Le bon élève saute une classe

En faisant son entrée dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire, l’archipel confirme son dynamisme. Mais il va devoir trouver de nouvelles ressources pour pérenniser ses acquis.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Qu’elles soient au vent (Barlavento) ou sous le vent (Sotavento), les îles du Cap-Vert vivent depuis le début de l’année un moment charnière de leur développement. Soit elles réussissent à passer la vitesse supérieure et, grâce aux investissements tant attendus, à amorcer leur décollage économique ; soit c’est la sortie de piste et la régression assurée. Tel est le défi auquel le petit archipel lusophone de 519 000 habitants est confronté depuis qu’il est passé, le 1er janvier 2008, du statut de pays moins avancé (PMA) à celui de pays à revenu intermédiaire (PRI), perdant au passage une partie des aides au développement, qui représentaient près de 14 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2005. Dans une conjoncture mondiale marquée par le risque de récession et la hausse des cours des matières premières, la manuvre s’annonce particulièrement délicate…
Pour réussir cette transition, le Cap-Vert bénéficie tout d’abord de la bienveillance de ses tuteurs, au premier rang desquels la Banque mondiale. Celle-ci a annoncé qu’elle lui laissait l’accès à son guichet concessionnel d’aide au développement jusqu’en 2015 au moins. Des négociations sur les délais de la mise en application du nouveau statut sont également en cours avec d’autres bailleurs. L’archipel, qui a signé, en décembre 2007, le traité marquant son entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), est considéré par les institutions internationales comme l’un des meilleurs élèves du continent. Avec un PIB par habitant supérieur à 2 300 dollars par an, soit le plus élevé de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Cap-Vert affiche de bons résultats macroéconomiques. Les investissements directs étrangers (IDE) se sont élevés en 2006 (flux et stocks cumulés) à 555 millions de dollars (soit une hausse de 60 % par rapport à 2005) – dépassant pour la première fois les montants de l’aide – et doivent atteindre les 750 millions de dollars en 2007. Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’investissement total devrait représenter près de 43 % du PIB en 2007, contre 39,3 % l’année précédente.

Libéralisation en douceur
Stimulée par la forte augmentation des investissements, la croissance du PIB se maintient à plus de 6 %. D’abord évaluée à 10,8 % pour l’année 2007, celle-ci a finalement été revue à la baisse et devrait se situer à 6,9 % (contre 6 % en 2006). L’inflation, elle, est repartie à la hausse après avoir chuté à – 1,6 % et est restée à 4,5 % en 2007. En cause, la facture pétrolière et l’augmentation des prix mondiaux des produits alimentaires, dans un pays qui importe près de 85 % de sa consommation en céréales. Avec des importations en biens et services représentant 72,6 % du PIB en 2007, contre 43 % pour les exportations, la balance commerciale du Cap-Vert est structurellement déficitaire (- 37,7 % du PIB pour la même année). Conséquence : la dette extérieure a atteint 42,1 % du PIB en 2007.
Pour mettre le pays à l’abri des chocs exogènes auxquels il est confronté, les gouvernements successifs qu’ils soient dirigés par le Mouvement pour la démocratie (MPD) ou par le Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert (PAICV), ex-parti unique actuellement au pouvoir – ont poursuivi la même stratégie depuis l’avènement du multipartisme en 1990 : libéralisation progressive et gouvernance rigoureuse. Pour preuve, le déficit public se maintient à un taux bas, passant de – 5,4 % du PIB en 2006 à – 3 % en 2007 (prévisions). De même si le Cap-Vert ne figure qu’à la 132e place (sur 178) en 2008 dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, les efforts consentis pour remédier aux lourdeurs administratives commencent à porter leurs fruits, notamment dans le secteur du tourisme, qui connaît un boom prodigieux (voir encadré page suivante). Un succès accompagné par des politiques volontaristes en matière d’infrastructures.
En moins d’une décennie, le Cap-Vert est devenu l’un des rares pays de la région à posséder quatre aéroports internationaux : celui de Mindelo, de Boa Vista (inauguré en 2007), de Praia et de Sal. Un cinquième doit voir le jour à la fin de 2008 à São Vicente. Quant à la compagnie publique des Transports aériens du Cap-Vert (TACV), son processus de privatisation devrait être achevé au premier semestre 2008. Celui des opérateurs des neuf ports du Cap-Vert devrait débuter dans le courant de l’année 2008. Avec trois ports internationaux (Mindelo, Palmeira et Praia, qui doit être agrandi en 2008 pour un montant de 70 millions d’euros en partie financés par le Millenium Challenge Account), le Cap-Vert espère devenir un centre régional de transformation et d’exportation des ressources halieutiques. Perdu à 500 km au large du Sénégal, c’est très logiquement que l’archipel mise sur les transports pour remédier à son isolement. Mais pas seulement.

