Le balai d’or
Parfois, on lit un entrefilet dans une gazette et on n’en croit pas ses yeux, on se demande pendant quelques instants si c’est vrai ou si c’est une blague. C’est ce qui m’est arrivé hier en parcourant le bulletin de l’université d’Amsterdam. En page 5, il y avait la photo d’une jeune femme souriante et sympathique dont on pouvait voir qu’elle n’était pas hollandaise : elle n’avait pas les joues roses ni les cheveux blonds ni une tulipe entre les dents En fait, on pouvait voir tout de suite qu’elle avait le type méditerranéen, cette dame, et on pouvait d’ailleurs lire, en dessous de la photo, son nom : Farida B. Forcément une Marocaine, parce qu’il y a peu d’Algériennes ou de Tunisiennes aux Pays-Bas.
Ah, ah, me suis-je dit, voilà une enseignante ou une étudiante marocaine qui s’est distinguée. C’est peut-être quelqu’un qui a découvert un vaccin contre le rhume, prouvé l’inexistence de Shakespeare ou démontré la conjecture de Goldbach.
Eh bien, pas du tout ! En lisant l’article, je m’aperçois que cette jeune femme est préposée au nettoyage de l’université, plus exactement d’un de ses immeubles, le « Bungehuis », et qu’elle a été sélectionnée pour le titre de « femme de ménage de l’année ». Vous avez bien lu : femme de ménage de l’année ! C’est très sérieux : une commission est venue interviewer la toute gracieuse Farida et a décidé de la « nominer ». Il semble qu’il y ait aux Pays-Bas (je l’ignorais jusqu’à hier) une compétition au niveau national pour élire the best nettoyeuse. Peut-être lui remet-on une médaille, un « balai d’or », à moins qu’elle ne reçoive « le grand cordon du concierge » ou « la serpillière d’argent ».
J’ai l’air de me gausser méchamment, mais pas du tout : en fait, je suis perplexe. D’un côté, j’éprouve un profond respect pour tous les travailleurs qui font bien leur boulot, quelle que soit la nature de celui-ci. De l’autre, en plaçant la photo d’une Farida « bonne de choc » dans le journal de l’université, ne renforce-t-on pas le cliché qui veut que les immigrés ne sont là que pour faire le sale boulot ?
Cette histoire m’a d’autant plus stupéfié que je revenais tout juste d’un voyage à Nancy, en Lorraine, où j’avais participé à un débat organisé par la section locale de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF). Or, dans la voiture qui nous menait au débat, je m’étais rendu compte que sur cinq passagers maghrébins, il y avait exactement cinq doctorats : biologie, physique atomique, informatique, géologie et économétrie. On est loin des balais, des seaux et des serpillières
Allez, restons calme et optimiste et contentons-nous de crier en chur : bravo, Farida ! Mais souhaitons que tes enfants décrochent, eux, des tableaux d’honneur, des médailles Fields et des Nobel
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