Solidarité mesurée

Pour éviter de se brouiller avec Washington, les autorités veillent à contenir les mouvements spontanés de protestation.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

En décembre dernier, des syndicalistes, des militants des partis de l’opposition dite « démocratique » et des représentants de la société civile ont tenté d’organiser, dans la capitale tunisienne, une marche de protestation contre le projet de guerre américaine en Irak. Leur demande d’autorisation a été rejetée par les autorités. Pis : un important dispositif de sécurité a été déployé dans les principales artères de la capitale pour empêcher tout mouvement spontané de protestation. Il a fallu attendre le 20 février, cinq jours après les manifestations pacifistes à l’échelle planétaire, pour voir la première marche contre la guerre à Tunis.
Au premier rang du cortège, qui a rassemblé quelque cinq mille personnes, les leaders des partis légaux, à commencer par Ali Chaouch, secrétaire général du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir), ainsi que les patrons des principales organisations nationales (patronat, syndicat, union des femmes, etc.). La manifestation, encadrée par des agents en uniforme et en civil, a duré moins d’une demi-heure.
Depuis, d’autres marches de solidarité ont été organisées dans plusieurs villes du pays, mais elles étaient toutes autorisées, et donc strictement encadrées par le RCD et les autorités régionales. Parallèlement, des rassemblements de syndicalistes et d’étudiants, qui n’ont pas reçu d’autorisation officielle, ont été dispersés par la police, notamment à Sfax (Sud-Est) et Gafsa (Sud-Ouest). Dans ces deux villes, des heurts entre la police et les manifestants ont fait plusieurs blessés.
Dans des communiqués rendus publics les 1er et 5 mars, le parti Ettajdid, le Parti démocratique progressiste (PDP) et le Forum démocratique pour le travail et la liberté (FDTL, légalisé en octobre dernier) ont dénoncé la « confiscation de l’espace public » par les autorités et les brutalités dont ont été victimes de nombreux manifestants.
Comme la plupart des Arabes et des musulmans, les Tunisiens sont en majorité opposés à la guerre. Ceux qui y sont favorables – de rares intellectuels pour qui la destitution de Saddam est le prélude à la chute de tous les dictateurs de la région – se gardent cependant d’exprimer ouvertement leur point de vue. Conséquence : dans les médias comme dans les cercles de discussion, un seul et même son de cloche.
Le gouvernement ne se démarque pas, dans le fond, de la population. La Tunisie est officiellement favorable à une solution pacifique de la crise. Traduire : elle est opposée à une opération militaire américaine en Irak sans l’aval des Nations unies. Le président Ben Ali n’a cessé de réitérer cette position dans ses discours et dans ses entretiens téléphoniques avec les chefs d’État étrangers (notamment avec le président français Jacques Chirac, le 6 mars).
Mais, tout en cherchant à être en phase avec son opinion publique, le régime essaie de contenir les sentiments antiaméricains d’une population excédée par les exactions de l’armée israélienne dans les Territoires et par le silence complaisant – sinon complice – de l’administration Bush. Les médias ont ainsi été invités à modérer leurs critiques à l’égard de Washington.
Pour comprendre les raisons de cette circonspection, il faut remonter douze ans en arrière. Dans un discours prononcé le 11 août 1990, soit neuf jours après l’occupation du Koweït par l’armée irakienne, le président Ben Ali avait cru devoir renvoyer dos à dos l’occupation du Koweït par l’Irak et l’intervention étrangère – particulièrement américaine – dans la région. Ce double refus (du fait accompli irakien et de l’ingérence américaine) a été mal compris par Washington, ainsi que par ses alliés saoudiens et koweïtiens. Cette position a valu à la Tunisie d’être classée par les Américains – qui lui en ont longtemps voulu – dans le camp des « amis de Saddam ».
C’est donc pour éviter de susciter le même malentendu que les responsables tunisiens veillent à modérer leur pacifisme et à circonscrire la mobilisation populaire en faveur de l’Irak dans des limites acceptables.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires