Le fabuleux destin de l’adn

Il y a cinquante ans, deux jeunes chercheurs découvraient la structure de la molécule porteuse du secret de l’hérédité. Moment décisif pour l’histoire des sciences, même si beaucoup reste à faire.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

«Nous souhaiterions suggérer une possible structure pour l’acide désoxyribonucléique (ADN). Cette structure présente des caractéristiques originales, qui sont d’un intérêt biologique considérable. » Ces deux phrases de l’article publié par Francis Crick et James Watson dans l’édition du 25 avril 1953 de l’hebdomadaire britannique Nature marquent une grande date de l’histoire des sciences. Comme il y eut un avant et un après la théorie de l’évolution de Darwin, il y a un avant et un après la découverte de la structure de l’ADN. Car ce que ces deux jeunes chercheurs ont élucidé, le 28 février 1953, c’est le mystère de la biologie moléculaire, autrement dit le secret de la vie. Rien de moins.
À l’époque, cette découverte ne fait pas grand bruit. Il faudra attendre 1962 pour que le prix Nobel de médecine leur soit attribué. Aujourd’hui, l’ADN est au coeur d’une infinité de recherches, scientifiques ou policières : décryptage des génomes, OGM (organismes génétiquement modifiés), thérapie génique, recensement génétique, paléontologie, etc. Et pour cause : cette molécule, située dans le noyau cellulaire, est le constituant essentiel de tous les êtres vivants. Elle détermine forme et fonction de la cellule. Capable de former une réplique exacte d’elle-même, la molécule d’ADN transmet l’information génétique d’un gène à l’autre. Elle a la forme d’une double hélice, comme une échelle en spirale. Les « montants » – des brins – sont composés en alternance de phosphate et d’un sucre, le désoxyribose (voir schéma p. 106). Les échelons portent l’information génétique et contiennent quatre éléments, appelés bases : la cytosine, la guanine, la thymine et l’adénine. On en retrouve deux sur chaque échelon, toujours associées sous l’une de ces deux formes : cytosine- guanine, thymine- adénine. L’association sucre, phosphate et base constitue un nucléotide. Leur enchaînement détermine le code génétique unique d’un individu.
L’enjeu de la découverte de la structure de l’ADN était donc l’avenir de la génétique. Depuis que Erwin Chargaff, un biochimiste américain d’origine autrichienne, avait démontré que le rapport A+T/C+G était variable entre les espèces mais constant pour une espèce donnée, et donc que l’ADN portait une spécificité, plusieurs de ses confrères s’étaient lancés dans le décryptage de cette molécule. Les travaux de Chargaff montraient que l’ADN devait être la molécule porteuse de l’information génétique, donc la clé de la transmission de la vie et de l’hérédité.
Parmi les postulants à la découverte de la structure de l’ADN se trouvaient donc l’Américain James Watson et le Britannique Francis Crick, tous deux animés par la même passion de comprendre ce qu’étaient les gènes et persuadés que cette explication passait par la description de l’ADN. Le premier, un surdoué entré à l’université à 15 ans, arrive à Cambridge en 1951. Étudiant en zoologie, il s’intéresse à l’ADN après la lecture d’un livre de génétique, Qu’est-ce que la vie ? (What is life?, de Erwin Schrödinger), qui l’a passionné. Il rencontre dans son laboratoire le physicien Francis Crick, lui-même néophyte de la fameuse molécule et grandement intéressé par les secrets qu’elle semble recéler. Ces deux « non-spécialistes », mus par une certaine arrogance juvénile et une grande impatience s’associent donc, et défient des biochimistes de renom, dont Maurice Wilkins, du Collège royal de Londres ou Linus Pauling, un éminent chimiste américain qui venait d’identifier la structure de la kératine, le principal constituant des ongles et des cheveux. Les deux chercheurs utilisent une méthode identique à celle de leurs illustres aînés, la diffraction par rayons X, pour identifier la structure physique de la molécule.
Après des essais totalement ratés, qui les poussent même, pendant une courte période, à s’orienter vers d’autres objets de recherche, l’annonce, en décembre 1952, d’une prochaine publication par Pauling d’un modèle de structure pour l’ADN, leur donne un coup de fouet. S’ils veulent être les premiers, il n’y a pas de temps à perdre. D’autant que même si Pauling a commis ce que Watson et Crick appelleront une « erreur basique », sa démonstration est suffisamment élaborée pour laisser imaginer l’imminence de la découverte. Le sprint final est lancé. Un cliché au rayon X de Rosalind Franklin, l’une des meilleures spécialistes du domaine, leur donnera la clé. Intitulée « Photographie 51 », cette image, fournie aux deux jeunes chercheurs par Wilkins, leur révèle que contrairement à ce que tous les chercheurs imaginaient, l’ADN n’est pas une molécule « triple brin », mais à double hélice.
Reste le problème de l’agencement des bases sur les barreaux de l’échelle. Les travaux de Chagraff sont d’une grande utilité pour Watson et Crick. Comme dans un jeu de Meccano, ils créent des modèles qui les amènent à comprendre que, encore une fois, ils faisaient fausse route : si les bases fonctionnent en binôme, ce ne sont toutefois pas des bases identiques qui sont associées sur chaque branche de l’échelle. L’équivalence du nombre de bases d’adénine et de thymine, d’une part, et de guanine et de cytosine, d’autre part, démontrée par leur aîné, leur permet de conclure à l’association des bases sous cette forme. Le 28 février 1953, James Watson, 25 ans, et Francis Crick, 36 ans, annoncent avoir percé le secret de l’ADN, aidés de Maurice Wilkins, nobélisé avec eux, et de Rosalind Franklin, une chercheuse britannique qui travaillait dans des domaines voisins, mais en solitaire. Elle aurait sûrement eu droit, elle aussi, au Nobel, si la mort ne l’avait emportée à 37 ans, en 1958. Les portes de la génétique s’ouvraient.

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