Dossier finance : le modèle panafricain est-il en panne ?

À la mode dans les années 2000, l’implantation continentale est jugée par certains peu rentable, trop coûteuse et inefficace… Place aux banques régionales !

Publié le 23 mai 2014 Lecture : 8 minutes.

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Finance : le modèle panafricain est-il en panne ?

À la mode dans les années 2000, l’implantation continentale est jugée par certains peu rentable, trop coûteuse et inefficace… Place aux banques régionales !

Sommaire

Ecobank, la plus emblématique des banques panafricaines, tient les observateurs en haleine depuis début 2013. Les graves problèmes de gouvernance qu’elle traverse ont révélé l’une des grandes fragilités des établissements panafricains : les procédures qui régissent ces groupes et les garde-fous censés les protéger n’ont pas toujours suivi le rythme de leur expansion géographique. Tandis qu’Ecobank passait d’une douzaine de filiales en 2001 à 35 en 2014, le manque d’indépendance de ses mécanismes de gouvernance tels que le contrôle interne et le comité d’audit était régulièrement dénoncé, notamment par le gendarme de la Bourse nigériane.

Mais si l’on en croit une récente étude de Renaissance Capital (RenCap), une banque d’investissement spécialisée dans les marchés émergents, c’est loin d’être la seule faiblesse d’Ecobank et, par extension, de l’ensemble des groupes de ce type. Dans la plupart d’entre eux, la logique d’expansion géographique l’emporte sur l’efficacité opérationnelle, selon RenCap. Son rapport dénonce notamment une rentabilité décevante, un coefficient d’exploitation (mesure de la maîtrise des coûts) trop élevé et l’impossibilité de concurrencer les grandes banques internationales sur le créneau des multinationales comme autant de preuves que ce mode de développement ne fonctionne pas.

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Heures de gloire

Le modèle panafricain a connu ses heures de gloire au milieu des années 2000. En dehors d’Ecobank et de Bank of Africa, plusieurs établissements ont animé ce mouvement. Les groupes nigérians – parmi lesquels United Bank for Africa (UBA), Access Bank et Guaranty Trust Bank (GTBank) – ont ouvert la marche.

Puis sont arrivés leurs concurrents sud-africains, en premier lieu Barclays Africa Group et Standard Bank, mais aussi Nedbank – qui s’apprête à devenir le plus important actionnaire d’Ecobank. Enfin, les trois principaux établissements marocains ont racheté des réseaux subsahariens existants : Attijariwafa Bank a absorbé plusieurs filiales du Crédit agricole, BMCE s’est adjugé Bank of Africa (BOA), et Banque centrale populaire (BCP) a assimilé l’ivoirien Banque Atlantique.

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Aujourd’hui, la tendance s’essouffle. Ecobank, qui finalise son implantation continentale en Angola, au Mozambique et en Éthiopie, semble faire exception.

Et si le nigérian Access Bank s’est retiré de plusieurs marchés, UBA, présent dans près de vingt pays, peine à digérer son menu gargantuesque des années 2000. « Les banques panafricaines connaissent une indéniable crise de croissance », constate Khaled Ben Jilani, spécialiste du secteur chez AfricInvest, un capital-investisseur panafricain situé à Tunis.

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Réglementations

La fin de cette ère expansionniste a coïncidé avec la crise financière mondiale, notamment en raison du durcissement des réglementations prudentielles – au Ghana, le minimum de fonds propres exigé est en passe de doubler pour atteindre 50 millions d’euros environ ; en Zambie, il a été porté à 100 millions de dollars (72 millions d’euros) et, dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), il est passé de 1 à 5 milliards de F CFA (de 1,5 à 7,6 millions d’euros) et devrait bientôt atteindre 10 milliards de F CFA, ce qui obligera les banques à maîtriser leurs dépenses de croissance externe.

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Au Nigeria, la Banque centrale (CBN) est allée jusqu’à interdire temporairement aux établissements nationaux de financer leurs acquisitions hors des frontières avec des fonds domestiques. Enfin, la valorisation des banques subsahariennes paraît trop élevée pour de nombreux investisseurs : elle équivaut à un multiple de deux fois les fonds propres, contre un multiple de un en moyenne dans d’autres zones émergentes comme l’Asie du Sud-Est ou l’Amérique latine.

Mohamed El Kettani : « L’Afrique a fait confiance à l’Afrique »

Crises politiques, fermetures de banques, bouleversements réglementaires… Le PDG d’Attijariwafa Bank revient sur une décennie d’expansion. Et dévoile ses nouveaux objectifs.

Jeune Afrique : Attijariwafa Bank est présente dans la plupart des États d’Afrique francophone. Va-t-elle viser les pays anglophones ?

Mohamed El Kettani : Nous avons démarré notre expansion africaine par les pays francophones pour des raisons de proximité culturelle. Mais nous ne couvrons pas encore toute cette zone. Au Maghreb, il nous reste l’Algérie.

En ce qui concerne l’Union économique et monétaire ouestafricaine (UEMOA), nous allons être opérationnels au Bénin avant la fin de l’année. Et nous ne sommes présents que dans trois pays en Afrique centrale. Nous ciblons maintenant le Tchad et la Guinée équatoriale. Puis nous viserons naturellement de nouveaux espaces, anglophones et lusophones…

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Se pose donc la question essentielle du financement pour nombre de ces établissements, une expansion nécessitant des fonds propres importants. Or la plupart d’entre eux – Ecobank en tête – ne souhaitent pas perdre le contrôle au profit d’un groupe étranger.

