L’énigme Medvedev

Il ne parsème pas ses discours de blagues douteuses, se montre aimable avec tout le monde et passe pour un libéral. Le nouveau président est tout le contraire de Vladimir Poutine, son prédécesseur et probable Premier ministre. Au moins en apparence.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Certains voient en lui un nouveau Gorbatchev appelé à restaurer des valeurs démocratiques sérieusement mises à mal ces temps-ci. D’autres le considèrent comme un bureaucrate inodore et sans saveur. Lui-même colle pour l’instant avec application à son image de fidèle disciple de Vladimir Poutine, voué à poursuivre la politique de son mentor. Mais qui est donc vraiment Dmitri Medvedev, président désigné avant même d’être élu du plus vaste État de la planète ?
Né le 14 septembre 1965 à Leningrad (désormais Saint-Pétersbourg), il est le fils unique d’un couple d’universitaires. Après de brillantes études de droit, il soutient en 1990 une thèse de doctorat et intègre l’équipe politique de son professeur, le réformateur démocrate Anatoli Sobtchak, bientôt élu à la mairie de la ville. Conseiller du maire de Saint-Pétersbourg et expert juridique, Medvedev se retrouve sous les ordres de Poutine. De treize ans son aîné, celui-ci apprécie ce jeune homme efficace et compétent. Au point qu’en novembre 1999 il se souvient de lui et le fait venir à Moscou pour diriger son comité de campagne pour la présidentielle de 2000.
À cette époque, Medvedev enseigne le droit romain à l’université et occupe parallèlement les fonctions de directeur juridique d’une grosse entreprise de bois et de pâte à papier, Ilim Pulp. Poutine le convainc de revenir en politique et le propulse dans les hautes sphères du pouvoir. Medvedev se retrouve vice-directeur, puis directeur de l’administration présidentielle, membre du Conseil de sécurité et directeur du conseil d’administration du géant gazier Gazprom, dont il conduit sans concession la reprise en main par l’État. En 2005, Medvedev est nommé premier vice-Premier ministre, chargé notamment des projets nationaux qui constituent le fer de lance de la nouvelle politique sociale du gouvernement (démographie, logement, éducation, santé et agriculture). Au Kremlin, on le surnomme « le vizir ».

Les raisons d’un choix
Son collègue Sergueï Ivanov lui dispute quelque temps le rôle d’héritier présomptif. On murmure que Medvedev aurait finalement été choisi en raison de sa plus grande docilité et de sa petite taille (1,62 m), Poutine n’aimant guère les gens plus grands que lui, au propre comme au figuré. Sa candidature à l’élection présidentielle est proposée le 10 décembre par Russie unie, le parti majoritaire, avec le soutien de trois autres formations : Russie juste, Force citoyenne et le Parti agraire, tous proches du gouvernement.
Medvedev refuse de débattre avec les autres candidats et, après un scrutin dont le déroulement a été très critiqué, est élu le 2 mars, dès le premier tour, avec plus de 70 % des voix. Mais Poutine ne sort pas vraiment du jeu, puisqu’il a accepté par anticipation de devenir Premier ministre. On ignore encore quelle sera la répartition des responsabilités entre les deux hommes. Beaucoup prédisent que la reconnaissance et la fidélité manifestées par Medvedev ne résisteront pas longtemps à l’inversion de leurs rapports hiérarchiques.
D’autant que, contrairement à Poutine, Medvedev passe pour un libéral. Il a récemment déclaré que « la liberté vaut mieux que l’absence de liberté », a déploré que la Russie soit « nihiliste en matière de droit » et souligné son attachement à l’indépendance des médias et au respect de la justice. Orthodoxe pratiquant, il est réputé pour sa tolérance et a su établir des relations harmonieuses avec les chefs des autres communautés religieuses – musulmane et juive -, qui ne tarissent pas d’éloges à son égard. S’il manque encore d’assurance, il a beaucoup changé en trois mois. Son ton a gagné en conviction et son regard a perdu le côté presque désarmé qu’il avait parfois. Il a également beaucoup maigri grâce à la gymnastique et à la natation qu’il s’est mis à pratiquer de manière intensive sur le conseil de sa femme.

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Foot et hard-rock
On dit que Svetlana Medvedev, née Linnik, une ancienne camarade de classe épousée en 1989, n’a rien d’une épouse effacée. C’est même elle qui aurait incité son mari à se lancer dans la politique et les affaires et l’aurait aidé grâce à ses relations. Elle dirige actuellement le conseil d’administration du programme « La culture spirituelle et morale des jeunes générations en Russie », soutenu par Alexis II, le patriarche de Russie. Le couple a un fils, Ilya, né en 1996, qui fréquente un club d’escrime et se passionne pour les ordinateurs et le football.
Passion qu’il partage avec son père, président du VIP-club des supporteurs de l’équipe du Zénith de Saint-Pétersbourg. Parmi ses autres centres d’intérêt, la photographie, qu’il a beaucoup pratiquée étant jeune, et le hard-rock. C’est un fan de Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple. Ce dernier groupe a d’ailleurs donné récemment un concert au Kremlin, à l’occasion du quinzième anniversaire de Gazprom.
Gentil et souriant, Dmitri Medvedev est d’un abord agréable avec tout le monde. Il plaît particulièrement aux femmes, qui ont été sensiblement plus nombreuses que les hommes à voter pour lui. Son langage est soigné et on l’imagine difficilement brandir des menaces plus ou moins voilées ou lâcher des blagues douteuses dans ses discours officiels, comme son prédécesseur s’en est fait une spécialité. Pourtant, ceux qui le connaissent jurent que sa douceur n’est qu’apparente et qu’il est capable de fermeté, voire d’intransigeance, dans ses convictions comme dans ses actes.
Lors de sa rencontre, le 8 mars, avec la chancelière allemande Angela Merkel, Poutine a annoncé que, pour les Occidentaux, les relations avec Medvedev « ne seront pas plus simples » qu’avec lui-même. Le politologue Stanislav Belkovski estime même, dans un livre (Un moindre mal) consacré au nouveau président, que Medvedev risque d’être plus dur encore que Poutine. Sans aller jusque-là, il ne faut pas s’attendre à des changements radicaux dans la politique russe, du moins à brève échéance, même si le libéralisme proclamé du nouveau président est sincère.
En fait, chacun projette actuellement sur Medvedev ses propres espoirs. Et ses propres craintes. Il faudra sans doute attendre plusieurs mois après son investiture, le 7 mai, pour que cet homme-miroir montre ce qu’il est réellement. Pour affirmer sa différence, il lui faudra d’abord former sa propre équipe et couper le cordon ombilical qui le relie à son prédécesseur. Si tant est qu’on lui en laisse le loisir.

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