Charles Taylor au quotidien
L’ancien chef de l’État libérien est jugé depuis le 7 janvier à La Haye pour crimes contre l’humanité. En marge des audiences, comment vit-il sa détention en prison « quatre étoiles » ?
Quand il n’assiste pas à son procès, Charles Taylor quitte sa tenue d’audience – costume noir, cravate assortie et boutons de manchettes dorés – pour s’offrir une partie de tennis avec Thomas Lubanga. Lequel des deux manie le mieux la raquette ? Le président déchu du Liberia ou l’ex-chef de l’Union des patriotes congolais (UPC), tous deux accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ? Réponse dans la salle de sport de la prison de Scheveningen (Pays-Bas), un quartier huppé de La Haye, baigné par la mer du Nord. L’une des ailes du centre de détention héberge les prisonniers de la Cour pénale internationale (CPI) – en tout et pour tout, les trois Congolais Thomas Lubanga, Matthieu Ngudjolo et Germain Katanga – ainsi que Charles Taylor, jugé depuis le 7 janvier dernier par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), délocalisé dans la ville néerlandaise pour des raisons de sécurité (voir encadré).
Le fort en briques rouges de Scheveningen, c’est un peu la maison de retraite de Charles Ghankay Taylor. À 60 ans, « Superglue » – surnom donné à l’ancien dictateur libérien en raison de sa propension à garder tous les billets qui passaient entre ses mains – mène là une existence paisible et routinière depuis mai 2006. En pensionnaire discipliné, il se lève chaque matin aux alentours de 6 heures, après une nuit passée dans une cellule sommairement meublée (lit simple, table de travail, étagères et lavabo). Puis s’habille avec grand soin. En tant qu’ancien chef d’État, « il ne peut se permettre, vis-à-vis de ses pairs, de paraître affaibli », confie Morris Anyah, l’un de ses quatre avocats. Comme ce mouchoir de coton blanc qu’il se passe sur le visage pendant les audiences, ses chemises sont impeccablement repassées. Ses cravates, toujours coordonnées à son blazer. Le doré de la monture de ses lunettes aux verres teintés rappelle celui des bagues qu’il porte à chaque annulaire. Reconnu indigent par le TSSL, qui débourse 100 000 dollars par mois pour les frais de sa défense, Charles Taylor se fait envoyer des vêtements par ses proches. Le visage aussi rond qu’à ses heures de gloire, le corps replet comme l’indique ce pli dans la nuque qui déborde sur le col immaculé de sa chemise, il se prépare ensuite lui-même son petit déjeuner dans l’une des quelques cuisines mises à la disposition des détenus. Au menu de tous ses repas : du riz. Qu’il accompagnera bientôt de poisson. À condition toutefois de recevoir l’autorisation d’en introduire dans la prison. « Mon client est africain, rappelle Morris Anyah, il ne peut pas manger de la nourriture européenne insipide. C’est important pour la bonne marche du procès, il doit être bien disposé. » Ne suivant pas le régime alimentaire commun, le détenu paie lui-même sa nourriture.
Jamais sans sa trousse
Vers 8 h 30, il quitte Scheveningen dans un convoi spécial, direction la CPI, à une quinzaine de minutes en voiture. Avant de faire son entrée dans le décor de bois clair de la salle d’audience, il consulte ses avocats. Entre eux, le dialogue ne s’arrête jamais. Au téléphone quand il est en prison, sur de petits papiers roses autocollants qu’ils s’échangent pendant le procès. Durant les cinq heures quotidiennes d’audience (à l’exception du vendredi, chômé l’après-midi), Taylor écoute les témoins, impassible. Pas de regret, pas d’impatience, pas d’angoisse dans son regard flottant. Sur ce visage poupin, rien sinon l’ennui d’assister à ce spectacle, d’être mêlé contre son gré à cette « mascarade de justice » rendue à un peuple qu’il semble toujours autant mépriser. L’ancien étudiant du Massachusetts, diplômé en économie, n’a rien perdu de cette indolence tout aristocratique, celle que ses origines – père américain, mère américano-libérienne – lui ont assignée dans un Liberia divisé, dès sa création, entre les « seigneurs » – les anciens esclaves venus des États-Unis pour fonder le pays – et les autres – les populations locales.
Pour faire passer le temps, il choisit un stylo parmi d’autres dans une épaisse trousse d’écolier en cuir noir, toujours posée à sa gauche. Tantôt élève distrait, tantôt premier de la classe, il griffonne ou prend des notes sur un cahier à spirale. « C’est un client qui s’implique beaucoup », assure Morris Anyah. Les audiences se déroulent en longues confrontations entre les avocats de la défense et les témoins, rythmées par quelques interventions du procureur. Les témoignages, bien souvent dans un anglais tout droit venu de Sierra Leone difficilement intelligible pour le profane, sont laborieux. « Vous pouvez répéter la question ? » implore à plusieurs reprises l’un des témoins, censé avoir appartenu au cercle des « inside men », le groupe des hommes de main de Taylor. Ce dernier l’écoute sans ciller, sans le regarder. Les deux hommes ont-ils vraiment été proches ? Toujours cette distance d’aristocrate. Entrecoupées de deux pauses de une heure, les audiences s’étirent jusqu’à 16 h 30. Puis vient l’heure du retour au pénitencier. Et celle des devoirs. Dans sa cellule, Taylor lit les dossiers des témoins « dans leur intégralité », précise son avocat. Il s’informe également, en consultant les journaux de la bibliothèque. « Il est très au courant de l’actualité », poursuit le juriste.
Les visites sont rares. En un an et demi, aucun ami n’est venu au parloir, où un garde surveille systématiquement les rencontres. L’une des filles de l’ex-président, Charen, a fait le déplacement deux fois. Sa femme, Victoria, une fois. Mais pas un jour ne passe sans que les époux ne se parlent au téléphone, tandis que les conversations sont enregistrées (les seuls échanges qui ne le sont pas sont ceux avec les avocats). Des règles qui, du point de vue de Morris Anyah, vont à l’encontre de « l’intimité » du détenu. Taylor devra néanmoins les observer jusqu’à la fin de son procès, attendue pour janvier ou février 2009. En cas de condamnation, il sera transféré dans une prison du Royaume-Uni, conformément à un accord signé avec le Liberia. Pour vivre le quotidien du condamné, et non plus celui du présumé innocent.
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