Capital-investissement : l’Afrique peut-elle passer à la vitesse supérieure ?

Selon de nombreux fonds internationaux, le continent serait le marché émergent le plus intéressant au monde. Mais attention au risque de bulle spéculative…

Abraaj Group détient 51 % de l’agro-industrie Fan Milk, très actif en Afrique de l’Ouest. © Fan Milk

Abraaj Group détient 51 % de l’agro-industrie Fan Milk, très actif en Afrique de l’Ouest. © Fan Milk

Publié le 22 mai 2014 Lecture : 5 minutes.

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Sommaire

L’Afrique confirme-t-elle son statut de nouvel éden des investisseurs en capital ? À en croire les dernières études publiées sur ce thème, la réponse est oui. De fait, la plupart des sondages d’opinion réalisés auprès des grands fonds d’investissement jugent toujours que le continent est le marché émergent le plus intéressant au monde devant les fameux Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

Principales raisons invoquées : la croissance économique solide se situant autour des 5 % depuis une décennie, l’urbanisation galopante ou le développement d’une classe moyenne avide de consommation.

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Croissance élevée, urbanisation galopante, classe moyenne en hausse… Les atouts du continent sont sérieux.

Demande en capital

En 2013, les nouveaux capitaux investis dans les entreprises du continent ont bondi de 136 %, à 3,3 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros), d’après l’Association africaine du capital-investissement et du capital-risque (Avca). Au total, les actifs sous gestion atteignent 25 milliards de dollars en Afrique.

Ce montant, qui reste toutefois modeste par rapport à celui des pays développés, est encore amené à croître dans les années à venir : « La demande en capital pourrait augmenter de 8 % par an d’ici à 2018 », a récemment indiqué le cabinet de conseil américain McKinsey. « Le mouvement actuel est une très bonne nouvelle pour le secteur privé et les PME africaines, qui manquent très souvent de fonds propres », estime Aziz Mebarek, cofondateur d’Africinvest-Tuninvest, qui gère plus de 750 millions de dollars d’actifs à travers le continent. Ce contexte porteur n’a évidemment pas échappé aux grands acteurs internationaux, qui multiplient les levées de fonds pour y investir.

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>>>> Voir aussi  : Capital-investissement : le best-of 2013

Dernier en date, le mastodonte américain Carlyle, coté à la Bourse de New York et qui gère 185 milliards de dollars d’actifs à travers le monde. En avril dernier, il a clôturé son premier fonds destiné à l’Afrique subsaharienne (Carlyle Sub-Saharan African Fund). La collecte a atteint 698 millions de dollars, soit 40 % de plus que l’objectif initial, fixé à 500 millions de dollars.

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Severino ou l’antimodèle gagnant

Pionnier de « l’impact-investissement », une approche qui privilégie un résultat économique, social ou environnemental immédiat plutôt que d’importants rendements, Investisseurs & Partenaires (I&P) veut aller plus loin en aidant les jeunes pousses africaines.

La société de gestion française présidée par Jean-Michel Severino, ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), qui dispose déjà de 60 millions d’euros, souhaite lever 30 millions d’euros supplémentaires afin de soutenir, dans les dix années à venir, la création d’une dizaine de fonds de capital-risque africains.

Ces derniers financeront des start-up du continent pour des montants compris entre 30 000 et 300 000 euros. Si la rentabilité de ses opérations n’est pas son premier argument, I&P permet aux PME dans lesquelles il investit d’améliorer leurs performances. Pour preuve, leur chiffre d’affaires a progressé de 30% par an en moyenne ces dix dernières années.

Bénéfices

Outre l’américain, d’autres acteurs importants tels que le britannique Helios Investment – déjà très investi en Afrique – cherchent à y renforcer leur présence, tout comme le sud-africain Ethos ou l’émirati Abraaj.

Pour sa part, Wendel – holding financier coté à la Bourse de Paris – souhaite y investir près de 700 millions de dollars dans les quatre prochaines années. Ces grands fonds cherchent à placer des sommes importantes dans les entreprises qu’ils ciblent.

Ainsi, Wendel a injecté au total 475 millions de dollars dans IHS Holding, l’opérateur nigérian des tours de télécommunications. Et fin 2013, il a acquis 14 % du groupe d’assurances marocain Saham pour 100 millions d’euros. « Nous recherchons des investissements d’un montant minimum de 100 millions de dollars », explique Stéphane Bacquaert, son directeur associé chargé du développement en Afrique. Il faut dire que le niveau des retours sur investissements fait saliver.

D’après l’Avca et le cabinet de conseil Ernst & Young, les sorties de fonds ont généré des bénéfices respectivement supérieurs de 20 % et 40 % dans les sous-régions d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique de l’Est par rapport à ceux réalisés en Afrique du Sud.

Désinvestissement

L’arrivée de grands acteurs risque-t-elle de perturber le marché, qui reste dominé par des opérations de taille moyenne ? Deux points de vue s’affrontent. « Ils vont contribuer à professionnaliser davantage le secteur du capital-investissement et renforcer son intérêt aux yeux des grands souscripteurs, notamment privés [fonds de pension, fonds de fonds, gestionnaires de fortunes] », affirme Aziz Mebarek.

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Et d’ajouter : « Cela augmente les possibilités de désinvestissement pour les fonds, une étape essentielle dans le cycle d’une opération de private equity. Certains confrères, notamment les nouveaux venus, montrent un intérêt croissant pour les sociétés du portefeuille que nous avons accompagnées et développées pendant plusieurs années. Cela prolonge la présence d’investisseurs institutionnels dans le capital de ces PME et assure en même temps la liquidité de nos fonds et de nos souscripteurs. »

Même son de cloche de la part de Jean-Marc Savi de Tové, directeur associé de Cauris Management, un capital-investisseur ouest-africain installé à Abidjan et à Lomé : « L’apparition de grands fonds sur le continent est une aubaine pour nous, car ils pourraient investir dans des sociétés de notre portefeuille. »

Mais d’autres investisseurs s’inquiètent qu’une bulle ne soit en cours de formation. L’arrivée de ces fonds, combinée à la rareté des grandes entreprises en mesure d’absorber de telles sommes, entraîne selon eux une surenchère en termes de valorisation. Une concurrence qui joue sur le prix à l’entrée, notamment dans les secteurs de la banque, des télécoms et des biens de consommation. Cela risque également de poser un problème pour la sortie.

« Si la bulle explose, cela aura le mérite d’identifier les bons et les mauvais gérants », prophétise Jean-Marc Savi de Tové.

En effet, comme l’explique Laureen Kouassi-Olsson, directrice d’investissement chez Amethis Finance, « lorsqu’un fonds investit 100 millions de dollars dans une société qui voit son bilan tripler en cinq ans, les perspectives d’une sortie garantissant un « cash multiple » [c’est-à-dire tripler la mise de départ] supérieur à trois sont incertaines.

Taille

Sur ces tailles de ticket, le marché manquera d’acteurs qui peuvent prétendre payer 300 millions de dollars pour une seule participation pendant encore plusieurs années. » À ce titre, l’exemple de Vlisco – société hollandaise de textile réalisant 90 % de ses ventes sur le continent – est frappant et pourrait constituer l’une des plus grosses opérations de l’année. Le britannique Actis, qui a acquis cette société pour 120 millions d’euros en 2010, espère tripler sa mise. Pour l’heure, les négociations sont toujours en cours, et quelques acteurs français comme Wendel, Amethis Finance ou Eurazeo seraient sur les rangs.

« Certains dossiers vont s’apparenter à des ventes aux enchères », confirme Sofiane Lahmar, associé chez Development Partners International. « La seule issue, c’est que l’engouement actuel pour l’Afrique se concrétise par l’arrivée de groupes industriels ou bancaires étrangers suffisamment armés pour dépenser plusieurs centaines de millions d’euros sur le continent, et sur le long terme », soutient Laureen Kouassi-Olsson. « Si la bulle explose, cela aura le mérite d’identifier les bons et les mauvais gérants », conclut Jean-Marc Savi de Tové.

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