Espoirs déçus

Corruption, pénurie d’énergie et pauvreté frappent toujours le pays. À un mois de la présidentielle, le bilan d’Olusegun Obasanjo est mitigé.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 6 minutes.

Mardi 25 février, Lagos, capitale économique du Nigeria. Amassées dans la rue, des centaines de personnes attendent un hypothétique bus pour se rendre sur leur lieu de travail. Mais aujourd’hui les navettes se font rares. Devant les quelques stations-service encore ouvertes, des automobilistes font la queue pendant des heures pour se procurer un peu de carburant.
Tout a commencé une semaine plus tôt, le 17 février. Pendant quatre jours, les employés du secteur pétrolier ont fait grève. Objectif : faire entendre leurs revendications salariales. Pour ne rien arranger, deux des quatre raffineries (archaïques) du pays sont tombées en panne. Une situation aggravée par la hausse du prix des produits raffinés sur le marché mondial pour cause de crise irakienne et de production bloquée par la grogne sociale au Venezuela. Résultat : une grave pénurie de carburant touche tout le pays. Le sixième producteur mondial de pétrole est obligé d’importer plus de la moitié des 300 000 barils qu’il consomme chaque jour. Construire des raffineries susceptibles de satisfaire l’ensemble des besoins du pays, voire de la région, serait une solution. Mais elle mécontenterait les affairistes corrompus et les trafiquants corrupteurs qui profitent du système.
Cette pénurie tombe mal pour le président Olusegun Obasanjo qui déclarait, le 13 janvier dernier : « Aujourd’hui, les files d’attente devant les stations-essence ont disparu. » Élu démocratiquement en 1999 pour succéder au général Abdulsalami Abubakar, Obasanjo briguera un second mandat de quatre ans le 19 avril. Son bilan économique pourra-t-il convaincre les électeurs de voter pour lui plutôt que pour son adversaire, l’ex-général Muhammadu Buhari (voir encadré p. 95) ? Les médias et les représentants de la société civile qualifient ce bilan, au mieux, de « modeste » ou de « mitigé », et regrettent que la population n’ait pas encaissé les « bénéfices du retour à la démocratie ». À Abuja, la capitale, il n’est pas rare d’entendre : « Nous sommes dans la même situation d’incertitude qu’en 1999 quant à l’avenir de notre économie. »
C’est aussi l’avis émis par le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport de janvier dernier : « Le retour à la démocratie avait suscité de grands espoirs : croissance, diminution de la pauvreté. Mais les réalisations ont été modestes. Cela du fait de la faiblesse institutionnelle et des déséquilibres macroéconomiques croissants, plus particulièrement au cours des deux dernières années. » Les experts du FMI en attribuent les causes à la poursuite de la mauvaise gouvernance et à la corruption. Un véritable sport national qui vaut au Nigeria une peu reluisante deuxième place au classement 2002 de l’organisation non gouvernementale Transparency International. Conscient du problème, Obasanjo avait, dès 1999, créé une commission anticorruption et adopté des mesures tendant à contrôler de plus près la passation des gros marchés publics. Mais cette commission n’avait, jusqu’au début de l’année, réussi à confondre qu’un seul officiel, de bas rang qui plus est. La perspective d’une échéance électorale aidant, des enquêtes sur vingt-cinq personnalités ont été ordonnées, parmi lesquelles figureraient deux gouverneurs de province.
Le FMI attire l’attention sur la domination de l’économie par le pétrole, qui représentait, en 2001, 96 % de la valeur des exportations et environ 77 % des recettes de l’État. Et constate que ces revenus ont été mal distribués. L’ampleur de la pauvreté qui touche ce pays, le plus peuplé d’Afrique avec 130 millions d’habitants, le prouve. Selon l’Office fédéral des statistiques, 66 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour et par habitant. Ce taux n’a pas évolué depuis 1996. Toujours selon ce rapport, la pauvreté frappe entre 70 % et 78 % de la population au nord du pays, et entre 55 % et 60 % au sud. Le Nigeria est l’un des pays d’Afrique subsaharienne les plus touchés, avec le Mali et la République centrafricaine. Autant dire que l’ambition proclamée par Obasanjo, en 1999, de réduire le taux de pauvreté de moitié d’ici à 2015 ne s’est pas encore traduite dans les faits. Les économistes estiment qu’un tel objectif nécessiterait un taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) de 7 % à 8 % par an pendant quinze ans. Or, ces quatre dernières années, la croissance annuelle s’est située, en moyenne, entre 1,8 % (selon le FMI) et 2,8 % (selon le gouvernement).
