Mohamed El Kettani : « L’Afrique a fait confiance à l’Afrique »

Crises politiques, fermetures de banques, bouleversements réglementaires… Le dirigeant de la banque marocaine revient sur une décennie d’expansion. Et dévoile ses nouveaux objectifs.

Mohamed El Kettani a été nommé PDG d’Attijariwafa Bank en 2007. © Bruno Levy/The Africa CEO Forum

Mohamed El Kettani a été nommé PDG d’Attijariwafa Bank en 2007. © Bruno Levy/The Africa CEO Forum

Publié le 21 mai 2014 Lecture : 7 minutes.

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Finance : le modèle panafricain est-il en panne ?

À la mode dans les années 2000, l’implantation continentale est jugée par certains peu rentable, trop coûteuse et inefficace… Place aux banques régionales !

Sommaire

Mohamed El Kettani, 56 ans, est l’architecte de l’expansion africaine du groupe marocain Attijariwafa Bank, filiale du holding royal Société nationale d’investissement (SNI) et premier établissement bancaire du Maroc et du Maghreb. À sa tête depuis 2007, l’homme – qui nous reçoit dans son bureau à Casablanca – ne tarit pas d’éloges sur le chemin parcouru. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Attijariwafa Bank a engrangé en 2013 un bénéfice net de plus de 4 milliards de dirhams (351 millions d’euros) pour un produit net bancaire de 18 milliards de dirhams. Des chiffres inédits pour une banque marocaine. Mais la principale satisfaction de Kettani, c’est la montée en puissance des filiales africaines, qui contribuent désormais à près du tiers des revenus du groupe.

Propos recueillis par Mehdi Michbal, à Casablanca

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Jeune Afrique : Attijariwafa Bank est présente dans la plupart des États d’Afrique francophone. Va-t-elle viser les pays anglophones ?

Mohamed El Kettani : Nous avons démarré notre expansion africaine par les pays francophones pour des raisons de proximité culturelle. Mais nous ne couvrons pas encore toute cette zone. Au Maghreb, il nous reste l’Algérie. En ce qui concerne l’Union économique et monétaire ouestafricaine (UEMOA), nous allons être opérationnels au Bénin avant la fin de l’année. Et nous ne sommes présents que dans trois pays en Afrique centrale. Nous ciblons maintenant le Tchad et la Guinée équatoriale. Puis nous viserons naturellement de nouveaux espaces, anglophones et lusophones…

L’activité africaine représente 26 % de notre produit net bancaire

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Le Nigeria est un grand marché que nous ne négligeons pas. Il représente 180 millions d’habitants, un chiffre qui doublera dans trente ans. On ne peut pas se permettre d’en être absent. Mais pour le moment, il n’y a rien de concret.

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Notre demande traîne depuis sept ans déjà. Nous la renouvelons tous les ans, en vain. Les autorités disent traiter plusieurs demandes d’agrément, et que nous devons attendre notre tour.

Votre aventure africaine a débuté en 2005. Quel est votre principal motif de satisfaction ? Qu’est-ce qui vous a surpris ?

Notre principale satisfaction, c’est la reconnaissance de nos clients. Quand on est arrivé sur ces marchés, on se demandait si on allait être adopté comme une marque africaine… Et l’Afrique a fait confiance à l’Afrique. Pour ce qui est des surprises, c’est sans aucun doute la crise post-Printemps arabe en Tunisie. Au moment où le secteur bancaire tunisien a été assommé et où tous les banquiers diminuaient la voilure, Attijari a été proactif et a lancé une opération à contre-courant, Moussanada, qui visait à restructurer la dette de nos clients pour leur apporter un peu d’oxygène.

Quelques dates

1984
Diplômé de l’École nationale supérieure de techniques avancées (Paris Tech), il intègre la Banque commerciale du Maroc (BCM)
1989-2004
Exerce différentes responsabilités dans les métiers de la banque et de la finance
2004
Dirige le programme de fusion entre BCM et Wafa Bank, qui donne naissance à Attijariwafa Bank, dont il devient le directeur général
2007
Nommé PDG d’Attijariwafa Bank

C’est en période de crise que les entreprises ont besoin de nous. Nous sommes fiers d’avoir mené cette action puisque, quelques semaines plus tard, la Banque centrale tunisienne a fait de Moussanada un produit de tout le secteur.

Autre surprise : la guerre civile en Côte d’Ivoire. C’est une crise dont nous avons pu tirer des enseignements. En trente ans d’expérience, je n’avais jamais eu à fermer et à rouvrir une banque. Je l’ai fait en Côte d’Ivoire, et cela nous a permis d’enrichir nos process.

Ce qui fait votre succès au Maroc et en Tunisie, c’est un modèle réunissant banque, assurance, crédit à la consommation et banque d’affaires. Le marché subsaharien est-il mûr pour cette approche ?

Nous avons effectivement déployé ce modèle de banque universelle en Tunisie, et nous nous apprêtons à faire de même dans les autres pays du continent. Nous venons ainsi de demander une licence à la Cima [Conférence interafricaine des marchés d’assurances] pour exercer le métier de bancassureur en Afrique subsaharienne. Nous déployons aussi ce système de bancassurance au Sénégal.

L’Afrique a grandement besoin de banques universelles. On évalue à 100 milliards de dollars [72,6 milliards d’euros] les investissements à réaliser dans les infrastructures sur les dix années à venir. Et le continent a besoin de toutes les expertises. Il faut du conseil, de l’arrangement de dette, de la mobilisation d’épargne. Nous étoffons nos offres pour répondre à ces besoins.

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Wafa Assurance semble néanmoins vivre un faux départ en Côte d’Ivoire…

L’achat de la compagnie ivoirienne Safa n’a pas été finalisé parce que toutes ses archives ont brûlé lors d’un incendie l’an dernier. Mais vu le succès que connaît notre filiale d’assurance en Tunisie, nous avons jugé opportun de démarrer nos activités ex nihilo. Au lieu de racheter des sociétés, nous allons créer des firmes dont nous maîtriserons la qualité des actifs dès le départ.

Certains analystes financiers considèrent qu’être une banque panafricaine n’offre aucun avantage car l’intégration régionale est faible…

La meilleure réponse, ce sont les chiffres. L’activité africaine représente désormais 26 % de notre produit net bancaire consolidé et contribue à hauteur de 23 % à nos bénéfices. Si nous n’avions pas déployé cette stratégie sur le continent, nous n’aurions pas ce niveau de contribution. Et puis une banque comme Attijari participe à l’intégration des économies. S’il n’y avait pas ce canal bancaire pour conforter la relation de confiance entre opérateurs, jamais les entreprises gabonaises n’auraient dialogué avec leurs homologues ivoiriennes ou marocaines, ni les burkinabè avec les maliennes, etc.

C’est en période de crise que les sociétés ont besoin de nous

La crise traversée par Ecobank pose la question de la supervision des banques panafricaines, et plus précisément du nombre de régulateurs impliqués.

Nous ne sommes pas dans le même cas qu’Ecobank [supervisé par 21 régulateurs]. Attijariwafa Bank traite avec cinq régulateurs. Trois sont répartis entre le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, et deux en Afrique de l’Ouest. C’est donc beaucoup plus simple. Nous avons la chance d’avoir embrassé très tôt, au Maroc, les normes internationales.

Au départ, la profession a été réticente quand Abdellatif Jouahri [le gouverneur de la Banque centrale, Bank Al-Maghrib] nous a demandé de nous conformer aux règles de Bâle. Mais on s’est petit à petit rendu compte que cela permettait de solidifier le secteur. Aujourd’hui, on s’apprête à appliquer Bâle III. Et nous sommes même en avance sur l’Afrique du Sud. Si l’on observe ces règles extrêmement rigoureuses, on est forcément en conformité avec la réglementation africaine. Cela étant, il faudrait que les États du continent s’orientent vers un dispositif réglementaire uniforme.

Le secteur bancaire marocain vit depuis plus de cinq ans une crise de liquidités. Bank Al-Maghrib injecte toutes les semaines 60 milliards de dirhams en moyenne dans le circuit monétaire. Comment sortir de cette situation ?

Nous ne vivons pas de crise de liquidités. Les crédits à l’économie ne représentent que 105 % des dépôts, ce qui reste très loin de ce qu’on observe dans les économies développées, qui affichent des coefficients de 180 %. Cela montre que le Maroc est à la veille d’une sophistication des outils de financement, qui vont s’étendre à la Bourse, à la dette privée… Il reste encore des poches importantes pour assurer la liquidité du système bancaire.

Le coût du risque d’Attijari a augmenté de près de 50 % en 2013, comme pour la plupart des banques marocaines. Faut-il s’en inquiéter ?

Nous anticipons les risques. Dès que nous en suspectons un, nous le provisionnons. Et ce n’est pas de l’argent perdu. Cette évolution est donc très saine, au contraire, et vient prévenir des risques qui sont apparus dans certains secteurs comme la sidérurgie, les industries métalliques et métallurgiques ou encore l’immobilier résidentiel de luxe. Cette dégradation a par ailleurs été largement couverte par le niveau d’activité et de rentabilité de la banque.

La SNI, votre maison mère, avait annoncé qu’elle se désengagerait d’une partie du capital d’Attijari. Est-ce toujours d’actualité ?

La SNI avait annoncé en 2010 qu’elle se désengagerait de ses filiales matures. Mais elle n’a jamais dit qu’elle céderait totalement Attijariwafa Bank, même si celle-ci est considérée comme mature. Elle sera toutefois disposée à en céder de 10 % à 15 %, mais il n’y a aucune urgence.

Attijari a multiplié les partenariats commerciaux avec des institutions internationales comme Bank of China, Deutsche Bank… À quoi servent-ils ?

Nous avons cinq partenariats phares. Par sa présence africaine, Attijari éveille la curiosité d’un certain nombre d’opérateurs internationaux qui ne sont pas installés physiquement sur le continent, mais qui y ont des intérêts à travers leurs clients. C’est l’objet de nos alliances avec Bank of China, Qatar National Bank (QNB), Deutsche Bank, US Exim Bank et Opic. Ces institutions s’intéressent beaucoup à l’Afrique. Et font d’Attijari leur porte d’entrée. La clientèle de Bank of China doit par exemple traiter exclusivement avec Attijari. Et vice versa pour notre clientèle africaine ayant des intérêts en Chine. Idem pour Deutsche Bank ou US Exim Bank, le bras armé du gouvernement américain à l’international.

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