Information : il n’est pas interdit d’interdire…

Les ministres arabes de l’Information adoptent une charte journalistique aux formulations parfois ambiguës. Code de bonne conduite ou texte liberticide ?

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

Bâillonné et ligoté sur son fauteuil, l’invité de l’émission « Sans Frontières », sur la chaîne satellitaire d’information qatarie Al-Jazira, fait face au journaliste Ahmed Mansour, qui le sermonne sur un ton inquisiteur. « Nous t’avons ligoté et bâillonné parce que nous ne faisons pas confiance à ta langue, et parce que, à compter de maintenant, nous allons appliquer à tous nos invités les décisions des ministres arabes de l’Information. Désormais, nous ne permettrons à personne de toucher à un leader arabe ou à un ministre » Puis il brandit un gros bâton et une paire de ciseaux qu’il manie comme pour couper une langue. Et avertit son invité, une dernière fois : « Et si tu dévies, à gauche ou à droite, le bâton est là, et les ciseaux aussi pour les langues pendues »
La (mise en) scène se passe le 21 février, une semaine après que les ministres de l’Information des pays membres de la Ligue des États arabes ont approuvé un document intitulé « Principes d’organisation de la diffusion satellitaire dans la zone arabe », et que certains ont interprété comme une limitation de la liberté d’expression. Et Ahmed Mansour, provocateur comme à son habitude, de relancer son invité, le grand humoriste marocain Ahmed Sanoussi, plus connu sous le nom de Bziz, qui n’a pas la réputation d’avoir la langue dans sa poche, en l’invitant à commenter la décision ministérielle. Ce que l’humoriste fait volontiers, avec la causticité qu’on lui connaît : « Ils contrôlent les chaînes terrestres. Maintenant, il va leur falloir une police de l’espace. Ce sont là de grandioses réalisations répressives ! Ce document a été signé à la Ligue arabe, qu’on devrait plutôt appeler la Ligue des interdictions. »
Puis Bziz tente d’imaginer la même scène chez un téléspectateur arabe. « Il regarde la chaîne nationale et s’ennuie. Alors il zappe. De l’écran, surgit un homme armé qui lui ordonne : reste sur la chaîne nationale ! Tu vas écouter un discours de Sa Majesté le Président ! Et ne cherche pas à aller vers une autre chaîne, sinon je reviendrai. » Mais Bziz ne s’inquiète pas pour autant, car, dit-il, « la Ligue arabe est un cimetière de décisions ».
Le document des ministres arabes est-il répressif au point de justifier un tel tollé ? À l’origine des accusations de « liberticide », l’article 4 de la charte, le plus controversé. Il stipule que les chaînes télévisées satellitaires doivent, entre autres, « s’engager à ne pas porter atteinte aux dirigeants [des peuples et États arabes] ou à leurs symboles nationaux ». Une formulation ambiguë qui aurait pour conséquence une remise en cause de la liberté de critiquer les classes dirigeantes arabes, et qui viserait tout particulièrement Al-Jazira, célèbre pour sa liberté de ton.
« Qualifier ce document de répressif est une accusation non fondée », s’insurge Slaheddine Maaoui, directeur général de l’Arab States Broadcasting Union (ASBU, Union des radios et télévisions arabes), dans un entretien avec Jeune Afrique. Maaoui, présent à la réunion des ministres arabes de l’Information lors de l’adoption du document, affirme haut et fort que « jamais le nom d’Al-Jazira n’a été évoqué. C’est impossible ». Pour lui, le principe d’une réglementation s’impose. « Elle était nécessaire parce qu’il y avait un vide juridique total, plaide-t-il. Le monde arabe est la seule région au monde qui ne dispose d’aucune réglementation dans un domaine où règne une sorte d’anarchie. Le texte relève d’une politique de réglementation à dominante éthique. Et les rédacteurs de la charte arabe se sont d’ailleurs inspirés de la réglementation européenne en la matière. »
Sauf que les rédacteurs auraient mieux fait de s’arrêter là. En comparant les textes originaux des deux réglementations, on s’aperçoit en effet que ces « experts », généralement choisis dans les cercles du pouvoir et donc rarement indépendants, ont rajouté des clauses de leur cru. Les ministres arabes de l’Information doivent se retrouver en juin prochain pour réfléchir aux moyens de mettre en application cette charte, peut-être par l’intermédiaire d’une instance ad hoc. Il est question de confier ce rôle à un Conseil supérieur de l’audiovisuel, à créer dans chaque État. Une hypothèse tout à fait envisageable, mais les ambiguïtés contenues dans certaines des clauses de la charte seront-elles levées pour autant ?

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