commettent à Kaboul ou à Bagdad. Les discours simplistes sur la lutte contre le terrorisme ne passent pas non plus, car nous nous rendons bien compte qu’il n’y a pas d’un côté les forces du Bien, et de l’autre les forces du Mal. La vérité est plus complexe. Toutes ces raisons réunies font que l’idéalisme d’Obama suscite l’adhésion.

Une fois élu, cet idéalisme résistera-t-il à l’épreuve de la réalité ?
Je suis persuadé que sur le plan domestique la forte symbolique d’un président noir à la Maison Blanche pourra aider les communautés à se réconcilier, les pousser à enterrer le passé et à se libérer des fantasmes qui nourrissent aujourd’hui encore nos peurs de l’autre, de sa différence. Quant à la politique étrangère américaine, il me semble que même deux présidences Obama ne suffiront pas à l’infléchir de façon significative. L’empire américain me fait penser au Titanic : il est impossible de lui faire changer de cap d’un simple claquement de doigt.

Vous avez souvent exploré dans vos récits les conséquences morales et humaines de l’impérialisme américain dans le monde, notamment dans votre précédent roman American Darling (2005) dont l’action se déroule au Liberia, pendant la guerre civile.
J’ai situé cette histoire au Liberia parce que l’évolution de ce pays est exemplaire du cynisme de la politique étrangère américaine. Comme vous le savez, le Liberia a été créé de toutes pièces au XIXe siècle par une alliance d’abolitionnistes chrétiens et d’hommes d’affaires du Nord qui voulaient faire de ce pays le lieu d’introduction en Afrique de ce qu’ils appelaient leur programme en trois « C » : christianisme, capitalisme et civilisation !

la suite après cette publicité

Tout un programme !
En fait, ce masque de bienfaisance cachait aussi des mobiles racistes : débarrasser les grandes villes américaines telles que Philadelphie, New York ou Boston de leurs populations noires de plus en plus nombreuses. Les anciens esclaves avaient réussi à y implanter des écoles, des commerces, des églises qui mettaient à rude épreuve les clichés habituels sur les Noirs « grands enfants », « paresseux » et « incapables de prendre des initiatives ». C’est parce qu’ils dérangeaient que 70 000 Africains-Américains ont été « déportés » au Liberia entre 1820 et 1870.
Ce pays est devenu pour ainsi dire une colonie américaine gouvernée main dans la main par les descendants des Africains-Américains et les multinationales yankees qui y exploitaient le caoutchouc et les gisements miniers. Loin d’être une guerre africaine tribale, comme l’ont expliqué la presse et le gouvernement américains, la guerre civile sanglante qui a éclaté à la fin des années 1980 dans ce pays était une réaction à la mainmise oppressive et tout bonnement coloniale des Américains. La naïveté de mon héroïne débarquée au Liberia dans l’espoir de changer le monde est tout à fait représentative de l’Américain moyen qui n’a pas la moindre idée des crimes qui sont commis à l’étranger en son nom par son gouvernement.

Il y a aujourd’hui, je crois, un projet d’adaptation de ce livre au cinéma.
C’est Martin Scorsese en personne qui va réaliser le film. En fait, je l’avais contacté pour lui proposer le projet. On est tombé très vite d’accord sur les modalités et même sur le nom de l’actrice qui interprétera le rôle de la narratrice, Hannah Musgrave. Il s’agit de Cate Blanchett. Elle est partante. On attend que j’aie fini d’écrire le scénario pour que le tournage puisse commencer.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires