Liévin Tshikali

Jeune banquier prometteur, il a la double nationalité belge et congolaise, parle le swahili, le français, l’anglais et le néerlandais, mais travaille aujourd’hui en Suisse.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Sa décision de rejoindre la Compagnie financière tradition (CFT), à Lausanne, en a laissé plus d’un pantois. Était-il bien raisonnable de quitter la prestigieuse Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) et de renoncer du même coup à un confortable salaire et à la sécurité de l’emploi ? « Un non-sens », commente un membre de son entourage. Pourtant, Liévin Tshikali a tenu bon. « Après sept ans passés à la Berd, j’avais atteint mes objectifs. Il n’y avait plus d’opportunités pour moi à court terme, je tournais en rond. J’avais besoin de prendre des risques », explique-t-il.
Il est vrai qu’il n’a pas vraiment changé de métier, même s’il passe du public au privé et bénéficie d’une promotion en devenant chef du département déontologie à la CFT – il supervise, à ce titre, tous les bureaux du groupe -, alors qu’il n’était, à la Berd, que simple manager. C’est lui qui est chargé de s’assurer que la banque, l’un des trois leaders mondiaux de l’intermédiation financière, et ses clients respectent les règles de bonne gouvernance.
Avant d’intégrer la Berd, il a travaillé au ministère belge des Finances, en tant qu’inspecteur de l’administration fiscale, puis au Trésor, comme attaché aux finances. Belle progression de carrière pour ce Belgo-Congolais, père de deux enfants, qui a déjà changé quatre fois de pays. Et qui maîtrise, outre le swahili et le français (ses langues maternelles), l’anglais et le néerlandais, qu’il a dû apprendre pour devenir conseiller de l’administrateur de la Berd chargé de la Belgique, du Luxembourg et de la Slovénie, sa première fonction au sein de l’institution.

Plongée en pays wallon
Que de chemin parcouru depuis Kamituga, la petite ville du Sud-Kivu où Liévin Tshikali naît le 21 décembre 1971 d’une mère kivutienne et d’un père kasaïen ! Du pays natal, quitté en 1980, il se souvient surtout de Kinshasa, où sa famille s’est installée quand il avait 4 ans. « Je me rappelle le collège de la Gombe, les défilés du maréchal Mobutu que je suivais depuis le balcon de ma tante Marie-Jeanne, ma seconde mère, qui habitait boulevard du 30-Juin. Et de la chaude atmosphère familiale dans laquelle je me sentais protégé. » Il se souvient aussi des concerts de Papa Wemba, de Rochereau, de Mbilia Bel… Et des sketches télévisés de l’émission « Théâtre de chez nous », qui le faisaient rire à gorge déployée.
À l’âge de 10 ans, Liévin se retrouve parachuté en Belgique, où il rejoint sa mère, qui vient de convoler avec un Belge. Il fait le voyage en compagnie de la mère de sa future femme, Valérie, une métisse née comme lui à Kamituga, qu’il épousera en août 2000. À Amay, petite ville du pays wallon, toute la famille – notamment « papa Edgar », son beau-père – et les gens du quartier l’attendent avec impatience. Bien sûr, l’adaptation est un peu difficile, mais à cet âge, rien n’est impossible…
À l’école catholique Saint-Pierre, il joue dans l’équipe de football de l’établissement. Non qu’il n’affectionne particulièrement ce sport, mais il lui permet de se faire des copains, de se faire apprécier, lui le seul Noir du coin. Examen réussi. Tshikali est aujourd’hui tellement attaché à Amay qu’il s’y est fait bâtir une maison, dans la rue où son oncle et sa tante blancs ont, eux aussi, accédé à la propriété. Il a donné comme deuxième prénom à son fils celui de son beau-père, Edgar, parce que « c’est aussi la coutume au Congo ».
N’allez surtout pas demander à Liévin de choisir entre la Belgique et le Congo. « J’appartiens à deux cultures. Je mets à profit les meilleurs côtés de l’une et de l’autre pour éduquer mes enfants. Je peux être touché par ce qui se passe au Kivu, sans pour autant renier ma belgitude », dit-il. Et d’ajouter : « Je refuse d’être catalogué par mon ADN. On existe par ce qu’on est, non en fonction de la couleur de sa peau. Ce genre de catégorisation pousse les jeunes d’origine étrangère vers l’extrémisme, ce que beaucoup d’Européens ne veulent pas comprendre. »

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Choisir son camp
C’est en 1998, à l’université de Liège, où il obtient une licence de droit complétée plus tard, au King’s College University de Londres, par un Master en droit financier et bancaire, qu’il est pour la première fois confronté à son africanité et poussé à choisir son camp. Par des Blancs ? Non, par des étudiants africains, dont certains le surnomment « Bounty ». Autrement dit, comme la friandise du même nom : noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur. Un choc pour Liévin Tshikali, qui ne s’était jamais préoccupé de ses origines et avait vécu dans un environnement où la question ne se posait pas.
Alors, pour tenter de comprendre ce qu’est la négritude, il se plonge dans les uvres de Léopold Sédar Senghor. Une confrontation salutaire qui lui fait prendre conscience de sa double appartenance et l’incite à s’impliquer dans la défense de ces mêmes étudiants africains qui raillaient sa « blanchitude ». Il prend même la tête de leur association !
Depuis, l’Afrique ne le quitte plus. En pensée, à tout le moins. Car il n’a plus remis les pieds dans son pays natal depuis un court séjour en 1988. Quel blocage l’empêche d’y retourner plus souvent ? Difficile de le savoir. En tout cas, même depuis Lausanne, il continue de s’investir dans Congonetwork, une association qu’il a créée à Londres avec sa cousine et qui organise divers rencontres-débats sur la RD Congo.
Ainsi, même de loin, le « pays » reste au centre de ses préoccupations. Fort de son expérience en Europe de l’Est, qui lui a permis d’établir d’utiles parallèles avec l’Afrique subsaharienne, Tshikali ne manque aucune occasion de se lancer dans de longs exposés sur l’avenir du continent.
Pour s’en sortir, explique-t-il, l’Afrique doit avant tout miser sur l’éducation, favoriser l’émergence d’une classe moyenne, obtenir un prix plus rémunérateur pour ses matières premières, face aux appétits des pays demandeurs, et accroître son autonomie par rapport aux bailleurs de fonds internationaux, dont l’action sur le terrain n’est pas vraiment une réussite.
« Pourquoi, à l’instar de ce que commence à faire le Nigeria, les gouvernements africains n’emprunteraient-ils pas sur les marchés financiers ? s’interroge Tshikali. Les fonds d’investissement regorgent d’argent qu’ils ne savent pas où placer… » Bien sûr, cela suppose de respecter scrupuleusement les règles de la bonne gouvernance, tempère-t-il – on ne se refait pas !
Comment expliquer l’exceptionnelle réussite professionnelle de cet homme tout juste âgé de 36 ans ? Aurait-il la chance d’être un « fils à papa » ? « Pas du tout, proteste-t-il, je viens d’une famille modeste. Pour moi, la clé de la réussite passe par les études, le travail et la confiance en soi. » Qu’on se le dise !

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