Pillards de l’or vert

Malgré les efforts du gouvernement, l’exploitation forestière illégale prend une ampleur alarmante. L’ONG Global Witness dénonce.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Au Cameroun, près de 60 % des coupes de bois se font dans la plus grande illégalité. Si le problème n’est pas nouveau en Afrique, au Congo-Brazzaville par exemple, il prend une ampleur alarmante sur le territoire camerounais. En tant qu’« observateur indépendant », Global Witness a rendu publics, le 31 janvier 2003, quinze rapports d’enquête. L’organisation non gouvernementale (ONG) britannique y relate en détail plusieurs cas d’exploitation forestière illégale. « Nous avons constaté des infractions presque à chacune de nos visites », révèle Albert Barume, directeur adjoint de l’antenne camerounaise de Global Witness. Pratique la plus répandue : le dépassement des limites des parcelles ou du volume de coupe autorisé. De nombreuses sociétés opèrent aussi sans titre légal d’exploitation. D’autre part, l’ONG souligne que « la corruption, bien qu’elle tende à diminuer, est toujours d’actualité dans certaines sphères du pouvoir et chez des dirigeants d’entreprise ». En somme, un amalgame d’irrégularités qui ferait perdre à l’État près de 2,6 milliards de dollars chaque année. La forêt camerounaise, la plus importante du continent après celle de la République démocratique du Congo et du Gabon, constitue la troisième source de revenus du pays, après les exportations agricoles et le pétrole. Le secteur forestier représente 4 % du Produit intérieur brut (PIB) et occupe la première position nationale en matière de tonnage, la troisième en termes de recettes d’exportation.
En accord avec les principaux bailleurs de fonds – la Banque mondiale et la coopération britannique (Departement for International Development, DFID) -, le gouvernement camerounais a décidé de renforcer le contrôle et le suivi de l’exploitation forestière. À leur demande, Global Witness effectue, depuis mai 2001, des missions sur le terrain en connexion avec les agents du ministère camerounais de l’Environnement et des Forêts. « Nous évaluons la manière dont le contrôle est exécuté, explique Valérie Vauthier, l’une des responsables de la mission. Il arrive parfois que des inspecteurs du ministère refusent de se rendre dans certaines zones. Mais le contrôle et l’application de sanctions reste la fonction de ces agents assermentés. » Si les relations entre l’ONG et les autorités de Yaoundé sont souvent complexes, parfois même conflictuelles, Valérie Vauthier fait état d’initiatives encourageantes depuis deux ans. « L’accès à certaines données géographiques est encore difficile, mais l’administration nous laisse consulter librement la plus grande partie des cartes et des documents, essentiels pour déterminer s’il y a ou non une infraction. »
Aujourd’hui, des sanctions administratives et judiciaires plus sérieuses sont prises à l’encontre des contrevenants. Quatorze des cas mentionnés dans les rapports de Global Witness sont en ce moment entre les mains de la justice. Le problème est délicat. Les sociétés impliquées ont souvent une envergure internationale : italienne, française, néerlandaise… L’une des affaires les plus importantes concerne la Société forestière Hazim (SFH), du nom de son propriétaire libanais. Dans le sud du pays, cette entreprise a exploité une zone d’environ 20 000 hectares, soit le tiers d’une concession entière, « sans aucune autorisation », estime Global Witness. La parcelle n’avait même pas été allouée par le ministère. En conséquence, la SFH a été condamnée à payer 10 millions de dollars de dommages-intérêts. Les avocats ont fait appel.
Au Cameroun, l’exploitation forestière fonctionne suivant le principe de la jachère (sur trente ans), et doit concerner un trentième de la surface boisée par an. Du moins, en théorie. Selon Global Witness, la SFH a coupé, en deux ou trois ans, une quantité d’arbres qui aurait dû être abattue sur une période de dix ans. Les infractions ne sont pas toutes de cette ampleur, mais les dégâts écologiques sont toujours dramatiques. Sans compter les préjudices causés aux employés locaux, souvent sous-payés, ainsi qu’à la population dont les droits territoriaux sont régulièrement bafoués.
Le gouvernement camerounais a procédé, au cours des années quatre-vingt-dix, à une importante réforme du secteur sylvicole. La loi du 20 janvier 1994 prévoit notamment la mise en place d’une foresterie communautaire. Objectif : responsabiliser les communautés rurales dans la gestion du capital arboricole, grâce à une implication plus importante des populations dans l’administration et le partage des recettes tirées de la production commerciale du bois. Ce qui contribue à améliorer leurs conditions de vie, et à promouvoir le développement local. En novembre 1995, la « nouvelle politique forestière du Cameroun » est venue confirmer ce premier effort. « Le système s’améliore, reconnaît Valérie Vauthier, mais beaucoup reste à faire pour assurer à ces communautés un espace suffisant. Et le chantage effectué par certains exploitants ravive de nombreuses tensions communautaires : si les habitants d’un village refusent de participer au pillage de leurs ressources naturelles, la société va recruter dans le hameau voisin. »
Malgré toutes les bonnes intentions affichées par le gouvernement camerounais, le problème perdure. Parmi les quinze rapports de Global Witness, deux ont été publiés sans l’aval du ministère : un document officiel stipule que les agents de Global Witness ont outrepassé les limites des zones qu’ils devaient vérifier. Dans ce cas précis, les résultats de l’enquête de terrain menée par l’ONG font état d’exploitations sans titre et d’infractions diverses, comme le marquage frauduleux du bois. Comme prévu par la loi, la concession en question ne devrait pas dépasser les 1 000 hectares. Or, constate Global Witness, sur le terrain et, de façon plus étrange, sur les propres cartes géographiques du ministère de l’Environnement et des Forêts, la zone exploitée couvrirait plus de 120 000 hectares. La concession empiéterait également sur des zones forestières réservées à l’exploitation communautaire. Une pratique interdite par la législation en vigueur.
Des cas d’intimidations à l’encontre des villageois, exercées par l’un des patrons camerounais d’une société d’exploitation de bois, ont aussi été relevés par l’ONG. Lors d’une précédente mission, Valérie Vauthier a rencontré un exploitant forestier occidental qui, ignorant les fonctions de son interlocutrice, lui aurait confié : « J’étais en Côte d’Ivoire il y a cinq ans. Mais nous avons épuisé les ressources de la forêt. Au Cameroun, nous aurons terminé dans cinq ans. Alors, nous descendrons vers le Congo. » Dont acte.

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