La bataille de la paix

Démocratisation, développement… les espoirs nés il y a un an, au lendemain de la mort de Jonas Savimbi, tardent à se concrétiser.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 6 minutes.

La mort au combat, le 22 février 2002, de Jonas Savimbi, leader de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), a ouvert une ère d’espoir en Angola. D’autant que les choses sont allées très vite dans les semaines qui ont suivi la disparition du chef rebelle. Après la trêve du 15 mars 2002, un accord de « cessation des hostilités » a été signé, le 30 mars, à Luena, par les généraux Geraldo Sachipengo Nunda, chef d’état-major adjoint des Forces armées angolaises (FAA), et Muengo Abreu Ukwachitembo, alias Kamorteiro, chef d’état-major des troupes de l’Unita. Une commission mixte composée de chefs des troupes loyalistes et de l’Unita a été créée pour surveiller le cessez-le-feu et désarmer les milliers d’hommes disséminés à travers le pays. Pour parachever la reddition des ex-rebelles, en prélude à l’accord de paix définitif signé le 4 avril 2002, le Parlement a voté, le 2 avril, une loi qui amnistie « tous les civils et militaires angolais ou étrangers qui ont commis des crimes contre la sûreté de l’État angolais ».
Un an après, les fruits ont-ils tenu la promesse des fleurs ?
Le spectre de la guerre écarté, il fallait s’attaquer à un premier défi, essentiel à la sauvegarde de la paix : la démobilisation des 80 000 combattants de l’Unita. Ceux-ci ont été désarmés et cantonnés avec leurs familles (soit environ 350 000 personnes) dans vingt-sept camps répartis à travers le pays. En application des accords, 5 000 soldats et officiers de l’ancienne rébellion ont été intégrés dans les forces régulières. Tous les autres se trouvent encore dans les camps, dans l’attente de leur carte de démobilisation (le document officiel qui marque le retour à la vie civile) et du versement de l’équivalent de 250 euros, soit quatre mois de salaire. Ils attendent également du gouvernement leur « kit de réinstallation », composé de matériels agricoles de base et d’équipements pour se loger.
Estimée à 50 millions d’euros (la moitié de cette somme devant être supportée par l’État), la démobilisation pourrait prendre plusieurs années. Les douze mois écoulés depuis la mort de Savimbi n’ont, en rien, réglé la question. Tout comme ils ont laissé quasi intacte la grave situation humanitaire découverte par les ONG dans les « zones grises » que rendaient inaccessibles les affrontements. Si l’on en croit un document à usage interne du Programme alimentaire mondial (PAM) daté du 30 janvier dernier, près de 3 millions d’Angolais subissent une grave pénurie alimentaire, dont 600 000 sont directement menacés par la famine. Et la quasi-totalité des 4,6 millions de personnes déplacées n’a pas encore retrouvé ses habitations détruites ou isolées par des mines. Les camps de Bunjei, au sud de Huambo, et de Chipindo, indique le PAM, restent des mouroirs du fait de l’incapacité des organisations humanitaires à y pourvoir correctement aux besoins en matière d’alimentation, de santé et d’hygiène.
Un autre grand défi, la restauration de la démocratie, après la situation d’exception de facto imposée par la guerre, tarde à être relevé. Prévues pour 2003, les premières élections après la présidentielle inachevée de septembre 1992 auront lieu entre 2004 et 2006. La rédaction de la nouvelle Constitution n’est toujours pas achevée. Un pas important a toutefois été franchi. Les travaux de la commission constitutionnelle, bloqués durant des mois par des désaccords entre le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA, parti présidentiel) et l’Unita (reconvertie en parti d’opposition), ont pu redémarrer après le consensus trouvé le 5 décembre par ces deux formations.
Mais les conditions pour la tenue de vraies élections sont loin d’être réunies. Le gouvernement tarde à réimplanter l’administration dans les zones anciennement occupées par l’Unita et à restaurer l’état civil détruit par la guerre. Or ces deux opérations constituent, avec le relogement des personnes déplacées et cantonnées, des préalables indispensables au recensement de la population et à la confection des listes électorales. Et, avant de parler d’élections, le redéploiement de la population dans les villes et villages, et la circulation à l’intérieur du pays sont entravés par les douze millions de mines antipersonnel semées de façon anarchique sur les routes, dans les zones d’habitation et dans les champs. Contre ces dangereux engins explosifs, l’État n’a pas fait plus que demander l’aide internationale depuis la fin de la guerre.
