De Nuremberg à La Haye
Près de soixante ans après le procès de la barbarie nazie, le premier tribunal permanent chargé de juger les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre est installé. Un moment historique.
Les professeurs de droit international, d’histoire du droit et d’histoire tout court enseigneront que c’est à La Haye, où a été signé le 29 juillet 1899 le premier traité international contre les crimes de guerre, qu’a été installé, le 11 mars 2003, le premier tribunal pénal international permanent. La cérémonie, solennelle, s’est déroulée à la Ridderzaal (« salle des Chevaliers »), bâtie au XIIIe siècle au centre d’un imposant complexe de bâtiments qui abrite aujourd’hui le Parlement, la primature et le cabinet du Conseil des ministres néerlandais.
En présence de la reine Beatrix des Pays-Bas, du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, de ministres et d’ambassadeurs en provenance d’une centaine de pays et de représentants d’organisations de la société civile internationale, les dix-huit juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont sacrifié au rite de la prestation de serment, marquant ainsi leur entrée en fonctions. À l’appel du prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, représentant permanent de la Jordanie auprès des Nations unies et président de l’assemblée des États parties au statut de Rome, qui a institué la CPI, ils se sont succédé à la barre, levant la main droite et prononçant une phrase lourde de responsabilités : « Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge de la Cour pénale internationale en tout honneur et dévouement, en toute impartialité et en toute conscience, et que je respecterai le caractère confidentiel des enquêtes et des poursuites, et le secret des délibérations. » Avant de se retirer pour élire en leur sein le Canadien Philippe Kirsch président de la Cour, la Ghanéenne Akua Kuenyehia première vice-présidente, et la Costaricaine Elizabeth Odio Benito seconde vice-présidente.
Créée par un traité adopté par cent vingt États le 17 juillet 1998 à Rome, la CPI est destinée à juger les crimes les plus graves commis après le 1er juillet 2002, et qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. La CPI est compétente si la personne accusée est ressortissante d’un État partie au traité de Rome, ou si le crime est commis sur le territoire d’un État partie, ou encore si elle est saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU. Personne ne jouit d’une immunité devant la Cour. La qualité de chef d’État ou de gouvernement, de ministre ou de parlementaire, de représentant élu ou d’agent d’un État n’exonère pas de poursuites.
La Cour ne remplace pas les systèmes nationaux de justice pénale, mais les complète. Elle a besoin de la coopération des États pour mener ses enquêtes et arrêter les suspects. C’est une organisation internationale indépendante dont le budget, financé par les États parties, a été approuvé, en septembre 2002, à hauteur de 30 millions d’euros pour le premier exercice annuel. « Il a fallu à l’humanité plus de cinquante ans après le tribunal de Nuremberg pour s’entendre sur la forme et les pouvoirs à donner à cette Cour, a déclaré Kofi Annan dans son allocution. Il était temps. Des milliers d’enfants, d’hommes et de femmes ont subi, au cours du siècle écoulé, des exactions qui choquent profondément la conscience humaine. »
Une lourde charge repose donc sur les dix-huit juges, représentatifs, comme le veut le traité de Rome, de toutes les aires géographiques, de toutes les civilisations et traditions juridiques du monde. On y retrouve toute la planète, de l’ancien ministre des Affaires juridiques de Trinité-et-Tobago (Karl T. Hudson-Philipps) à la première Sud-Africaine non blanche à avoir accédé à un tribunal de grande instance de son pays (Navanethem Pillay) ; de l’ancien juge italien au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Mauro Politi, au professeur de droit international sud-coréen Sang-hyun Song ; de la Brésilienne Sylvia Steiner, ancienne juge de la cour d’appel fédérale de São Paulo, à son homologue de la Cour constitutionnelle de Lettonie Anita Usacka… Le fait est suffisamment rare à ce niveau de responsabilité dans les institutions internationales pour être signalé : on s’approche ici de l’équilibre des sexes, sept des dix-huit juges étant des femmes, dont deux sont vices-présidentes.
La CPI ne va pas chômer. Une première plainte a été déposée, le 13 février, par la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) contre le président centrafricain Ange-Félix Patassé et le chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba pour des exactions qu’ils auraient perpétrées contre les populations au cours de la guerre civile qui déchire la Centrafrique depuis plusieurs mois. Mais la Cour attend d’avoir un procureur, qui sera désigné le 23 avril prochain. L’ouverture officielle des candidatures à ce poste débute officiellement le 24 mars, mais des postulants sont d’ores et déjà déclarés. Parmi eux, la controversée Carla Del Ponte, procureur du TPIY, dont la présence n’est pas passée inaperçue à la cérémonie inaugurale.
Dans l’attente de l’élection, la division des services communs de la CPI a enregistré les « communications » (débuts de plainte) destinées au futur procureur. À ce jour, plus de deux cents ont été déposées, visant des responsables politiques et militaires de nombreux pays (RD Congo, Côte d’Ivoire, Colombie…). Pour l’aider dans cet immense travail, les organisations de défense des droits de l’homme (FIDH, Human Rights Watch…) ont annoncé leur intention de mettre à la disposition du procureur des documents et preuves matérielles, ainsi que des personnes prêtes à témoigner.
S’achemine-t-on, avec la mise en place complète de la CPI, vers une vraie justice internationale, sanctionnant tous les auteurs des crimes les plus graves ? Par une belle métaphore, le Premier ministre néerlandais Jan Peter Balkenende a, dans son discours d’accueil, tempéré l’optimisme ambiant : « La CPI est comme un petit oiseau. Elle a besoin de temps pour grandir et devenir plus forte, déployer ses ailes et voler sous nos yeux. »
Parmi les plus grands obstacles à la croissance de l’oiseau, l’hostilité de la plus grande puissance mondiale, les États-Unis, qui ont ouvert une première brèche dans le traité de Rome, le 12 juillet 2002, en imposant au Conseil de sécurité de l’ONU d’accorder aux soldats américains une immunité pour un an devant la CPI.
L’association Hogerhand (« Main céleste », en néerlandais) a donné, dans la matinée du 11 mars, une image symbolique de l’opposition des États-Unis à l’aspiration de justice du reste du monde. Sur la plage de Scheveningen, la station balnéaire de La Haye, elle a planté, d’un côté, les drapeaux des quatre-vingt-neuf pays qui ont déjà ratifié le traité et, de l’autre, nettement isolé, celui des États-Unis. Devant les personnes participant à la manifestation, le professeur américain Benjamin B. Ferencz, assistant du procureur au cours du procès de Nuremberg de 1945, a lancé un énergique appel à George W. Bush : « N’obstruez pas la volonté universelle d’éradiquer l’impunité. Ne prenez pas la responsabilité d’une répétition des crimes de masse commis au cours du XXe siècle. »
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