Des Maghrébins résignés

Il y a douze ans, on se sentait à même de peser sur le cours des événements. Rien de tel aujourd’hui : de Nouakchott à Tripoli, l’offensive américaine est perçue comme inévitable.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

Ici, comme partout ailleurs dans le monde arabe, égrener, les yeux rivés sur Al-Jazira, le compte à rebours vers la guerre est devenu une habitude vespérale. De Tripoli à Nouakchott, pas un chauffeur de taxi n’oubliera de vous donner son opinion sur les capacités de résistance de l’armée irakienne, de vous citer le dernier aphorisme belliciste de Donald Rumsfeld ou l’ultime appel au djihad de Saddam Hussein. Personnages, caractères, résumé des épisodes précédents, tout y passe : un vrai feuilleton, suivi avec autant de passion qu’un sitcom égyptien. Avec autant de fatalisme aussi, puisque nul, hormis les Américains, n’a de prise sur le scénario.
Par rapport à la crise, puis à la guerre du Golfe de 1990-1991, que trois chefs d’État maghrébins ont déjà vécues au pouvoir (Ould Taya, Ben Ali, Kadhafi), les différences sont évidentes. Il y a douze ans, la « rue arabe », pleine d’illusions sur la puissance de l’armée irakienne, se voyait actrice du drame, à même de modifier le cours des événements et de transformer ses émotions en pressions sur ses propres dirigeants. Saddam Hussein était un héros, à la mesure de la répulsion qu’inspiraient les monarchies repues du Golfe. Un révélateur aussi des coupables complaisances occidentales à l’égard d’Israël. L’osmose avec l’Irak était telle que certains gouvernements, ceux de Tunisie et de Mauritanie, durent adopter des positions jugées hostiles par Washington, alors que d’autres, le Maroc en particulier, se retrouvèrent un moment en total décalage avec leur opinion publique.
Rien de tel aujourd’hui. La guerre est perçue comme inévitable, il n’y a aucun suspens, et manifester ne sert à rien. D’ailleurs, Saddam n’est plus une figure populaire au Maghreb, beaucoup moins en tout cas, dans le genre tyrans et terroristes, qu’Oussama Ben Laden. Seul le sort du peuple d’Irak et de ses enfants, qui vont encore souffrir, arrache des larmes. Mais la compassion n’est pas mobilisatrice.
La bagarre franco-américaine autour du Conseil de sécurité ? Jacques Chirac est une figure sympathique, mais nul ne se fait d’illusions sur son issue, et les Maghrébins ne croient plus aux zaïms. Les effets collatéraux d’un conflit dont on dit qu’il sera déstabilisateur pour les émirs ? Et alors ? Il ne viendrait à l’esprit d’aucun Maghrébin de descendre dans la rue pour soutenir les Saoud en proie aux affres de l’après-guerre. La persistance, voire l’aggravation choquante du « double standard » américain, ce « deux poids, deux mesures » dès qu’il s’agit d’aborder le drame israélo-palestinien ? Révulsé, mais impuissant, le Maghreb a fini par s’y habituer comme s’il s’agissait là d’une conséquence parmi d’autres d’un monde unipolaire dont les règles doivent être passivement acceptées. Comme si les musulmans dans leur ensemble devaient supporter le poids d’une responsabilité collective pour les attentats du 11 septembre 2001.
Si Saddam et Ben Laden se déclinent parfois, de Casablanca à Alger, sur des tee-shirts et des autocollants, c’est à l’image des héros de Star Wars ou des posters du Che pour chambres d’étudiant : guère plus significatif qu’un rêve de midinette en quête de modèle.
Cela ne signifie certes pas que la guerre en Irak n’aura aucun effet sur les cinq pays du Maghreb. Mais il s’agira surtout de conséquences induites et « endogènes, qu’elles soient économiques (chute prévisible de la fréquentation touristique au Maroc et en Tunisie) ou politiques (les islamistes marocains et l’opposition mauritanienne, tous deux confrontés à des échéances électorales, chercheront à capter à leur profit l’émotion populaire en cas de conflit long). Pour le reste, la « rue maghrébine » était, en cette mi-mars, beaucoup plus préoccupée par les préparatifs de la fête de l’Achoura que par ceux de la 21e division US de cavalerie dans le désert koweïtien – même si nul n’a oublié ce soir-là de regarder la suite du feuilleton sur Al-Jazira.

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