Il ne faut pas attaquer l’Irak

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

En tant que chrétien et en tant que président ayant dû naguère faire face à de graves crises internationales, je connais les principes qui définissent une guerre juste. Or une attaque unilatérale, ou presque, contre l’Irak ne les respecte manifestement pas. Telle est d’ailleurs la conviction quasi unanime des autorités religieuses, dans le monde entier.
Pour qu’une guerre soit juste, elle doit obéir à un certain nombre de critères clairement définis :
Elle doit n’être déclenchée qu’en dernier recours, quand toutes les solutions non violentes ont échoué. Dans le cas de l’Irak, il est évident que d’autres solutions que la guerre existent. Elles ont été proposées, dans le passé, par les dirigeants américains eux-mêmes et approuvées par les Nations unies. Le Conseil de sécurité les a d’ailleurs récemment rappelées. Pourtant, alors que leur sécurité nationale n’est pas directement menacée, les États-Unis, sans tenir le moindre compte de l’opposition de la très grande majorité des peuples et des gouvernements, semblent déterminés à s’engager dans une action militaire et diplomatique presque sans précédent dans l’histoire des nations civilisées.
La première phase du plan de guerre américain a été rendue publique. Elle prévoit le lancement, dès les premières heures de l’invasion, de trois mille bombes et missiles contre une population à peu près sans défense. L’objectif est de faire un grand nombre de victimes civiles, afin de démoraliser la population et de l’inciter à renverser un dirigeant qui, bien à l’abri, échappera très probablement sans dommages aux bombardements.
Les armes utilisées doivent distinguer entre les combattants et les non-combattants. Des bombardements aériens de grande ampleur, fussent-ils relativement précis, entraînent inévitablement des « dommages collatéraux ». Le général Tommy Franks, commandant des forces américaines dans le Golfe, s’est ainsi inquiété du fait que de trop nombreux objectifs militaires soient situés à proximité immédiate d’écoles, de mosquées et d’habitations privées.
La violence de la riposte doit être proportionnée au dommage subi. Même si bien d’autres crimes peuvent être imputés à Saddam Hussein, les efforts des États-Unis pour l’impliquer dans les attaques terroristes du 11 septembre n’ont convaincu personne.
Les attaquants doivent disposer d’une autorité légitime, reconnue par la société qu’ils affirment représenter. Le vote unanime du Conseil de sécurité tendant à l’élimination des armes irakiennes de destruction massive peut encore être suivi d’effets. Mais les nouveaux buts de guerre annoncés par les États-Unis visent à changer le régime irakien et à instaurer une Pax americana dans la région, peut-être en occupant, pendant une décennie, ce pays ethniquement divisé. Pour de tels objectifs, l’Amérique ne dispose d’aucune autorité internationale.
D’autres membres du Conseil de sécurité ont résisté jusqu’ici à l’énorme pression économique et politique exercée par Washington. Et les Américains risquent soit de ne pas recueillir la majorité requise, soit de se heurter au veto de la Russie, de la France ou de la Chine.
Bien que la Turquie puisse encore être convaincue d’aider les États-Unis, grâce à d’énormes incitations financières et à la perspective d’une prise de contrôle partielle du Kurdistan irakien et de son pétrole, son Parlement démocratiquement élu s’est néanmoins associé à l’inquiétude suscitée, dans le monde entier, par la politique américaine.
La paix doit représenter une amélioration indiscutable par rapport à la situation qui prévalait antérieurement. Bien qu’il soit beaucoup question d’instaurer la paix et la démocratie en Irak, il est tout à fait possible qu’une invasion de ce pays déstabilise l’ensemble de la région et conduise les terroristes à mettre en péril la sécurité des États-Unis, sur leur propre territoire. Par ailleurs, en ne tenant aucun compte de l’opposition internationale à sa politique, l’Amérique mine l’autorité des Nations unies.
Qu’en sera-t-il du prestige de l’Amérique si elle renonce à déclencher les hostilités après un tel déploiement de forces militaires dans la région ? La sympathie sincère et l’amitié qui lui ont été témoignées après l’agression du 11 septembre, même par des régimes qui lui étaient opposés, se sont largement dissipées. Sa politique de plus en plus unilatérale et hégémonique a eu pour conséquence de ruiner la confiance placée en elle. Jamais, sans doute, celle-ci n’a été aussi faible.
Le prestige des États-Unis ne manquera pas de décliner encore s’ils déclenchent une guerre contre la volonté, clairement exprimée, des Nations unies. En revanche, l’usage de la menace militaire pour contraindre l’Irak à respecter les résolutions de l’ONU – avec la guerre comme ultime recours – rehausserait leur statut de champions de la paix et de la justice.

* Ancien président des États-Unis (1976-1979), Prix Nobel de la
paix (2002) et président du Centre Carter, à Atlanta.

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