Hillary la guerrière
Barack Obama, son adversaire démocrate pour la présidentielle, est en train d’en faire l’expérience : l’ex-First Lady n’est jamais plus redoutable que lorsqu’elle semble en difficulté. Toute sa vie en témoigne…
Impressionnante Hillary Clinton ! Deux fois, en janvier et en mars, elle a été donnée battue dans la course à l’investiture du Parti démocrate pour l’élection présidentielle du mois de novembre, face à un Barack Obama porté par une lame de fond médiatique et populaire jusque dans de petits États comme le Wyoming. Deux fois, elle est revenue dans la course en l’emportant dans les États qui comptent : New York, la Californie, le Texas, l’Ohio
Alors quand, au lendemain de cette résurrection, elle déclare qu’elle ira « jusqu’au bout », bien que toujours menée aux points, on peut assurément la croire. Pour peu qu’elle remporte l’importante primaire de Pennsylvanie, le 22 avril, le suspense entre Clinton et Obama pourrait durer jusqu’à la convention démocrate, à Denver, fin août.
Célèbre journaliste dont les articles sur le scandale du Watergate, cosignés avec Bob Woodward, poussèrent le président Richard Nixon à la démission en 1973, Carl Bernstein donne quelques-unes des clés de cette formidable combativité dans l’un des livres les plus nuancés consacrés à l’ancienne First Lady, objet d’adulation et de haine comme peu d’hommes politiques1.
Un jour, à l’âge de 4 ans, elle revient en pleurs de chez des voisins, où Suzy, une fillette de son âge, l’a rudoyée. « Retournes-y immédiatement, lui dit sa mère. Tu n’as qu’à riposter. Je t’en donne la permission. Il faut que tu saches te défendre sur cette terre, bon sang ! En tout cas, il n’y a pas de place pour les lâches dans cette maison. » Hillary est donc allée frapper Suzy, ce qui n’a pas empêché cette dernière de devenir son amie. La leçon n’a jamais été oubliée2.
Survivre à la Maison Blanche
Née en 1952 à Chicago, Hillary a ajouté ce trait familial à la rudesse des gens du Midwest. Cela lui a donné une capacité de rebond peu commune, qui lui a, par exemple, permis d’aider Bill, son mari, à se relancer après divers déboires électoraux, dans les années 1970, dans l’Arkansas. De 1992 à 2000, cela lui a surtout permis de survivre, à la Maison Blanche, à plusieurs catastrophes : le suicide d’un de ses proches, Vince Foster ; l’échec de son projet de création d’une sécurité sociale universelle ; les enquêtes judiciaires inspirées par les ultraconservateurs à propos du scandale immobilier Whitewater ; et, surtout, les infidélités à répétition de son président de mari.
Engagée en politique du côté des républicains, comme son père, elle se passionne, dès l’âge de 12 ans, pour la chose publique : elle est déléguée de classe dans le secondaire, puis présidente des jeunes républicains au lycée C’est donc tout naturellement qu’elle épouse Bill Clinton, rencontré dans un cours de droit à l’université de Yale et qui partage avec elle la conviction qu’il est possible de changer le monde. Cette mission – que Bernstein appelle leur « voyage » -, ils ne la conçoivent pas autrement qu’en couple. Pour le meilleur comme pour le pire, ils resteront soudés.
Elle complète le charisme de Bill par une rationalité à toute épreuve. Lui est enclin à contourner l’obstacle ; elle, à foncer droit sur lui. Bernstein note chez eux un curieux « effet de balancier » : quand Bill est politiquement au plus mal, comme après la révélation de ses fredaines extraconjugales, Hillary vole à son secours. Et quand Hillary est à son tour en difficulté, devant le redoutable procureur Kenneth Starr ou pendant la campagne pour la primaire de l’Ohio, en janvier, Bill l’épaule. Elle est plus à gauche que lui et aurait préféré qu’il s’occupe un peu moins de réduire les déficits et un peu plus d’améliorer la protection sociale des 37 millions d’Américains qui en étaient dépourvus.
Et puis, Hillary est naturellement féministe. Son ambition dans la vie n’a jamais été de rester à la maison pour « préparer des cookies et servir le thé ». Encore moins de « laisser son cerveau au vestiaire ». Quand son mari a été élu, en 1992, elle était, note Bernstein, « la première First Lady qui exerçait une activité professionnelle, la première féministe moderne à habiter la Maison Blanche, la première épouse à avoir reçu une mission officielle ».
La langue du silence
Huit ans plus tard, elle sera la première épouse de président élue au Congrès pendant le mandat de son mari et la première sénatrice de New York. Sept ans encore et elle sera la première Américaine à se lancer dans la course à la Maison Blanche avec de réelles chances de l’emporter. Elle a fait sien, en 1995, un poème que lui a dédié une jeune Indienne : « Trop de femmes / Dans trop de pays / Parlent la même langue / Celle du silence » Elle se veut la porte-parole de ses « surs ».
