Le système Bouteflika

Organisation, méthodes de travail, staff, réseaux, conseillers de l’ombre, sécurité… Comment fonctionne la machine mise en place par le chef de l’État.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 7 minutes.

A un peu plus d’un an de la fin du deuxième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, partis politiques et organisations de la société civile multiplient les appels en faveur d’une révision de la Constitution afin de lui permettre d’en briguer un troisième lors de la prochaine présidentielle, prévue en avril 2009. Ahmed Ben Bella, premier président élu de l’Algérie indépendante, s’est joint à ce mouvement. Le 1er mars, il a « instamment » demandé à son ancien chef de la diplomatie de se représenter. En guise d’argument, Ben Bella a eu ces mots simples : « Franchement, je ne vois pas meilleur que lui pour parachever ce qui a été entrepris ces dernières années, en termes de stabilité politique et de développement économique, grâce à la réconciliation nationale. » Dans la bouche d’un Ben Bella (Bouteflika était au cur du différend entre Ben Bella et l’armée avant le coup d’État militaire du 19 juin 1965), ces paroles élogieuses sonnent comme une bénédiction. Une bénédiction qui a du poids. Tout comme le soutien accordé au président quelques jours plus tôt par un conclave des Amenokal, chefs de tribus touarègues, réuni dans la région du Hoggar.
Propagande officielle ? Opération de communication rondement menée ? Si la manuvre politique semble évidente, la popularité du personnage n’en est pas moins réelle. À quoi Bouteflika doit-il tant de sollicitude ? À l’éloquence du bilan des huit précédentes années marquées par d’incontestables avancées pour le pays ? À ses formidables capacités de séduction, doublées d’une parfaite connaissance de la psychologie de l’Algérie profonde, rurale ou urbaine, tellienne ou saharienne, féminine ou masculine ? Certes, les talents politiques de l’homme sont indéniables, mais ses succès doivent aussi beaucoup à la machine qu’il a patiemment mise en place à la présidence de la République.

Un suivi permanent
Dès son élection, en mai 1999, Abdelaziz Bouteflika a estimé qu’il serait trop à l’étroit au siège de la présidence, à El-Mouradia. Première décision : « annexer » pour les besoins de ses services l’immeuble voisin, une tour d’une vingtaine d’étages, récemment construite et qui abritait, jusque-là, le siège du ministère des Affaires étrangères. Le ton est donné : l’organigramme de la présidence ne ressemblera en rien aux précédents ; il sera plus étoffé, plus riche en ressources humaines. Car selon Bouteflika, le bicéphalisme de l’exécutif prôné par la Constitution (un président et un Premier ministre, chef du gouvernement) est un obstacle sérieux à toute action qui se veut efficace. « Un président de la République est élu sur la base d’un programme politique et économique, et c’est à lui de mettre en place et de diriger l’action de l’exécutif, dont la vocation serait la mise en uvre de ce programme », ne cesse-t-il de répéter à ses visiteurs. Cette conviction présidentielle donnera un cachet particulier aux relations qu’entretient Bouteflika avec ses Premiers ministres (voir p. 50). C’est pour pallier cette contrainte constitutionnelle que le président dispose d’un grand nombre de conseillers. Certains nommés par décrets non publiables, la plupart sans affectation précise, mais disposant chacun d’un portefeuille conséquent de dossiers. Un shadow cabinet ? Un gouvernement bis ? « Pas du tout, assure, sous le sceau de l’anonymat, l’un d’entre eux. Le président est particulièrement exigeant en matière de suivi de décisions. Notre tâche est d’actualiser tous les dossiers et de suivre, pour lui, la mise en uvre des décisions de l’exécutif. Il peut à tout moment convoquer un ministre pour évoquer une quelconque question, mais, avant cela, il étudie le dossier que nous lui avons préparé, écoute notre point de vue, nous donne le sien, puis reçoit, en notre présence, le ministre. » Si la tour d’El-Mouradia ne grouille plus de monde, contrairement à l’époque où elle abritait les services de la diplomatie, le silence feutré de ses couloirs ne signifie nullement que l’on y travaille moins.