Des mesures institutionnelles ont été prises pour lutter contre la pauvreté, accélérer le programme de privatisations, rationaliser les choix budgétaires, mettre de l’ordre dans le secteur pétrolier, relancer les services publics, réhabiliter les infrastructures et rétablir les équilibres macroéconomiques. Mais ces initiatives, aussi encourageantes soient-elles, ont été sporadiques et donc insuffisantes. Ainsi, 300 milliards de nairas (2,2 milliards d’euros) ont été affectés au logement et aux travaux publics au cours des trois dernières années, mais sans qu’on puisse constater d’améliorations tangibles. Le Parlement a d’ailleurs ouvert une enquête pour savoir où sont passés ces fonds. Le budget 2003 ne précise pas plus que les fois précédentes le montant des sommes allouées à la réduction de la pauvreté. Tout juste sait-on que les grandes lignes d’une nouvelle politique, la « Poverty Reduction Strategy », ont été esquissées en janvier dernier et que le projet devrait être finalisé cette année.
En attendant, les Nigérians continuent de se plaindre de l’insuffisance ou de l’absence de transports publics, des fréquentes coupures d’électricité, laquelle n’atteint que les quartiers privilégiés. Plus de 60 % de la population n’ont pas accès aux services de santé et se trouve obligés de se soigner avec des remèdes traditionnels, selon le Nigerian Labour Congress, la centrale syndicale. Et 70 % ne disposent pas d’une borne d’eau potable. La vie est toujours aussi chère, avec une inflation de 12,9 % en 2002. Il y a longtemps que le gouvernement ne publie plus les chiffres du chômage. Seule estimation disponible : chaque année, trois millions de personnes arrivent sur un marché de l’emploi déjà saturé.
L’agriculture, dont la croissance (près de 6 %) est en hausse à la suite de trois années de fortes pluies, ne suffit pas à nourrir la population et reste en deçà de ses énormes potentialités. Le Nigeria importe encore riz, pois, poulets congelés et engrais. Le secteur manufacturier reste handicapé, entre autres, par des infrastructures défaillantes. En dehors de quelques secteurs comme les télécommunications, les investisseurs privés ne se bousculent pas, essentiellement par peur de l’insécurité. En outre, les investissements demeurent handicapés par des taux d’intérêts élevés (entre 24 % et 26 % en 2002). Le secteur bancaire, censé financer l’économie, est mal géré. Les prêts sont surtout consentis aux personnes bien placées ; le pourcentage des créances douteuses et faiblement provisionnées y est important, et souvent masqué par des bilans peu fiables. Cette situation a érodé la confiance du public, qui préfère désormais les transactions en liquide, au point que le FMI se déclare « très préoccupé » et n’exclut pas des « problèmes systémiques ». Une perte de confiance des épargnants dans leur système bancaire qui conduirait à une crise dans la droite ligne de celles qu’ont connues l’Asie du Sud-Est et l’Argentine.
Et c’est bien la dernière chose dont le pays a besoin. Le Nigeria a actuellement une dette extérieure estimée, selon les sources, entre 28 milliards et 32 milliards de dollars, qu’il ne peut rééchelonner sans le feu vert du FMI. La situation financière extérieure n’est pas au mieux, comme le montre la baisse de ses réserves en devises (7 233 millions de dollars en 2002 contre 10 423 millions en 2001). Cette chute est intervenue malgré la hausse des cours mondiaux du pétrole, mais celle-ci s’est accompagnée, il est vrai, d’une réduction du quota de production du Nigeria au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep).
L’avenir proche nous dira si, face à la perspective de l’élection présidentielle, le gouvernement Obasanjo a été bien inspiré de se retirer du « programme de contrôle » que le FMI souhaitait lui administrer. Ce programme, dénoncé le 5 mars 2002, visait à rétablir ces équilibres en imposant notamment une discipline budgétaire plus stricte. Reste que, si l’élection se déroule démocratiquement, le Nigeria aura fait un pas supplémentaire vers la stabilité. Le prochain chef de l’État aura alors les coudées plus franches pour mener à bien les réformes nécessaires à une relance de l’économie.

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