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Diplomatie tous azimuts
L’archipel, limité par une superficie réduite de 4 000 km2, sait qu’il doit voir grand et consolider ses relations internationales pour sortir durablement du groupe des PMA. Premier partenaire : l’Union européenne (UE), avec laquelle l’archipel négocie actuellement un partenariat spécial, dont le principe a d’ores et déjà été approuvé par la Commission européenne en décembre 2007. L’escudo, la monnaie nationale, est arrimé à l’euro depuis 2002 mais de nombreux Cap-Verdiens rêvent d’intégrer l’UE pour de bon : le Cap-Vert n’appartient-il pas, au même titre que les Canaries espagnoles ou les archipels portugais de Madère et des Açores, à l’ensemble d’îles volcaniques nommé Macaronésie ? Cela explique que, cumulant les casquettes, le pays fait aussi bien partie de l’Organisation internationale de la francophonie (depuis 1996) que de la Communauté des États de langue officielle portugaise (CPLP).
À la croisée des continents européen et africain, mais aussi américain, le Cap-Vert tente également de se rapprocher de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). En témoignent les grandes manuvres de cette dernière sur le sol cap-verdien en juin 2006, une première en Afrique. À l’inverse, l’archipel tente de prendre ses distances vis-à-vis de la Cedeao en négociant avec elle un traité différencié en matière de liberté de circulation des personnes. Objectif : lutter contre les problèmes d’immigration illégale, de nombreux Subsahariens s’embarquant depuis son territoire pour les îles Canaries, situées à 1 500 km de ses côtes. Le sujet est d’autant plus sensible que la diaspora cap-verdienne, forte de quelque 700 000 personnes (plus nombreuse que la population insulaire), représente depuis longtemps un atout majeur pour l’économie du pays. Essentiellement installée aux États-Unis, au Portugal et en Espagne, elle fournit par ses transferts de fonds environ 12 % du PIB annuel.
Pourtant, malgré les succès socio-économiques de l’archipel – progression du PIB, de l’Indice de développement humain (le Cap-Vert figure à la 102e place au classement 2008 du Pnud, devant l’Afrique du Sud) et de l’espérance de vie (qui culmine à 71 ans en 2005) -, la raison première de l’émigration cap-verdienne est loin d’être complètement résolue. Bien au contraire. Le taux de pauvreté monétaire s’est accru, passant de 30 % en 1989 à 37 % en 2002, tandis que le taux d’extrême pauvreté passait, lui, de 14 % à 20 % sur la même période. La misère se concentre, loin des regards, dans les îles non touristiques de Santo Antão, Fogo, Brava, São Nicolau et surtout Santiago (où vivent environ 55 % des pauvres de l’archipel). En clair, le Cap-Vert a beau être, comme l’affirme l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, un « exemple à suivre en Afrique dans les domaines du développement et de la démocratie », il lui reste beaucoup de chemin à parcourir dans la lutte contre les inégalités.

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