Pretoria, capitale des antiguerre

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

George Bush est un dirigeant « arrogant », « sans vision », « incapable de penser correctement ». Il veut faire un « holocauste ». Tony Blair n’est que son « ministre des Affaires étrangères ». L’un et l’autre « dénigrent les Nations unies ». « Est-ce parce que le secrétaire général est noir ? Ils n’ont jamais fait ça quand les secrétaires généraux étaient blancs… »
Les accusations sont violentes et les mots de Nelson Mandela, ancien numéro un sud-africain et prix Nobel de la paix 1993, disent toute sa colère et sa désapprobation. Depuis le début de l’année, les dirigeants de l’Afrique du Sud et ses figures historiques (Desmond Tutu s’est associé à Mandela pour dénoncer la politique américaine) n’ont pas manqué de donner leur point de vue sur un éventuel conflit en Irak.
Tête de pont de la diplomatie africaine, porte-parole des « pauvres de la Terre », Mandela s’est senti d’autant plus légitimé à s’exprimer sur la question qu’il a été le chef d’État du premier pays à se débarrasser de ses armes de destruction massive. Dans les années soixante-dix, l’Afrique du Sud de l’Apartheid avait en effet développé un programme nucléaire, qui a été soigneusement détruit sous la direction de l’ONU dans les années quatre-vingt-dix. À l’époque, déjà, un inspecteur en désarmement du nom de Hans Blix avait travaillé en collaboration avec les nouvelles autorités de Pretoria. Aujourd’hui, le chef de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies (Cocovinu) à Bagdad aimerait voir reconduit en Irak le modèle de coopération expérimenté avec l’Afrique du Sud.
La comparaison entre les deux pays ne va pourtant pas de soi, loin s’en faut. Comme le souligne l’Institut sud-africain des relations internationales (SAIIA), l’Afrique du Sud avait volontairement accepté le processus de désarmement, ce qui n’est pas le cas de l’Irak. En outre, c’est une démocratie qui l’a mis en oeuvre. N’empêche, tout le monde en Afrique du Sud refuse une intervention armée américaine en Irak. Y compris Winnie Madikizela-Mandela, qui s’est proposée de servir de bouclier humain.
L’opposition des Sud-Africains à une guerre s’est manifestée dès septembre 2002. En marge du Sommet de la Terre (organisé à Johannesburg à cette période), Nelson Mandela, qui recevait à son domicile le président français Jacques Chirac, l’avait mis en garde contre la position offensive des États-Unis. Se déclarant proche de la vision française des relations internationales, Madiba, comme l’appellent affectueusement ses compatriotes, avait déjà avancé que George W. Bush était « mal conseillé ».
Depuis, les dirigeants sud-africains et les dirigeants de l’African National Congress (ANC) ont réaffirmé cette position, non sans rappeler le rôle prépondérant de leur pays en Afrique, puisqu’il assure la présidence en exercice de l’Union africaine et du Mouvement des non-alignés. C’est d’ailleurs à Johannesburg et au Cap qu’ont été organisées les manifestations populaires les plus importantes du continent en faveur de la paix (Égypte mise à part). Plus modéré que son prédécesseur, Thabo Mbeki, lui, a dénoncé une guerre inutile et défendu le travail des enquêteurs de l’ONU.
Et dans son discours sur « l’état de la nation » prononcé le 14 février, il s’est même proposé de se rendre en Irak, et a surtout tenu à souligner les répercussions d’une guerre éventuelle sur l’Afrique. Un conflit condamnerait le continent à une « crise économique profonde ». Même si, faut-il l’avouer, Pretoria a plutôt bénéficié de la crise mondiale, en voyant les cours de l’or (il en est l’un principaux producteurs) grimper.
À défaut d’y aller lui-même, le président sud-africain a envoyé son vice-ministre des Affaires étrangères à Bagdad. Le 9 février, Aziz Pahad était à Bagdad, accueilli à bras ouverts par Tarek Aziz, vice-Premier ministre irakien, qui a félicité l’Afrique du Sud pour les efforts qu’elle déploie afin de stopper une intervention armée dans son pays.
Et ce n’est pas tout. L’Afrique du Sud a envoyé une mission d’inspecteurs en Irak le 22 février. Elle était composée de sept experts, dont certains avaient participé à la destruction de l’arsenal nucléaire sud-africain. Au terme d’un séjour de cinq jours, ils ont déclaré que Bagdad faisait de son mieux pour désarmer et qu’il fallait laisser encore du temps aux inspecteurs.
Début mars, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Nkosazana Dlamini-Zuma, a pourtant tenu à modérer les propos parfois rudes de certains de ses compatriotes, comme ceux du secrétaire général de l’ANC, Kgalema Motlanthe, qui a provoqué Washington en lui proposant d’envahir l’Afrique du Sud pour accaparer ses ressources minérales. Dlamini-Zuma, elle, a souligné que, comme tous les peuples, « les Américains veulent aussi la paix ». Reste que cette affaire tombe à point nommé pour l’Afrique du Sud, qui en profite pour faire passer sa « diplomatie tranquille » à l’égard du Zimbabwe. Pendant que les projecteurs sont braqués sur l’Irak, et alors que les autorités britanniques souffrent d’un large discrédit chez eux et en Europe, Thabo Mbeki se sent plus à l’aise pour critiquer Tony Blair et ses méthodes d’éléphant dans un magasin de porcelaine là où il faudrait faire preuve d’habileté et de retenue.
Sur l’Irak comme à propos du Zimbabwe, Pretoria semble se rapprocher de la France. Les solides liens commerciaux qu’ont bâtis les deux pays avec le régime de Bagdad y sont pour quelque chose.

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