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Des rouages bien huilés
« Il y a des conseillers qui délivrent plus de conseils que d’autres », explique, avec une pointe d’humour, un autre collaborateur du chef de l’État, pour signifier que le statut de conseiller n’ouvre nullement le droit de voir le président dès qu’on le souhaite. De par leurs fonctions, certains membres du staff de Bouteflika bénéficient cependant de ce privilège : Mokhtar Reguieg, directeur général du protocole, ancien ambassadeur d’Algérie à Rome ; Mohamed Rougab, secrétaire particulier du chef de l’État ; Mohamed Moulay Guendil, son directeur de cabinet ; et enfin Mustapha Bouteflika, frère et médecin du président. Bouteflika consulte régulièrement son conseiller diplomatique, Abdellatif Rahal, 82 ans, doyen du staff présidentiel, ancien ministre de l’Intérieur et ex-secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, quand Bouteflika était chef de la diplomatie. Les plumes du président ne se recrutent pas forcément dans son entourage immédiat. Le plus souvent, le patron (maallam, en dialecte) écrit lui-même ses discours, mais il arrive que l’ébauche en soit confiée à Benamar Zerhouni, ex-ministre de la Communication durant les années de braise (la décennie 1990), ou Loqbi Habba, sherpa du président pour les affaires économiques et financières, nommé, le 28 février, secrétaire général de la présidence.
L’équilibre régional dans son staff est un souci constant chez Bouteflika. En revanche, sa performance en termes de parité est moins évidente. Le président prend tout son temps pour choisir les hommes ou les femmes qui l’entourent (un poste peut rester vacant six mois avant qu’il ne décide de le pourvoir). Ces dernières sont assez rares à El-Mouradia. Parmi elles, on note la présence régulière de Mme Khelladi, universitaire et interprète du président, et celle, toute récente, de Farida Bessa, ancienne présentatrice du journal télévisé, nommée, le 28 février, directrice de la communication à El-Mouradia.
Le président a une véritable phobie : être coupé de la réalité du terrain. Or El-Mouradia est une tour d’ivoire. Bouteflika prête donc une oreille attentive à ses collaborateurs les moins connus, un relatif anonymat qui leur permet de sillonner villes et villages, boulevards et marchés, établissements scolaires et entreprises pour que lui soit transmise cette vérité du terrain que les rapports officiels, trop laudateurs, et les articles de presse, trop hostiles, ne sauraient refléter. Saïd Bouteflika, autre frère cadet du président, a longtemps joué ce rôle. Universitaire, ancien syndicaliste, ses multiples réseaux ont servi de courroie de transmission pour que l’information crédible parvienne à Bouteflika.
Le nationalisme ombrageux d’Abdelaziz Bouteflika laisse croire que le personnage nourrit une suspicion maladive à l’égard de tout ce qui n’est pas algérien. « C’est faux ! assure, toujours sous le sceau de l’anonymat, un membre du staff d’El-Mouradia. Le président ne rechigne pas, quand les circonstances l’exigent, à recourir à l’expertise étrangère. À titre d’illustration : l’affaire du code des hydrocarbures. Projet d’un homme qui a toute sa confiance (Chakib Khelil, ministre de l’Énergie et des Mines), la nouvelle réglementation, adoptée par les deux chambres du Parlement, avait fait souffler un vent de critiques au sein des syndicats et suscité les réserves d’une partie de la classe politique. Le président a refusé de promulguer la nouvelle loi avant d’en faire une véritable analyse. Il a sollicité pas moins de cinq cabinets étrangers. Après avoir étudié les différents rapports, il a désavoué son ministre et le Parlement en imposant une nouvelle mouture. »

Comment sont gérés les problèmes de sécurité
« L’attentat qui a ciblé, le 6 septembre 2007, à Batna, le convoi présidentiel a certes imposé un nouveau dispositif, mais il n’influe en rien sur l’activité du chef de l’État », assure Loqbi Habba, secrétaire général de la présidence. La direction de la sécurité présidentielle (DSP), qui relève du Département Recherche et Sécurité (DRS, dirigé par le général de corps d’armée Mohamed Medienne, alias Toufik), n’a reçu aucun renfort particulier. C’est plutôt le dispositif de sécurisation des sites visités et des itinéraires qui a été revu à la hausse. Au cur de la machine sécuritaire de Bouteflika : Yazid Zerhouni. Le ministre de l’Intérieur coordonne la lutte antiterroriste et, par voie de conséquence, veille à la protection rapprochée des hautes personnalités de l’État. Chef suprême des armées, Bouteflika dispose de nombreuses interfaces avec les mess d’officiers et les casernes. Réunions quasi quotidiennes avec le général Toufik, rencontres périodiques avec le général major Ahmed Sanhadji, ancien attaché militaire à Paris, actuellement secrétaire général du ministère de la Défense. Bouteflika convoque rarement le Conseil national de sécurité, mais il voit régulièrement les généraux à la retraite Mohamed Touati et Abbas Ghezaïel, ex-patron de la gendarmerie, tous deux conseillers pour les affaires sécuritaires.
Ministres ou conseillers, tous témoignent du volume de travail important abattu par cet homme de 71 ans. « Il nous épuise, assure un membre du staff, qui est de tous les déplacements présidentiels. Ses visites à l’intérieur du pays sont une véritable épreuve physique. Il est capable d’animer un Conseil des ministres durant huit heures. Quant aux oraux qu’il fait passer aux membres de son gouvernement durant les longues soirées de ramadan, ils constituent un vrai chemin de croix. Pas pour lui, mais pour les ministres ou pour nous-mêmes, qui y assistons. » Ses ennuis de santé ? Un mauvais souvenir, selon le docteur Mustapha Bouteflika. Croisé lors d’un sommet de l’Union africaine, le médecin du président assure que « les membres de la délégation lui donnent plus de travail que le principal concerné ». Une vraie machine à lui tout seul.

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