Si la date des élections reste hypothétique, les formations politiques ne les préparent pas moins. L’Unita, dont le congrès doit se tenir dans le courant du mois d’avril prochain, s’attelle à la reconstruction de ses structures et essaie de se réimplanter dans toutes les localités du pays. Le MPLA semble en avance dans la préparation des échéances électorales. L’identité de son candidat à la présidentielle ne fait plus de doute. Après avoir déclaré, en août 2001, renoncer à sa propre succession, José Eduardo Dos Santos, au pouvoir depuis 1979, va de toute évidence se présenter de nouveau devant les électeurs. Le 11 décembre, le secrétaire à l’Information du MPLA, Norberto Dos Santos, a dit tout haut ce que l’on pense tout bas à Futungo de Belas, la présidence de la République : « Dos Santos est le candidat naturel de notre parti à la prochaine présidentielle. »
Pour mettre les chances de son côté en vue de la prochaine consultation, le président a nommé, le 6 décembre 2002, un nouveau gouvernement de vingt-sept membres. Une véritable équipe de combat dirigée par un fidèle parmi les fidèles, l’ex-ministre de l’Intérieur Fernando Da Piedade Dias dos Santos, alias Nando. Le ministère du Pétrole, nerf de la guerre, a été confié à un très proche, Desiderio Costa, et celui de l’Intérieur, crucial dans ce contexte de paix inachevée, à un cousin du président, Osvaldo Serra Van Dunem. « Cette équipe est significative, commente le secrétaire général de l’Unita Paulo Lukamaba Gato. Avec la mort de Savimbi, Dos Santos s’est dit qu’il pouvait rester au pouvoir et l’exercer à vie sans plus jamais être indisposé. Il a choisi, à cette fin, des ministres dont le destin est intimement lié au sien. »
Les problèmes posés par la fin de la guerre n’empêchent pas une percée de l’Angola sur le plan international. Les rapports entre Luanda et Washington ne cessent de se raffermir depuis la réception du président angolais à la Maison Blanche, le 26 février 2002, quatre jours après la mort de Savimbi. L’Angola est, depuis le 1er janvier dernier, membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, qu’elle va présider à deux reprises. Dans le contexte actuel de lutte d’influence entre les États-Unis et la France autour de la crise irakienne, Luanda est courtisé de toutes parts. Le ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin s’est rendu en Angola, le 10 mars, pour tenter de rallier Dos Santos à la position de Paris (voir pp. 37-40). Tandis que Walter Kansteiner, sous-secrétaire d’État américain aux Affaires africaines, avait débarqué à Luanda, le 17 février, porteur d’un message personnel de George W. Bush à son homologue angolais.
La menace Savimbi écartée, Luanda était tenu de reconsidérer son interventionnisme militaire dans les pays voisins. Le pouvoir angolais a annoncé le retrait total de ses troupes de la République démocratique du Congo, à la date du 30 octobre 2002. La Mission d’observation des Nations unies au Congo a émis quelques doutes et soupçonné la présence de soldats angolais dans les localités de Kitonda, Moanda et Inga. À l’inverse, le départ, en décembre 2002, de quelque deux mille soldats des FAA, stationnés au Congo-Brazzaville depuis le retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso, en octobre 1997, est attesté.
Située à la charnière entre l’Afrique australe et centrale, l’Angola a, dans ces deux sous-régions, une influence qui cache mal ses nombreuses difficultés internes. Parmi celles-ci, les graves risques d’explosion liés à la concentration prolongée des combattants de l’Unita dans des camps aux conditions de vie désastreuses, ainsi que le regain d’activités des séparatistes du Front de libération de l’enclave de Cabinda (du nom de l’éponge pétrolière coincée entre les deux Congos) qui ont, ces derniers mois, multiplié les opérations armées.
Autre problème, l’absence d’actions contre la pauvreté en dépit des 7 milliards de dollars annuels de ressources pétrolières et diamantaires du pays. De passage à Luanda, en septembre dernier, le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, Calisto Madavo, a appelé à une meilleure répartition des richesses, à la lutte contre une corruption galopante – y compris dans les plus hautes sphères du pouvoir – ainsi qu’à la transparence des revenus pétroliers. Les autorités angolaises ont d’autant moins d’excuses à cet égard que l’augmentation de la production pétrolière offre un cadre favorable et que la croissance du PIB a atteint 10,5 % en 2002.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires