La distribution en accusation

Algérie, Maroc, Tunisie Là aussi les hausses de prix font des ravages. L’insuffisance des productions locales et, surtout, la désorganisation des circuits commerciaux amplifient la flambée des importations.

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

Etat d’alerte sur les prix. Une vague de hausses inégalées frappe depuis le début de l’année les produits de grande consommation en Algérie, au Maroc, en Tunisie Et jusqu’en Libye. Le phénomène s’est accéléré ces dernières semaines. La palme revient à l’huile de table et à la semoule, qui enregistrent des augmentations de 50 % à 200 % en trois mois (lire nos comparatifs pages suivantes). « En l’espace de six mois, les prix de presque tous les produits alimentaires ont doublé », relève Abdennour Nouiri, consultant international et professeur spécialisé dans la distribution à l’Institut national de commerce (INC) d’Alger. Officiellement, l’inflation a été de 4,4 % en 2007, selon le dernier chiffre de la Banque d’Algérie. Les milieux d’affaires l’évaluent entre 5 % et 6 %, alors que l’Institut américain Casey Research la fixe à 12 %. En Tunisie, les augmentations sont modérées mais fréquentes. À la fin de février, l’indice officiel des prix à la consommation avait grimpé de 5,7 % en un an.
Les trois États sont désarmés face à l’envolée des cours des matières premières agricoles. Les autorités disposent de systèmes de compensation pour subventionner les produits de base, mais les réserves s’amenuisent. Au Maroc, la Caisse de compensation a déjà pratiquement dépassé son budget, de 24 milliards de DH (4 milliards de dollars). En Tunisie, la Caisse générale de compensation absorbait en moyenne 260 millions de DT (225 millions de dollars) par an. L’année dernière, il a fallu lui consacrer 600 millions de DT, soit 1,3 % du PIB, et l’on s’attend à 1 milliard de DT en 2008.
Interpellé par des députés, le gouvernement algérien a déclaré consacrer 18 milliards de DA (2,5 milliards de dollars) par an pour subventionner les produits de première nécessité. Par ailleurs, il s’est engagé à mettre en place une commission interministérielle chargée de suivre l’évolution des prix de manière hebdomadaire. Il a aussi promis l’installation d’un office de régulation des prix des produits alimentaires. Une série d’annonces qui ne convainc pas vraiment. « On sent que le gouvernement peine à trouver les parades, considère Reda Hamiani, le président du Forum des chefs d’entreprise. Il essaie de contenir la hausse en figeant certains prix. Mais ce sont des palliatifs. Il faudrait une politique à long terme de soutien à la production pour apprendre à ce pays à être autosuffisant. »

Pas de concurrence
Les hausses de prix trouvent aussi leur explication dans la trop forte dépendance du pays. L’Algérie a importé pour 27,4 milliards de dollars (+ 27,8 %) en 2007, dont 4,5 milliards de produits alimentaires. Même problème au Maroc. La production céréalière, fortement affectée par le manque de pluie en 2007, a enregistré un net repli. Les importations de blé ont augmenté de 105 % en volume et plus que triplé en valeur (8,33 milliards de DH). De son côté, la Tunisie, contrainte d’importer 80 % de sa consommation de blé chaque année, 100 % de celle d’huiles végétales et de sucre, est gagnée par l’embrasement général. En 2007, la facture des produits agricoles importés a augmenté de 55 % et la balance commerciale alimentaire du pays est passée d’un surplus de 277 millions de DT en 2006 à un déficit inhabituel de 427 millions de DT.
L’impact négatif de cette dépendance des économies du Maghreb est amplifié par l’anarchie et l’archaïsme des circuits de distribution. Leurs méthodes sont dénoncées et remises en cause. « Beaucoup trop d’intermédiaires entrent en jeu, explique le Marocain Moncef Belkhayat, président du directoire de ATCom, une société d’investissement du groupe Finance.com, d’Othman Benjelloun. Il y a des grossistes, des semi-grossistes et chacun répercute la hausse qu’il subit, en y ajoutant sa propre marge. » Cela commence chez l’agriculteur ou l’importateur, avant même d’atteindre les marchés de gros, eux-mêmes désorganisés et en surnombre. Il en existe près de cinquante dans le royaume, dont une douzaine sont informels. « L’absence de réseaux de distribution fiables est une cause directe de l’augmentation des prix en raison de la domination de l’informel et de la pléthore d’intervenants », déplore à Alger Smaïl Seghir, consultant en management.
« Il n’y a pas de concurrence en Algérie. Les prix sont établis artificiellement par ceux qui contrôlent les circuits de distribution, renchérit Abdennour Nouiri, de l’INC. Dès que l’État a annoncé qu’il avait trouvé un terrain d’entente avec l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) pour augmenter les salaires de la fonction publique en avril 2008, les prix des fruits et légumes produits localement ont augmenté de 100 % ! » Cette situation confuse résulte du désengagement brutal de l’État, qui a mis fin à son monopole au milieu des années 1990. Un retrait qui s’est déroulé en parallèle avec la libéralisation du marché et l’ouverture des frontières. Conséquence ? Une armée d’importateurs ont occupé le terrain. Ils écoulent des marchandises chinoises ou turques à travers des filières illégales (le trabendo). Selon l’Union générale des commerçants et artisans algériens, le pays compterait 2 400 marchés informels et 500 000 commerçants travaillant au noir.

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L’informel montré du doigt
L’arrivée récente de supermarchés et d’hypermarchés commence néanmoins à changer la donne. En Tunisie, ils comptent pour plus de 10 % du commerce de détail et sont associés aux efforts du gouvernement pour tenter de garder les prix sous contrôle en pratiquant des promotions ciblées. Au Maroc, les bienfaits de la libre concurrence commencent à se faire sentir. Les magasins Acima et Marjane, même s’ils partagent le même actionnaire, l’ONA, pratiquent des politiques de distribution différentes. Ils doivent également compter avec leurs principaux concurrents, Makro, filiale de l’allemand Metro, et Aswak Assalam, du groupe Chaâbi. Les grandes surfaces représentent désormais 15 % du commerce de détail dans le pays, sur un total de 120 milliards de DH par an. « Dans les grandes villes, les prix sont maîtrisés grâce à la cohabitation des systèmes modernes et anciens de distribution », commente Moncef Belkhayat, de ATCom. Sa société est à l’origine d’un concept commercial reposant sur le principe des centrales d’achat qui revendent les marchandises aux épiciers affiliés. Ainsi est née, en moins d’un an, l’enseigne Hanouti (« mon épicier », en arabe), comprenant 150 magasins de proximité, dont 100 franchisés, d’une surface de 100 à 400 m2.
La situation est plus complexe en Algérie compte tenu du développement démesuré de l’informel. Les difficultés à s’imposer du groupe Blanky, qui avait joué le rôle de pionnier en rachetant six supermarchés d’État en 2000, n’ont rien arrangé. Le groupe essaie de rebondir et d’autres acteurs pointent leur nez. Le français Carrefour, qui a déjà un hypermarché dans la banlieue d’Alger, en construit un second pour la fin de l’année. Il a pour ambition d’en créer 18 en Algérie. Son rival Auchan est en embuscade. De son côté, Cevital, le second groupe privé algérien, a créé en 2006 Numidis, une filiale dans la distribution. Elle vient d’ouvrir ses premiers supermarchés « Uno », tout en orange. Mais elle hésiterait encore entre la création de 135 grandes surfaces ou de 500 magasins, ce qui en ferait le numéro un de la distribution dans le pays.
Pour réduire davantage la dépendance de leurs pays aux importations, les autorités tentent d’aller plus loin et de bâtir des filières intégrées qui articulent production locale et distribution. C’est le projet de l’Algérie pour relancer la production laitière et mettre un terme à la pénurie de poudre de lait d’ici à 2013. Plus de 150 000 vaches laitières seront livrées aux éleveurs. « La création de coopératives devrait préserver les intérêts des éleveurs et contribuer à contrôler la filière pour lutter contre les marges excessives », plaide Cherif Ould El-Hocine, le président de la Chambre nationale d’agriculture. En Tunisie, le gouvernement met en place une politique d’autosuffisance en matière de céréales. En octobre dernier, il a décidé d’augmenter les prix à la production, de 22 % pour le blé et de 50 % pour l’orge. Au Maroc, le plan Rawaj, doté de 100 millions de DH, vise à moderniser le secteur du commerce extérieur à l’horizon 2020. L’État veut faire disparaître les marchés parallèles pour arriver à 37 marchés de gros formels. Pour réduire le nombre d’intermédiaires, il veut créer des centres de collecte à proximité des sites de production Toutes ces mesures seront-elles suffisantes pour protéger le pouvoir d’achat des ménages et calmer la grogne qui monte dans la population ? Rien n’est moins sûr.

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