Statutairement, les bailleurs (pourvoyeurs de fonds habituels) ne peuvent pas non plus y prendre de position majoritaire. Enfin, la plupart des grandes banques internationales, soit par manque d’appétit, soit en raison d’une santé financière fragilisée par la crise, ne semblent pas prêtes à s’embarquer dans une aventure africaine.

Handicaps

La conquête du continent peut en effet s’avérer coûteuse. Deux possibilités s’offrent aux établissements désireux de croître : créer une filiale ex nihilo ou réaliser une acquisition. « Chacune de ces solutions est susceptible de condamner le modèle des banques panafricaines, explique Laureen Kouassi Olsson, directrice d’investissement chez Amethis Finance et spécialiste du secteur. L’acquisition présente des difficultés d’absorption, de qualité du portefeuille et de recapitalisation, tandis que le démarrage à partir de rien induit des lourdeurs administratives pour l’obtention de licences bancaires, nécessite la création d’un réseau d’agences coûteux, sans compter les obstacles à franchir pour construire une marque et la rendre visible sur le marché. »

Des handicaps qui freinent les performances opérationnelles des filiales de banques continentales. Car plus que la gouvernance, le problème de fond du modèle panafricain est sa capacité à générer des revenus sur un grand nombre de marchés. Pour reprendre l’exemple d’Ecobank, sa réussite apparente à travers l’Afrique subsaharienne masque des disparités très importantes. Ainsi, sur les neuf premiers mois de 2013, elle a réalisé 41 % de ses revenus au Nigeria, tandis que ses opérations en Afrique de l’Est n’en représentaient que 3 % et perdaient de l’argent sur la même période. Par ailleurs, le marché nigérian ne pèse que 21 % de ses résultats avant impôt.

L’expansion panafricaine va également de pair avec une augmentation incontrôlée des coûts et des risques. Ainsi, son coefficient d’exploitation se classe parmi les moins bons de son groupe de concurrents de taille comparable, notamment en raison des coûts de ses nombreuses filiales. Autre exemple, les coûts d’UBA se sont alourdis sans qu’elle parvienne à produire des profits significatifs. En 2012, elle générait 19 % de ses revenus hors du Nigeria, mais en tirait seulement 7 % de ses bénéfices après impôt. Pour Ben Zwinkels, ancien dirigeant du FMO, l’agence de développement néerlandaise, qui a notamment participé au conseil d’administration de Bank of Africa, la priorité devrait être donnée à la consolidation de ce qui existe : « Peut-on bien diriger quand on est présent dans 25 pays ? La banque doit être rentable et durable, il ne faut pas agrandir jusqu’à chuter ! »

Paul Derreumaux : « Les banques panafricaines sont des pionnières de l’intégration »

Après avoir lancé Bank of Africa (BOA) en 1982, Paul Derreumaux en a fait un véritable groupe panafricain, désormais contrôlé par le marocain BMCE. Cet observateur privilégié des évolutions du secteur bancaire du continent reste administrateur du holding BOA et président des filiales malienne et française.

Jeune afrique : L’expansion des banques panafricaines connaît-elle un coup d’arrêt ?

Paul Derreumaux : Tout à fait, depuis deux ans, et ce pour deux raisons. Tout d’abord il faut digérer l’énorme mouvement d’expansion auquel on a assisté entre 2005 et 2010. Ce fut notamment le cas des banques marocaines et d’Ecobank.

Ensuite, cette dynamique et le respect de la réglementation exigent des fonds propres très importants. Il faut du temps pour accumuler le capital nécessaire. Au Maroc et, de manière encore plus visible, au Nigeria, les banques centrales y veillent.

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Régionalisation

« En réalité, observe Paul Derreumaux, fondateur de BOA et vétéran du secteur bancaire subsaharien, on observe un coup de frein chez les plus grands, mais une accélération chez ceux qui suivent. » La faiblesse de l’intégration continentale contredit la logique selon laquelle il faudrait par exemple être présent à la fois dans l’est et dans l’ouest de l’Afrique, dans la mesure où aucune entreprise n’est active dans ces deux zones, à part des multinationales déjà clientes de banques internationales.

À l’inverse, dans un ensemble régional cohérent tel que l’UEMOA, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) ou la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), le maintien de la compétitivité passe par la régionalisation, notamment pour atteindre une taille critique. Le rachat de la ouest-africaine Banque régionale de solidarité (BRS) par le groupe Orabank s’inscrit dans cette logique. « Avec l’acquisition de BRS, nous avons pu être présents sur les plus gros marchés des zones UEMOA et Cemac et bénéficier d’une véritable intégration économique sous-régionale », soutient Ferdinand Kemoun Ngon, associé de l’investisseur ECP (Emerging Capital Partners) et numéro deux d’Orabank.

D’autres challengeurs, comme le gabonais BGFI Bank, présent dans une dizaine de pays, ou le camerounais Afriland First Bank, qui vient de s’implanter en Côte d’Ivoire, intensifient la concurrence. Et depuis que la CBN a levé son interdiction, GTBank a repris le chemin des acquisitions, de même que First Bank, qui a acheté les filiales ouest-africaines du malaisien International Commercial Bank (ICB). En Afrique de l’Est, le kényan Equity Bank, déjà actif en Tanzanie, au Rwanda, au Soudan du Sud et en Ouganda, a annoncé qu’il allait probablement faire son entrée sur cinq nouveaux marchés dans les dix prochaines années. Une expansion plus ciblée, mais aussi plus lente.

« Si le modèle panafricain montre certaines limites, la compétitivité des banques passe par une croissance externe, qu’elle soit domestique ou régionale. Compte tenu de la forte croissance du secteur à l’échelle du continent, ces stratégies d’expansion doivent être déployées maintenant », prévient Laureen Kouassi Olsson.

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