Quel gâchis !

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

« Maudits Américains, je déteste ces salauds », s’est récemment écriée à la télévision une parlementaire canadienne. Saisissant la balle au bond, le quotidien Toronto Globe and Mail a procédé à un sondage électronique auprès de ses lecteurs : estiment-ils, eux aussi, que « les Américains se comportent comme des salauds ». 51 % d’entre eux ont répondu oui. Si même les Canadiens, d’ordinaire polis jusqu’à l’ennui, se déchaînent avec une telle vigueur, le reste du monde doit être au bord de l’apoplexie ! Il est vrai qu’à l’automne dernier, le porte-parole du Premier ministre n’a pas hésité à qualifier George W. Bush de « faible d’esprit ».
Aux États-Unis, le débat s’est focalisé, à tort, sur la France. Mais les irascibles Gaulois ne sont pas seuls à nous tirer dessus. Désormais, même de bons copains comme les Canadiens et les Irlandais s’y mettent. Le quotidien irlandais The Sunday Independent a ainsi demandé aux habitants de Dublin qui, de Saddam Hussein ou de George Bush, ils craignent le plus. Résultat : 39 % pour le premier, 60 % pour le second. Pis encore, selon un sondage du Sunday Times, les Britanniques estiment que Saddam et Bush représentent, à égalité, « la plus grande menace pour la paix mondiale ». Le bilan de l’opération est catastrophique : l’alliance occidentale est sévèrement ballottée, l’Otan paralysée, et l’Amérique désavouée par des millions de gens. Par ailleurs, les Nations unies sont en crise, les amis des États-Unis, Tony Blair notamment, sont contestés chez eux, et la Corée du Nord profite de l’inattention américaine pour reprendre sa production de plutonium. Enfin, les prix du pétrole flambent et les marchés financiers internationaux fléchissent dangereusement. Et la guerre n’a pas encore commencé !
Bien sûr, il se trouve des Américains pour estimer que le fait que leur pays ait aujourd’hui une image à peu près aussi détestable que celle de la Libye est secondaire. Mais ils se trompent : les comportements des nations ont leur importance. Avant la guerre du Golfe, le secrétaire d’État James Baker avait fait trois visites en Turquie. Cette fois, Colin Powell ne s’y est pas rendu une seule fois. Comment s’étonner qu’Ankara rechigne à accueillir les troupes américaines ? De même, si Bush a obtenu de bons résultats dans sa guerre contre el-Qaïda, n’est-ce pas à sa coopération avec les dirigeants pakistanais qu’il le doit ? Certains trouvent la stratégie de Bush astucieuse : d’abord il contraint l’Irak à détruire ses armes, ensuite il lui déclare la guerre. L’ennui est que l’Amérique a déjà subi des dommages considérables. Et que le plus dur est sans doute à venir. Après le renversement de Saddam, les chiites risquent d’attaquer les sunnites dans le sud de l’Irak. Tout le monde redoute en outre le déferlement de millions d’exilés irakiens en armes, venus d’Iran, et le déclenchement de sanglants affrontements turco-kurdes pour le contrôle des puits de pétrole de Kirkuk, dans le Nord. Enfin, les militaires irakiens pourraient être tentés de vendre à bon prix leurs stocks d’anthrax et de gaz VX. Et les islamistes radicaux tenter de s’emparer du pouvoir dans cette puissance nucléaire qu’est le Pakistan.
Comme le note un bon connaisseur : occuper Bagdad peut se révéler « inexcusablement coûteux en termes d’argent, de vies humaines et de dommages aux relations régionales ». L’un de ses collègues dit la même chose autrement : « Nous ne devrions pas entrer dans Bagdad. Occuper l’Irak aurait pour conséquence d’ébranler notre coalition, de rassembler le monde arabe contre nous et de faire d’un tyran brisé une sorte de héros. Cela contraindrait nos jeunes soldats à une chasse à l’homme sans espoir contre un dictateur solidement retranché et à une guérilla urbaine impossible à gagner. Cela ne ferait que plonger cette partie du monde dans une bien plus grande instabilité. » Ces commentaires exagèrent peut-être les risques, mais ils émanent d’analystes autorisés dont je respecte les jugements. Le premier est de Colin Powell, dans un essai publié dans Foreign Affairs, en 1992. Le second est extrait de A World Transformed, livre écrit, en 1998, par l’ancien président George Herbert Bush.

© The New York Times et J.A./l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

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