Itinéraire d’un humaniste

Le professeur Kazatchkine cumule les fonctions au sein des grandes institutions de recherche. Mais il reste un médecin qui « vit » la maladie depuis le début. Il témoigne dans un livre poignant.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Il a fait sensation, le 12 février, en annonçant que l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), dont il est le directeur, avait mis au point le premier vaccin thérapeutique contre ce fléau. Pourtant, Michel Kazatchkine était dans l’actualité depuis la mi-janvier, avec la parution de son livre La Consultation du soir.
Émouvant, bouleversant, poignant pourraient qualifier ce témoignage apporté par l’un des plus grands chercheurs impliqués dans la lutte contre le sida. Vrai et honnête, aussi. Ce grand nom de la recherche médicale se présente dès les premières pages comme un être humain comme les autres qui vit et témoigne de ses émotions. Il dit avoir été changé, comme tous ceux qui y ont été confrontés, par le sida. « Médecins et patients, nous nous sommes brusquement trouvés face à un ennemi invincible. Ce n’était certes pas la première fois dans l’histoire de l’humanité, mais la médecine avait fait de tels progrès qu’elle avait pu penser un jour vaincre la mort. »
Comme lorsque, en 1968, alors externe en immunologie dans le service du professeur Hamburger, il a participé aux premières greffes rénales de l’Histoire. Il faisait alors partie de ceux qui prenait l’ascendant sur la mort. À bord de sa « vieille 2 CV », ralliant l’aéroport de Villacoublay à Paris à 2 heures du matin, escorté par des motards de la police, il a transporté un rein « fraîchement prélevé sur un corps » qui « allait rendre son autonomie au patient ». Une aventure qui l’a à la fois « tendu, inquiété et grisé ».
On le retrouve une trentaine d’années plus tard, en 1994, en Pologne, aux côtés de Médecins du monde. Le décor est planté. Cet homme ne vit pas dans sa tour d’ivoire. Ses engagements sont son moteur ; ses émotions, toujours ponctuées d’une réflexion juste, ne sont jamais feintes. Ces tranches de vie qu’il fait partager au lecteur permettent de mieux comprendre comment ce professeur s’est engagé dans la lutte contre le sida, dont les premiers cas ont été recensés aux États-Unis en 1981. Sa rencontre avec la maladie a lieu en mars 1983, dans l’unité d’immunologie du service de néphrologie de l’hôpital parisien Broussais, où un couple rapatrié sanitaire d’Afrique lui est adressé. « Ils présentaient tous deux un déficit immunitaire profond et des infections opportunistes. » Aujourd’hui, le diagnostic de sida à un stade avancé serait immédiat. À l’époque, on ne pouvait pas l’établir. Le couple est mort quelques semaines plus tard.
La maladie s’appelle alors le « cancer des homos ». La population la plus touchée est la communauté homosexuelle américaine, et le virus n’a pas encore été découvert. Mais il modifie déjà les codes des relations médecin-patient. « Face au sida, les rôles sont différents même si, depuis les années deux mille, la maladie a changé. Médecins et malades s’étaient trouvés dans une relation symétrique, car ils étaient également ignorants et démunis. Les premiers furent des observateurs, des accompagnateurs impuissants, dans une relation médecin-malade bouleversée par l’absence de dissymétrie qu’ils avaient connue jusqu’alors, l’un étant celui qui savait, face à l’autre qui subissait. Avec le sida, le médecin n’avait qu’un rôle de compassion et d’accompagnement. En 1996, avec l’apparition des trithérapies et une maîtrise regagnée du savoir, les rapports changèrent, les journaux titrèrent : « Les médecins reprennent le pouvoir. » »
Tout au long de sa carrière, Kazatchkine croisera de nombreux malades, suivra leur évolution, apprendra à les connaître. S’apercevant très rapidement du caractère « honteux » que revêtait la maladie dans les années quatre-vingt, il comprend que les séropositifs ne peuvent quitter leur lieu de travail aussi souvent que nécessaire sans que cela ne leur pose de problèmes. Il ouvre donc, en 1988, une « consultation du soir ». Ainsi, les patients peuvent venir aussi souvent que nécessaire, et ont le temps de parler. Depuis, Kazatchkine a connu l’espoir des trithérapies, accédé à la direction de l’ANRS et à la présidence du Conseil scientifique du Fonds mondial contre le sida, la malaria et la tuberculose. Et continué à se battre au quotidien, sur des cas individuels comme sur des injustices notoires, en prônant notamment l’accès aux soins et aux médicaments dans les pays en développement. Un témoignage intelligent, humaniste et très instructif.

La Consultation du soir, Michel Kazatchkine, Presses de la renaissance, 272 pp., 18 euros.

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