Les caméléons meurent aussi

Assassiné le 12 mars, le Premier ministre Zoran Djindjic, à qui l’on prêtait des liens avec des milieux d’affaires douteux, a suivi un parcours politique sinueux.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 2 minutes.

«Nous avons touché le fond. Et maintenant, on creuse »… Le mot cruel qui circulait à Belgrade à la fin de l’ère Milosevic n’a pas cessé d’être d’actualité. Dernière victime en date d’une chute dans ce trou : Zoran Djindjic, Premier ministre serbe, tué le 12 mars dans un attentat qui semble tenir de l’assassinat politique autant que du règlement de comptes de style mafieux.
Certes, on peut créditer Djindjic d’avoir permis la livraison au Tribunal pénal international, à La Haye, d’un Slobodan Milosevic qu’il avait longtemps combattu. Et il est vrai aussi qu’il disait vouloir ancrer son pays dans l’Europe, tentant d’incarner ce personnage de « Kennedy serbe » que célébraient volontiers ses partisans.
Mais cette apparente conversion ne pouvait faire oublier le parcours sinueux qui lui avait valu, naguère, le qualificatif de « caméléon politique ». Né le 1er août 1952 à Bosanski Samac, en Bosnie, d’un père officier de l’armée yougoslave, puis étudiant en philosophie et arrêté un moment, en 1974, pour contestation universitaire, il passe dans les années quatre-vingt pour libéral et antinationaliste. Encore classé à gauche en 1990, comme cofondateur du Parti démocrate (DS), il ne tarde pourtant pas à virer à droite jusqu’à s’allier avec Radovan Karadzic, ce chef des Serbes de Bosnie recherché aujourd’hui comme criminel de guerre par le Tribunal de La Haye. Dans le même temps, son opposition à Milosevic ne le dissuade pas d’esquisser avec lui, en vue d’une coalition, des négociations qui se révéleront infructueuses. Il contribue ainsi à ruiner l’espoir soulevé par les grandes manifestations de l’hiver 1996-1997 contre le coup de force électoral du président serbe, coupable d’avoir imprudemment annulé les élections municipales qu’il venait de perdre. Sa chance personnelle ne reviendra qu’en décembre 2000, avec le premier scrutin législatif postMilosevic, sous la présidence un peu pâle de Vojislav Kustunica.
Ainsi Zoran Djindjic se voit-il nommé Premier ministre. Un Premier ministre qui jouit des faveurs de l’Occident, malgré les liens qu’on lui prête avec des milieux d’affaires douteux, qui ne sont probablement pas étrangers à son meurtre. Celui-ci ajoute en tout cas une touche macabre au paysage de ruines qu’est devenue la scène politique de Serbie. Jadis idole des foules exaltées du chauvinisme serbe, le « roi Slobo » répond de ses crimes à La Haye. Ex-présidente des Serbes de Bosnie, la Pasionaria Biljana Plavsic, qui voyait l’épuration ethnique comme un « processus naturel », vient d’y être condamnée à onze ans de prison. Le chef ultranationaliste Vojislav Seselj s’est rendu, à son tour, à La Haye, pour répondre de crimes de guerre. L’un des plus célèbres tueurs, le chef de milice Zeljko Raznatovic, dit « Arkan », a été abattu le 15 janvier 2000 dans un hôtel de Belgrade. Seuls échappent encore à leur destin : Radovan Karadzic, sans doute terré dans quelque recoin de la Bosnie serbe, et le criminel numéro un, organisateur (entre autres) du massacre de huit mille musulmans à Srebrenica, le général Ratko Mladic, qui se cacherait, dit-on, dans la capitale, protégé par l’armée.

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