C’est dire le dilemme auquel elle a été confrontée quand, au petit matin du 15 août 1998, Bill l’a réveillée pour lui avouer qu’il lui avait menti et qu’il s’était bel et bien laissé aller avec Monica Lewinsky, une stagiaire de la Maison Blanche, à une intimité « inappropriée ». En dépit de ses convictions féministes, elle a choisi de préserver son couple plutôt que son amour-propre. « En tant qu’épouse, reconnaîtra-t-elle par la suite, j’aurais volontiers tordu le cou à Bill. Mais il n’était pas seulement mon mari ; il était aussi mon président et j’ai pensé qu’en dépit de tout, il menait l’Amérique et le monde sur un chemin que j’approuvais. »
Militante et passionnée, Hillary est perçue par la droite conservatrice, mais aussi par l’aile gauche des démocrates et une notable partie de l’opinion américaine, comme hautaine, fourbe et même « stalinienne ». Elle a d’abord, note Bernstein, « une relation difficile avec la vérité ». Ou, plus exactement, avec l’image qu’elle entend donner d’elle-même. L’affaire Whitewater n’aurait jamais eu lieu si Hillary avait accepté de publier ses archives concernant cette douteuse opération de promotion immobilière. Mais cela l’aurait obligée du même coup à admettre qu’elle avait gagné 100 000 dollars, pour une mise initiale, deux ans auparavant, de 1 000 dollars, en spéculant sur les cours du bétail. Ce qui évidemment ne collait pas avec son hostilité affichée envers les spéculateurs !
Elle a « l’esprit conservateur et le cur à gauche ». Cette complexité la conduit à adopter des positions en apparence contradictoires qui suscitent logiquement des accusations de duplicité. Elle est, par exemple, pour l’interruption volontaire de grossesse, mais favorable à la peine de mort Elle adhère aux enseignements de Martin Luther King, mais vote les pleins pouvoirs à George W. Bush pour attaquer Saddam Hussein
Sur ce sujet, Bernstein confirme qu’en 2003 elle a cru Condoleezza Rice, alors patronne du Conseil national de sécurité, lorsque celle-ci l’a assurée que le président ne déclencherait pas les hostilités sans l’aval de l’ONU. Aujourd’hui encore, elle refuse mordicus de s’excuser, comme le lui demandent de nombreux Américains, pour avoir voté au Sénat en faveur de la guerre.
Son refus des demi-mesures et des courbettes diplomatiques est légendaire. Longtemps, elle a tenu à conserver son nom de jeune fille, Rodham, et refusé de porter celui de son mari, ce qui a d’ailleurs contribué à l’un des échecs de Bill dans l’Arkansas. Ce refus des compromissions a aussi fait échouer son projet de loi sur la couverture sociale universelle, qu’elle n’a pas su « vendre » au Congrès. Et il l’amène à considérer, de manière excessive, la presse et la bonne société de Washington comme d’irréductibles ennemies. Cette paranoïa lui a durablement aliéné ces deux piliers de la politique nationale
En 1992, dans ses meetings, Bill lançait volontiers : « Votez pour moi et vous aurez deux présidents pour le prix d’un » – et cela plaisait. Aujourd’hui, le couple séduit beaucoup moins. Après les années sombres de la présidence Bush, un grand désir de tourner la page se fait jour. Et il ne sert assurément pas les Clinton. Leur retour éventuel à la Maison Blanche est assimilé à une peu enthousiasmante « restauration ». Même si Hillary projette d’utiliser les talents de son mari pour réconcilier l’Amérique avec le reste du monde. Et si Bill promet d’inventer la fonction de « First Laddie » (« premier mec », en argot).
Au passage, le livre de Bernstein tord le cou à quelques ragots concernant Hillary Rodham Clinton. Non, elle n’est pas homosexuelle : et il donne la liste de ses petits amis à l’université. Non, elle n’est pas gauchiste : et il prouve son positionnement très centriste sur l’échiquier politique. Oui, c’est une guerrière qui n’est jamais aussi redoutable que lorsqu’elle semble en difficulté : Barack Obama est en train de s’en apercevoir.
Artillerie lourde
Force est de reconnaître que la descente aux enfers vécue, depuis le début de l’année, par l’ancienne favorite des sondages a donné lieu à de sérieux dérapages. Ainsi, le directeur de campagne d’Hillary a été contraint de démissionner : il avait cru devoir insister lourdement sur le fait que, dans son adolescence, Obama avait consommé diverses drogues – ce que ce dernier ne cache nullement dans son autobiographie. De même, Bill a scandalisé en tentant de réduire les succès de son adversaire à un vote « racial » – ce qui a surtout eu pour effet de faire basculer les Africains-Américains dans le camp adverse.
Depuis quelques semaines, l’artillerie clintonienne a rectifié le tir. Elle dénonce le double langage d’Obama concernant le traité de libre-échange nord-américain (Alena), qu’il condamne en meeting mais aurait promis aux Canadiens de respecter – ce qui reste à démontrer. Elle feint de s’interroger sur la nature de ses relations avec un promoteur immobilier de Chicago cité à comparaître devant les tribunaux Elle pilonne sans relâche son manque d’expérience et le flou de son programme Bref, la bataille fait rage.
1. Hillary Clinton, une femme en marche, par Carl Bernstein, Éd. Baker Street, 732 pages, janvier 2008.
2. Mon histoire, par Hillary Rodham Clinton, Fayard, 684 pages, 2003.
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