Vive le récup’armes !

Núcleo de Arte, collectif d’artistes du Mozambique, transforme des armes en oeuvres d’art. Rencontre avec ces « nettoyeurs de l’âme ».

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 2 minutes.

Installés face à face, sur le marbre glacé de la salle d’exposition, un oiseau de fer à l’allure futuriste toise une espèce d’Alien en métal. Etranges créatures, curieuses sculptures… Pourquoi un tel trouble ? Alors que le regard de l’amateur glisse, de façon anodine, le long du cou du volatile pour en deviner la structure, l’objet révèle, brusquement, sa nature profonde : une crosse de pistolet au vernis usé fait office de glotte, tandis que le canon, plié en deux, lui sert de bec. Le malaise s’installe ; l’oeuvre dérange. Mais n’est-ce pas le but de l’art ? « Face à nos réalisations, le public ressent toujours une vive émotion : la plupart des étrangers ne sont pas habitués à la guerre, les Africains, oui. À Maputo, il n’est pas rare de sortir et de croiser un militaire au coin de la rue, un AK-47 à la main », confie Humberto Delgado, 29 ans, artiste du collectif mozambicain Núcleo de Arte. Trois de ses membres sont venus à Paris (France) pour accompagner une collection intitulée « Objets d’art, objets d’armes », qui se tient jusqu’au 6 avril dans le cadre du Festival de l’imaginaire (Maison des cultures du monde, Paris). Dans leurs bagages, les artistes ont apporté une quarantaine de sculptures, construites à partir des armes utilisées lors de la guerre civile entre 1979 et 1992. S’il s’agit de leur première française, les oeuvres ont déjà voyagé au Zimbabwe, au Canada, en Australie, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Hollande et en Italie.
À l’heure actuelle, sept millions d’armes seraient encore en circulation au Mozambique. En 1995, l’évêque Dom Dinis Sengulane, dont le rôle a été déterminant lors des accords de paix, a mis en place un projet fou : récupérer toutes ces armes et les échanger contre des biens utiles. Appuyé par le Conseil chrétien du Mozambique, il a lancé l’initiative Transformação de Armas em Enxadas. Littéralement, « transformer des armes en charrues ». Chaque Mozambicain était invité à rendre les armes en sa possession. Il recevait en contrepartie un outil de travail, selon ses besoins : vélo, machine à coudre, fournitures scolaires. Ce programme a permis à l’organisation de récupérer quelque deux cent mille pistolets, grenades, lance-roquettes, bazookas, fusils semi-automatiques… Si la plupart des armes sont détruites, d’autres sont coupées en pièces et remises au Núcleo de Arte, qui les transforme en sculptures ou en objets du quotidien.
« Nous contribuons au lavage mental de la société, assure Fiel Dos Santos, l’un des artistes. Nous voulons montrer à nos frères qu’à partir du même matériau il est possible de reconstruire une nouvelle vie. Bien meilleure, celle-là. » Au cours de la guerre civile, tous ont perdu des membres de leur famille, des amis, des voisins… Travailler avec une arme qui a peut-être tué votre père demande une forte abnégation. Mais offre en même temps une planche de salut aux tourments de l’âme. « Créer à partir de ces matériaux, c’est comme ouvrir une fleur », explique Humberto. Pudeur oblige, Fiel évoque à demi-mot son frère, mort au combat. « Pourquoi je fais des oiseaux ? Leur liberté m’inspire… Je transforme ces armes en quelque chose de différent, de positif. Mais jamais je n’oublie quelle a été leur utilisation, et combien celle que je tiens entre mes mains peut avoir brisé mon histoire personnelle. »
Aujourd’hui, le collectif aimerait manier d’autres supports, beaucoup plus ambitieux, comme les chars d’assaut. « Il y a encore beaucoup à faire. Avec toutes les guerres, notre matière première n’est pas près de s’épuiser. »

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