Les mystères de N’Djamena

Les témoignages des deux opposants aujourd’hui libérés ne permettent pas de lever les zones d’ombre qui planent sur la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

Si l’on ne sait toujours pas ce qu’est devenu l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh, les témoignages de ses deux codétenus – aujourd’hui relâchés – permettent de reconstituer les premiers jours de sa disparition. Le dimanche 3 février au soir, Ibni est arrêté à son domicile par un groupe de militaires. L’interpellation est brutale. Dans la bousculade, ses lunettes tombent. Il ne peut pas les ramasser. Le porte-parole de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC) est jeté dans un pick-up et conduit dans une prison secrète de N’Djamena. Où est ce cachot ? « Tout près du centre-ville, entre l’aéroport, la gendarmerie et le Trésor public », confie l’opposant Lol Mahamat Choua, l’un de ses deux compagnons de malheur. « À son arrivée, il est accablé de coups de crosse et de coups de pied, affirme Ngarlejy Yorongar, le troisième détenu. Je l’ai vu distinctement. Il était à cinq ou six mètres de moi », ajoute le député fédéraliste aujourd’hui exilé en France. « Moi, je n’ai vu personne, ni Ibni ni Yorongar, affirme Lol. Mais il est fort possible qu’ils aient été enfermés dans le même bâtiment que moi. »
En fait, les trois détenus passent vraisemblablement la première nuit dans trois pièces contiguës. Les murs sont épais. Il est impossible de communiquer. Et les gardiens ont la consigne de ne pas parler. L’un d’entre eux s’exprime en français et semble moins brutal que ses collègues. Lol lui demande si d’autres hommes politiques sont là. « Ici, on ne pose pas de questions. Il n’y a pas de réponse », rétorque le geôlier. Le lendemain matin, les prisonniers reçoivent un seau d’eau. Puis le midi, un repas à base de riz. Chaque détenu vit dans l’obscurité et dans un isolement total. Il est censé ne rien voir et ne rien entendre.
Pourtant, de sa cellule, Yorongar parvient à distinguer quelques sons. Comme il est enfermé dans un ancien secrétariat, au centre du bâtiment, il peut entendre des bruits de serrure à chaque fois qu’un geôlier ouvre la cellule de droite ou celle de gauche. Dans l’une se trouve Lol, dans l’autre Ibni. « Un jour, raconte l’opposant sudiste, je perçois un vacarme devant la porte d’Ibni. Un gardien hurle au téléphone : C’est urgent, il faut venir. » Est-ce le lundi 4, le mardi 5 ou le mercredi 6 février ? Yorongar ne se souvient pas, mais il colle un il aux persiennes de sa porte et aperçoit un homme « qu’on trimballe comme s’il était mort ». À partir de ce jour, la porte d’Ibni ne s’est plus jamais ouverte.

Vivant ou mort ?
Le lendemain, Lol et Yorongar reçoivent en cellule une visite étonnante. Un officier vient leur demander poliment s’ils ont un régime alimentaire spécial et s’ils ont besoin de médicaments. « Il m’appelait Monsieur le Président, se souvient Lol Mahamat Choua, qui fut chef de l’État pendant quelques mois en 1979. Il avait mis un chèche sur la tête et sur le nez, mais je l’ai reconnu. C’était un officier nordiste. » Est-ce le signe que quelque chose de grave venait d’arriver à Ibni et que le pouvoir tchadien voulait éviter tout problème avec les deux autres prisonniers ? Possible. De fait, au moment de son arrestation, Ibni n’avait pas pu emporter les médicaments qu’il prenait tous les jours.
Aujourd’hui, Yorongar et Lol sont très pessimistes au sujet d’Ibni. La famille du disparu, elle, continue d’espérer qu’il est vivant et que le régime le cache, le temps qu’il soit sur pied. Une prison inconnue, des gardiens dissimulés sous un chèche Le régime tchadien cultive de plus en plus le secret. Et le soupçon. En privé, Idriss Déby Itno reconnaît qu’il a suspecté plusieurs opposants d’être de connivence avec les rebelles qui ont attaqué N’Djamena le 2 février. D’où la rafle du lendemain. « Comment un président qui vient de sauver son régime peut-il commettre la bêtise de faire arrêter la moitié de ses opposants et de se mettre tout le monde à dos ? se demande un observateur. Peut-être parce qu’il est de plus en plus isolé et de plus en plus soupçonneux. »

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