Hollandais du Rif et d’ailleurs

La grand-messe française du livre se tient à Paris du 21 au 26 mars. Invités : la Flandre et les Pays-Bas, où percent des auteurs de la diaspora africaine.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Les Pays-Bas et la Flandre honorés au Salon du livre de Paris, c’est une bonne nouvelle. Célèbre pour ses imprimeries, la Hollande a joué un rôle majeur dans l’histoire du livre. Dès le XVIIe siècle, ouverte aux réfugiés politiques et religieux, elle fut considérée comme « la librairie générale de l’Europe ». De son empire colonial (Indonésie, Nouvelle-Guinée, Surinam, Antilles néerlandaises…) et commercial, elle a gardé une large ouverture sur le monde, source de multiples richesses littéraires.
Ainsi, l’Ougandais Moses Isegawa a trouvé, en s’installant à Beverwijk, une patrie pour ses livres. Chroniques abyssiniennes et La Fosse aux serpents, écrits en anglais, ont été publiés d’abord en néerlandais. Outre les Marocains Bouazza et Benali, on citera aussi, parmi les « écrivains d’exil » installés au pays des polders, l’Iranien Kader Abdolah. Issu d’une famille de poètes, exilé en 1988, il a appris la langue en lisant Jip en Janneke, d’Annie M.G. Schmidt, le livre pour enfants le plus connu du pays. Deux littératures se mélangent en lui, la persane et la néerlandaise.
Immigration, intégration, racines, voyages seront donc au coeur des débats de ce XXIIIe Salon du livre. Le 21 mars, Fouad Laroui, Hafid Bouazza, Abdelkader Benali, Adriaan Van Dis se rencontreront autour du thème « Immigration-Intégration ». Le 23 mars, une discussion réunira Boniface Mongo Moussa, Lieve Joris, Louis Gardel sur le sujet « Racines et cicatrices : mémoire des colonies ». Enfin, le 26 mars, « En étranges pays : des cultures et des langues » sera l’occasion d’un débat entre Gérard Meudal, Moses Isegawa, Kader Abdolah, Vassilis Alexakis et Fouad Laroui.
NICOLAS MICHEL

C’EST UN PHÉNOMÈNE TRÈS RÉCENT et les Néerlandais n’en reviennent pas. De plus en plus d’écrivains du cru portent des noms à coucher dehors, genre Raouf ou Abdelkader. Il n’y a pas vraiment de quoi s’étonner. Amsterdam compte plus de cent dix nationalités et la moitié des élèves des écoles sont d’origine étrangère. En tirant au hasard dans une ruelle, on a plus de chance d’abattre un Mohamed ou un Turgut qu’un Jan ou un Pieter. Trois cent mille Marocains et au moins autant de Turcs vivent sous le joug débonnaire de la reine Beatrix. Certains se mêlent donc d’écrire. Pourquoi pas ? Hafid Bouazza a débarqué à l’âge de 7 ans en Hollande, en provenance de son Maroc natal – il est né à Oujda, comme l’auteur de ces lignes, qui n’y peut rien. Fasciné par les mots, Bouazza est devenu un virtuose de la langue de Vondel. Trop, au dire de certains de ses critiques, qui bougonnent que ce jeune homme semble avoir avalé un dictionnaire des mots anciens ou inusités. C’est un peu le Jorif des Bataves. On souhaite bien du plaisir à ses traducteurs : à vos Littré ! Sur le plan personnel, Bouazza a choisi : il est néerlandais, et il ne veut rien avoir à faire ni avec les Marocains ni avec les musulmans. Il y a quelques mois, il donna une conférence publique – ça a l’air un peu vieux jeu, mais cela se fait encore ici – il donna donc une conférence publique, en l’église Moïse-et-Aron, pour expliquer que l’islam était dangereux et néfaste. Le lendemain, il fit imprimer son brûlot dans le NRC, le plus prestigieux quotidien des Pays-Bas. Aucune réaction : n’est pas Rushdie qui veut. Il y a quelques jours, sur un marché, un vendeur de frites rifain me disait, en pointant un index indigné sur le jeune écrivain : « Tu vois ce type, il croit qu’il est hollandais. » Bah, ça lui passera. Nous sommes tous européens. Beaucoup plus sympathique, voici Abdelkader Benali, né en 1975 à Ighazzazen, un petit village du Rif. Arrivé à Rotterdam à l’âge de 4 ans, il se fait remarquer par ses dons précoces. Il écrit un essai (« Le Renouveau comme Tradition ») qui lui vaut de pouvoir étudier gratuitement à l’université de Leyde. Il remporte ensuite le premier prix d’un concours d’écriture de nouvelles lancé par l’association El Hijra. Ainsi remarqué par l’éditeur Vassallucci, il publie chez celui-ci Bruiloft aan zee qui fut sélectionné pour le prestigieux Libris Literatuur Prijs 1997 et fut traduit en dix langues. Sous le titre Noces à la mer (Albin Michel), il reçut en France le Prix du meilleur premier roman étranger. Benali écrivit ensuite Yasser, une pièce de théâtre délirante. C’est l’histoire d’un acteur palestinien réfugié aux Pays-Bas qui gagne sa vie en jouant Shylock, l’usurier juif du Marchand de Venise. Un jour, sur le chemin du théâtre, un petit délinquant marocain lui vole son faux nez – et voilà Yasser dans l’incapacité de jouer Shylock… En 2002, Abdelkader Benali publia son deuxième roman, De langverwachte (quelque chose comme : « Celui qu’on attendait ») après deux recueils d’essais. Il dispose de sa rubrique dans un grand quotidien où il se fait remarquer par sa pondération et son profond humanisme, ce qui nous change de Bouazza. Et les femmes dans tout ça ? Eh bien, il y a Naïma El Bezaz, née en 1974, qui est consultante dans le civil et qui parle très bien de ses livres. Elle promeut un islam modéré et moderne, dont elle est un excellent exemple. Son premier livre, paru sous le titre De weg naar het noorden (« Le Chemin du Nord »), traitait d’une façon assez simple, sinon simpliste, du problème des clandestins. Après six ans de silence, elle vient de publier Minnares van de Duivel (« La Maîtresse du diable »), un récit plus ambitieux et plus littéraire, qui se vend très bien. D’autres joyeux lurons se profilent, tous aussi jeunes et talentueux. Khalid Boudou, aux textes farfelus, Saïd El Haji, ou Farid Sahar qui publie sous le pseudonyme modianesque de Hans Sahar. Distinguons Mustafa Stitou, SDF et poète, qui fut choisi il y a quelques années pour animer la cérémonie de commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale. On vit donc la reine, le Premier ministre et les corps constitués écoutant avec émotion un Rifain grand comme trois pommes leur lire un poème de sa composition, intitulé « Liberté ». Un grand moment d’émotion télévisé en direct. Depuis, Mustafa parcourt le plat pays et lit ses poèmes en public. Ses lectures sont de véritables happenings et il fait un tabac – je dis bien tabac – devant des salles combles. Reste la grande question : pourquoi tous ces Marocains qui s’approprient le néerlandais et pas le moindre Turc ? Tout lecteur qui aura la réponse est invité à une lecture publique de Mustafa Stitou, aux frais de votre serviteur.
Fouad Laroui

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NDLR : Notre collaborateur Fouad Laroui signera son dernier roman au Salon du livre de Paris, le samedi 22 mars à 12 heures.

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