Dominique Strauss-Kahn : « La crise aura un impact sur l’Afrique »

Le directeur général du Fonds monétaire international estime que le ralentissement de l’économie mondiale et l’inflation auront des répercussions sur le continent. Et rejette la critique d’ultralibéralisme adressée à l’institution.

Christophe Boisbouvier

Publié le 17 mars 2008 Lecture : 9 minutes.

Jeune Afrique : Que faire pour calmer la colère des populations confrontées à la vie chère ?
Dominique Strauss-Kahn : Il n’y a pas de recette miracle, ce serait trop facile. Provisoirement, on peut prendre des mesures pour atténuer les effets de la tension sur les marchés. Le Burkina a par exemple suspendu récemment ses droits de douane sur le riz et le lait en poudre. Mais les autorités ne peuvent se passer durablement de rentrées fiscales qui représentent autant de ressources ou de possibilités d’investissement. D’ailleurs, le gouvernement essaie de récupérer ce qu’il perd en augmentant la fiscalité des commerçants, une catégorie professionnelle qui fait l’objet de peu de prélèvements. Mais ces derniers ont déjà réagi en augmentant leurs prix. Au final, on perd d’un côté ce que l’on a voulu gagner de l’autre.

Est-ce qu’il ne faut pas alors bloquer les prix ?
Le blocage des prix ne fonctionne jamais bien et ne peut être utilisé que de manière très temporaire. Cela favorise le marché noir et entraîne de « faux choix » économiques. C’est la même chose pour les subventions. La seule vraie solution à long terme consiste à faire face aux besoins des populations. Le Malawi a doublé sa production agricole en trois ans.

la suite après cette publicité

Oui mais, dans l’immédiat, vous soutenez le choix des subventions. La doctrine ultralibérale fait place au pragmatismeÂ
La critique de l’ultralibéralisme est assez peu fondée même si le FMI a toujours défendu l’économie de marché. Le FMI apparaît comme pompier envoyé pour éviter la contagion en cas de crise. Et parfois, ses lances à incendie sont tellement puissantes qu’elles éteignent le feu avec le risque de noyer les individus. Trouver les moyens de mieux remplir notre mission, à moindre coût, est évidemment un élément de la réflexion à venir.

Vos prévisions de croissance en Afrique sont de 6,9 % pour 2008. Ne sont-elles pas trop optimistes dans un tel contexte ?
Je ne crois pas à la thèse du découplage selon laquelle le ralentissement en Europe et aux États-Unis n’aura d’impact ni sur les pays émergents ni sur les nations pauvres. Je pense au contraire que les grands pays émergents, Chine et Inde en tête, connaîtront une baisse d’un point de croissance. Mais pour l’Afrique, il me semble raisonnable de miser sur un demi-point.

Le baril à 100 dollars est-il une chance ou une malédiction pour l’Afrique ?
Dans un certain nombre de pays producteurs, les populations ne jouissent pas des retombées de la manne pétrolière comme elles seraient en droit de l’exiger. Dans plusieurs États pétroliers, l’exploitation des ressources pétrolières a tendance à se faire au détriment des autres secteurs d’activité. Globalement, on peut y voir plus d’inconvénients que d’avantages.

La Côte d’Ivoire et le Cameroun, notamment, ont signé avec l’Union européenne les Accords de partenariat économique (APE). De quoi menacer l’intégration régionale ?
La critique des APE porte essentiellement sur le rapport de force entre l’Europe et les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Une certitude : plus la discussion sera multilatérale, plus elle rétablira le rapport de force en faveur du continent. Cela dit, on ne peut pas reprocher à certains pays de vouloir avancer commercialement.

la suite après cette publicité

Qu’il s’agisse des APE ou du cycle de Doha, estimez-vous que les nations pauvres sont assez protégées face aux exportations des pays riches ?
Il est légitime que pendant un certain temps des économies en développement puissent préserver leurs industries naissantes. Mais l’objectif doit être de permettre à tous de profiter de l’expansion des échanges. De ce point de vue, une conclusion satisfaisante du cycle de Doha est essentielle.

Les exportations de la zone franc sont actuellement pénalisées par l’euro fort. Faut-il dévaluer le franc CFA ?
Ce n’est pas la tradition du FMI de s’engager dans ce genre de considérations. Il est vrai que les exportations de la zone franc sont rendues difficiles par un euro fort. D’un autre côté, les importations, notamment de pétrole et de produits alimentaires, pèsent moins sur le pouvoir d’achat. Et sur les dix dernières années, les progrès de croissance les plus remarquables sur le continent proviennent de la zone franc. Ajoutons que la zone franc favorise l’intégration régionale.

la suite après cette publicité

Le développement diversifié de la Tunisie et, dans une moindre mesure, du Maroc, peut-il être un modèle en Algérie ?
Cela revient à la question que vous me posiez tout à l’heure : est-ce que le fait d’avoir du pétrole ou du gaz est un avantage ou un inconvénient ? C’est bien sûr un avantage considérable en matière de ressources financières et aussi, un peu, pour l’emploi. Mais cela conduit aussi à une sorte de « monoculture ». Or il est difficile de concevoir le développement d’une économie sur le long terme sans diversification.

On parle beaucoup du projet d’Union méditerranéenne. N’est-ce pas un gadget ?
Non. Je crois à la nécessité de créer des liens plus étroits entre les différents pays du pourtour méditerranéen, en particulier entre ceux de l’Union européenne et ceux du Maghreb. C’est l’intérêt des deux parties. L’intérêt de l’Europe est d’aider plus massivement le sud de la Méditerranée à se développer à travers un véritable échange de savoirs et de technologies. C’est logique pour des raisons historiques et de proximité géographique. C’est aussi la seule manière de stabiliser les populations d’Afrique du Nord et de contenir les flux migratoires.

Donc l’idée du président Sarkozy est bonneÂ
C’est une idée dont il n’a pas, seul, la paternité.

La Chine s’impose progressivement comme le premier partenaire africain. En prêtant massivement, par exemple 6 milliards de dollars à la RD Congo, ne sape-t-elle pas vos efforts ?
C’est un phénomène nouveau et massif. Les organismes de développement doivent veiller à ce que les conditions et les sommes engagées soient soutenables, car l’octroi de prêts – sans condition et en dehors d’analyses véritables – peut être à l’origine de nouveaux déséquilibres. D’où la nécessité de la concertation entre les bailleurs. J’ai récemment rencontré les autorités chinoises qui m’ont paru prêtes à discuter des modalités de leur aide à l’Afrique. À cette fin, le FMI a signé un protocole de coopération et d’assistance technique avec la China Development Bank, la plus active des trois banques chinoises en Afrique.

Votre rôle n’est-il pas revu à la baisse avec l’arrivée de nouveaux partenaires du Sud ou de la finance islamique ?
C’est le contraire. Nous devons veiller à ce que les prêts de ces nouveaux bailleurs s’insèrent dans un cadre économique qui tienne à peu près la route. Personne n’a intérêt à provoquer de nouvelles crises avec le risque d’entraîner des défauts de paiement pour que l’argent investi ne disparaisse pas dans les sables.

Le secrétaire d’État français à la Coopération, Jean-Marie Bockel, insiste sur la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Vous ne semblez plus en faire un principe moralÂ
La bonne gouvernance est un élément décisif, mais elle n’est pas uniquement liée à la lutte contre la corruption. Par ailleurs, même si elles sont essentielles, ce n’est pas seulement pour des raisons morales que l’on doit lutter contre ces phénomènes mais aussi pour une question d’efficacité. Tous nos efforts doivent porter sur l’amélioration du système fiscal, budgétaire et douanier, ou bien encore sur l’émergence de Banques centrales autonomes et efficaces.

À propos de la Côte d’Ivoire et de la RD Congo, est-ce que les règles de bonne gouvernance sont un préalable à la signature d’accords avec le Fonds ?
Bien sûr. Le dossier de la Côte d’Ivoire doit prochainement passer au conseil d’administration du FMI, et je discutais récemment avec les Ivoiriens d’un certain nombre de sujets comme celui des tarifs de l’électricité. Les règles de bonne gouvernance sont évidemment examinées avant de donner un accord. Si nous avons le sentiment que les autorités n’empruntent pas la voie du développement, nous pouvons les mettre en garde ou retarder la mise en place d’un programme.

Peut-on résumer le problème de la bonne gouvernance ivoirienne à la hausse des tarifs d’électricité alors que règne la plus grande opacité dans les filières cacao et pétroleÂ
Non, mais je ne veux pas rentrer dans les détails de ce qui va se passer au conseil du Fonds dans quelques semaines. C’est de la responsabilité de l’État ivoirien d’organiser correctement ces filières. L’une des questions est de savoir quand aura lieu l’élection présidentielle. En attendant, le retour à une situation calme est une chose très positive. Et la communauté internationale espère la tenue dans le courant de cette année d’un scrutin incontesté. L’exercice démocratique est un élément important du fonctionnement du marché. Démocratie et marché vont de pair, comme l’ont souligné nombre d’économistes, notamment le Prix Nobel d’économie Amartya Sen.

Global Witness affirme que le FMI mène une politique à géométrie variable, notamment au Congo et au Gabon, en raison des interventions politiques françaisesÂ
Non, le Fonds est insensible aux interventions politiques. En revanche, il se préoccupe des politiques de développement de ses États membres. Le conseil du FMI est composé de 24 administrateurs qui représentent un ensemble d’intérêts. Certains, à l’instar de la France et du Royaume-Uni, prennent souvent la défense des pays à bas revenu alors que d’autres pays y sont moins sensibles. Ce débat n’est pas nouveau. Aujourd’hui, la grande majorité des gouverneurs ont compris la nécessité d’appuyer les pays du Sud.

Vous préconisez une plus grande place des pays émergents et en développement au conseil d’administration du FMI. Quel pourcentage pour l’Afrique ?
C’est très compliqué. Une réflexion est en cours pour rééquilibrer les rapports de force. Le pourcentage des quotas est censé représenter le poids économique des pays dans un monde qui évolue. Cela dit, nous sommes loin du compte. Les pays riches semblent d’accord pour augmenter les voix des pays du Sud mais sans diminuer les leurs, or la somme doit faire cent ! Quelle que soit la façon de compter, des pays comme la Chine augmenteront leur quota. Paradoxe, les calculs font ainsi augmenter la part des États-Unis. Pour les pays les plus pauvres, il faut mettre en Âuvre un triplement des droits de base, seul élément qui permette le rétablissement d’un meilleur équilibre.

Sentez-vous chez les candidats Obama, Clinton ou McCain une volonté de construire un monde libéral mais plus juste socialement ?
On perçoit en effet certains signes. Le problème des campagnes électorales est que tout le monde affiche toujours de très bons sentiments. Je constate que les candidats expriment des positions qui ne manifestent pas un repli de l’Amérique sur elle-même.

Vous avez fait une apparition très remarquée à une réunion du Parti socialiste à Paris, en janvier. Dans quatre ans et après une réforme réussie au FMI, ne serez-vous pas le seul poids lourd socialiste capable de briguer l’investiture à la présidentielle ?
C’est bien essayé, mais vous n’aurez pas de réponse à ce genre de questions. [Sourire.] J’étais simplement à Paris le jour d’une rencontre nationale du Parti socialiste, et j’en ai profité pour aller serrer la main à mes amis.

Et pour prononcer quelques mots en parlant notamment d’un problème de leadershipÂ
Non, non Il y aura un congrès socialiste qui choisira son leader. Ce n’est absolument pas ma préoccupation aujourd’hui. J’ai une mission et j’essaie de la remplir du mieux que je peux.

Vous êtes passé d’un cadre national à l’international. Cette rupture est-elle définitive ?
Je n’entends m’occuper de rien d’autre que des affaires du FMI. Comme tout citoyen, je regarde bien sûr ce qui se passe dans mon pays. Je ne me désintéresse pas de la France, mais je dois m’occuper des 185 pays membres de l’institution que je dirige.

Vous ne vous interdisez rien à l’avenirÂ
Ce n’est pas le problème. Faire des plans à cinq ans n’a pas de sens. J’ai accepté un mandat et j’ai l’intention de le remplir.

Irez-vous au bout de votre mandat au FMIÂ
J’ai toujours dit cela.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires