Fauteurs de guerre

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 5 minutes.

Ils ne sont pas plus de quelques centaines, dans un monde de six milliards d’hommes et de femmes, et constituent l’état-major du « camp de la guerre ». À leur tête, un chef d’État élu (de justesse) quarantetroisième président de la puissance la plus riche et la mieux armée de tous les temps, épaulé par deux chefs de gouvernement : Tony Blair (Grande-Bretagne) et José María Aznar (Espagne), dont on s’étonne encore de les voir embarqués dans cette galère contre le sentiment de la majorité de leur peuple.
Ensemble, ils ont pris la décision de déclencher une guerre non nécessaire « pour assurer la paix » – et de nous y entraîner. Ils veulent, disent-ils, éliminer un dictateur et sa clique avant d’instaurer la démocratie dans son pays et aux alentours.
Pour sauver l’Irak de la dictature, ils vont donc l’envahir en utilisant le quart de million de militaires – dotés de moyens de destruction sans précédent – qu’ils ont massés autour de ce pays ; en prenant allègrement le risque de tuer des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Ils vont dépenser une centaine de milliards de dollars, qui auraient été utiles ailleurs, pour détruire les infrastructures d’un pays déjà exsangue.
Ils se disent démocrates, sont les chefs élus d’authentiques démocraties, mais restent sourds à la réprobation déclarée d’une grande partie de leurs concitoyens, de cinq milliards d’hommes et de femmes
Eux, leurs inspirateurs, leurs collaborateurs et ceux qu’ils auront réussi à recruter comme supplétifs sont, au sens le plus fort du terme, des fauteurs de guerre.
En pages 23 et 24-25, nous vous donnons à lire ce que pensent de leur démarche deux grandes autorités morales, Prix Nobel de la paix : l’ancien président des États-Unis Jimmy Carter, et l’actuel secrétaire général des Nations unies Kofi Annan.
Ils se font ainsi nos porte-parole et donnent une bonne synthèse de l’argumentaire contre la guerre.
Nous, « le camp de la paix », n’avons réussi jusqu’ici qu’à embarrasser les fauteurs de guerre, à les mettre intellectuellement sur la défensive, à retarder et à compliquer le déclenchement des hostilités dont ils nous menacent. Si, comme il est à craindre, la formidable opposition mondiale à leur entreprise ne parvient pas à l’empêcher, il faut faire en sorte qu’ils en soient demain, eux aussi, les victimes.
s
Mais à quelque chose malheur est bon ! Treize ans seulement après la chute du mur de Berlin, moins de deux ans après celle des Twin Towers de New York, sans le vouloir bien sûr, ces fauteurs de guerre ont enclenché le processus qui va mettre fin au règne de l’hyperpuissance sur un monde unipolaire régenté par elle.
Cela n’empêchera pas M. Bush et ceux qui le manipulent de faire la guerre ni d’enregistrer, dans un premier temps, comme Hitler de 1938 à 1942, des succès réels ou apparents.
Nous verrons sans doute MM. Cheney, Rumsfeld… et leurs généraux se rengorger lorsque leurs troupes auront conquis Bagdad et que les télévisions montreront au monde des Irakiens exprimant leur joie d’être libérés de la dictature. Un autre jour, qui ne peut être très lointain, ils nous convieront à célébrer la fin de Ben Laden et/ou de Zawahiri, les deux chefs d’el-Qaïda, et proclameront qu’ils sont en train de gagner la guerre contre le terrorisme, etc.
L’Histoire établira, je pense, que cette guerre contre le terrorisme est déjà en grande partie gagnée et que, si le camp de la guerre ne le dit pas, c’est pour entretenir la tension et l’hystérie qui lui permettent de limiter nos libertés.
s
Mais revenons à ce processus conduisant à la fin de l’hégémonie américaine et à la promesse d’un monde multipolaire.
Dès la fin de 2002, nous avons vu l’Allemagne d’abord, puis la France et enfin les deux de concert dire à G.W. Bush : Pas d’accord !
l Cela a commencé par un « oui, mais » ;
l Ce fut ensuite un plus ferme et plus osé : « Si vous voulez absolument faire la guerre, ce sera sans nous » ;
l Pour en arriver, dans une troisième étape, à : « Nous ferons le maximum pour vous empêcher de faire la guerre avec une coalition au rabais. »
Les États-Unis ont tenté, bien entendu, de circonscrire cette rébellion et de la déconsidérer ; ils ont obtenu le résultat inverse : la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil et, parmi les pays musulmans, l’Indonésie et la Malaisie ont rejoint la France et l’Allemagne pour élargir le camp de la paix, de sorte que c’est le camp de la guerre qui se trouve à la mi-mars affaibli et isolé
Pourquoi la rébellion contre l’hyperpuissance américaine s’est-elle propagée à la planète entière à la vitesse de l’incendie ? Parce que le monde n’a pas confiance en Bush et supporte de plus en plus mal l’arrogance des Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz et autres Perle.
Parce que le « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, avec les terroristes », proféré par G.W. Bush le jour où il a lancé sa « croisade » contre le terrorisme, a été ressenti comme une réponse intégriste à l’intégrisme de Ben Laden.
Parce que M. Poutine, président de la Russie, qui a beaucoup fait depuis le 11 septembre 2001 pour nouer des relations de partenariat avec les États-Unis, n’a reçu en retour que des promesses jamais tenues, ou pis : des rebuffades.
Parce que le « mon ami Sharon est un homme de paix… » du même G.W. Bush est resté en travers de la gorge de tous ceux, Arabes ou non, qui savent que le vieux général israélien s’est toujours opposé à tous les accords de paix signés par son pays.
Parce que si personne au monde n’aime ni ne défend ce « Staline arabe » qu’est Saddam Hussein, si on le hait pour sa cruauté, nous savons, nous, que la guerre est encore plus dévastatrice et cruelle que Saddam
La liste des griefs du monde à l’endroit de cette Amérique caricaturale incarnée par l’administration Bush est bien trop longue pour l’espace dont je dispose.
Mais elle ne doit pas faire de nous des anti-Américains, car il existe une autre Amérique, généreuse et tolérante, creuset d’une culture universelle, foisonnante d’idées, synonyme de recherche, de progrès et de modernisme, bastion de grandes libertés.
Le processus qui conduit à un monde multipolaire devrait favoriser sa réapparition.
Vivement 2004, avec l’espoir que la prochaine élection présidentielle américaine, confirmant que la guerre ne paie pas, écartera du pouvoir ceux qui, à l’instar d’un Oussama Ben Laden, tuent des innocents pour atteindre les coupables.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires