La valse des otages

Au moment même où une cinquantaine de militaires maliens et nigériens étaient libérés par deux groupes de rebelles touaregs, deux touristes autrichiens étaient enlevés dans le Sud tunisien par des djihadistes d’Al-Qaïda.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 4 minutes.

Coup sur coup, deux bonnes nouvelles en provenance du Sahel, ce 10 mars. À Tin Zawaten, au Mali, près de la frontière algérienne, la rébellion touarègue a libéré vingt-deux militaires qu’elle détenait depuis le mois d’août 2007. Quelques heures plus tard, le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), une autre rébellion touarègue, a annoncé l’élargissement de vingt-cinq militaires, parmi lesquels le préfet de Tanout, tous arrêtés lors d’une série d’attaques contre des objectifs gouvernementaux. Quelques heures plus tard, ces deux bonnes nouvelles ont été contrebalancées par une très mauvaise : la revendication par Al-Qaïda au Maghreb de l’enlèvement dans le Sud tunisien de deux touristes autrichiens. Maudit Sahel, décidément !
Cette bande désertique inhospitalière s’étend sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés (aucun dispositif de surveillance n’y sera jamais totalement efficace) et une demi-douzaine de pays. Les ergs y succèdent aux regs, les montagnes rocailleuses aux dunes sablonneuses. Ce véritable sous-continent saharien sert désormais de fief imprenable à tous ceux qui ont maille à partir avec une quelconque autorité, judiciaire ou gouvernementale, nationale ou étrangère. Depuis plusieurs années, les djihadistes d’Al-Qaïda l’ont transformé en base de repli. La présence dans la région de rebelles touaregs qui ne partagent nullement leurs objectifs politiques ne les gêne pas outre mesure. C’est même pain bénit pour eux, car elle ajoute à la confusion.
Parallèlement, le Sahel est devenu le carrefour de tous les trafics. Celui de la cocaïne colombienne en partance pour le Moyen-Orient, comme celui des cigarettes contrefaites au Nigeria et destinées au marché européen, ou celui des êtres humains : immigration clandestine, approvisionnement des réseaux de prostitution et des circuits frauduleux d’adoption d’enfants. Le contrôle des rares points d’eau parsemant cette immensité désertique peut donc rapporter beaucoup d’argent. Résultat : tout le monde est armé.

Inconscience
Terroristes, rebelles et trafiquants « travaillent » somme toute en bonne intelligence. Des accords sont périodiquement conclus pour éviter aux uns et aux autres de s’entretuer, même s’il arrive que des accrochages aient lieu. Bien entendu, traverser ce territoire très dangereux autrement que sous bonne escorte relève de l’inconscience. Le 22 février, Wolfgang Ebner (51 ans) et Andréa Kloiber (44 ans), deux touristes autrichiens enlevés près de Tataouine, dans le Sud tunisien, en étaient pourtant dépourvus
Hasard de calendrier, cinq ans auparavant, jour pour jour, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), aujourd’hui rallié à Al-Qaïda, avait enlevé une trentaine de touristes occidentaux dans la région de Djanet, dans le Sud algérien. Une partie d’entre eux avaient été libérés deux mois plus tard, après une opération de l’armée algérienne. Les autres avaient été transférés par les terroristes dans leur bastion de Taoudeni, dans le Nord malien (voir carte), puis libérés après paiement d’une rançon de 5 millions d’euros. Apparemment, l’argent intéresse beaucoup moins les ravisseurs des deux Autrichiens.
Depuis le rapt, les ravisseurs ont pris contact à trois reprises avec les autorités autrichiennes par le biais d’Internet. Le 9 mars, ils ont revendiqué l’opération. Le lendemain, ils ont exigé du gouvernement de Vienne qu’il fasse pression sur les forces de sécurité algériennes et tunisiennes pour que celles-ci s’abstiennent de toute opération militaire susceptible de mettre en danger la vie des otages. Par la suite, un message a été adressé au ministère autrichien des Affaires étrangères pour exiger, en échange de la libération des otages, l’élargissement de membres d’Al-Qaïda détenus en Tunisie et en Algérie.

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En ordre dispersé
« Pas question de traiter avec les terroristes », a répondu Alfred Gusenbauer, le chancelier autrichien, lors d’un sommet européen, à Bruxelles, le 13 mars. La vérité est qu’il n’avait pas le choix, ni Alger ni Tunis n’ayant pour l’instant aucune intention de céder aux salafistes. D’autant que les Autrichiens ne disposent d’aucun service spécialisé capable de « traiter » ce genre de problème. Et qu’ils sont contraints de s’en remettre à leurs alliés français et allemands, mieux implantés en Afrique du Nord et dans le Sahel.
Les armées algérienne, tunisienne et libyenne se sont lancées, en ordre dispersé, dans de délicates opérations de localisation. Les consignes transmises aux militaires sont claires : pas question de mettre en péril la vie des otages par des initiatives intempestives. Des cellules de crise ont été mises en place.
L’information d’un journal algérien selon laquelle les deux otages auraient pu être transférés au Mali paraît peu crédible, compte tenu de la longueur du trajet. Certes, le Mali présente pour les ravisseurs de nombreux avantages (leur fief de Taoudeni, ses points d’eau), mais on voit mal comment leur convoi aurait pu parcourir sans être repéré les milliers de kilomètres qui séparent Tataouine de la frontière algéro-malienne. Il est plus vraisemblable que les djihadistes se trouvent quelque part à l’intérieur d’un triangle dont les pointes seraient Tataouine, Oum el-Aranib, dans le Sud-Ouest libyen, et Djanet dans le Sud-Est algérien.

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