Conversion au multipartisme

Le nouveau credo du chef de l’État ne fait pas l’unanimité au sein de l’équipe qui dirige avec lui le pays depuis plus de dix-sept ans.

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 28 janvier 2003, le président ougandais Yoweri Museveni a surpris tout son monde. Au cours d’une réunion avec des responsables du Mouvement de résistance nationale, le chef de l’État s’est déclaré favorable au pluralisme politique. Depuis, il a même décidé de s’inspirer des expériences tanzanienne et sud-africaine pour tourner le dos à la « démocratie sans partis », en cours dans son pays depuis 1986, quand il prend le pouvoir, à la tête de l’Armée de résistance nationale devenue Mouvement de résistance nationale. Cet objet politique non identifié n’est pas un parti, mais une sorte de « nébuleuse » ouverte à tous les Ougandais qui souhaitent s’impliquer dans l’oeuvre de reconstruction nationale. Les formations politiques sont autorisées, mais elles ne peuvent pas tenir de meetings, ni présenter de candidats aux différentes élections. Elles ne peuvent pas non plus s’implanter en dehors de la capitale.
L’homme fort de Kampala craignait les risques liés au multipartisme. Une position qui ne pouvait pas être balayée d’un revers de la main, même par les observateurs extérieurs. Parce que le passage du système de parti unique au multipartisme intégral dans certains pays africains a effectivement dégénéré en guerre civile, la lutte politique prenant des allures de compétition entre les différentes ethnies ou entre régions. Comme le souligne l’hebdomadaire britannique The Economist, Museveni était le plus crédible opposant au multipartisme. Une crédibilité confortée par le bilan positif de la gestion de l’Ouganda par l’ancien guérillero.
Mais l’image de celui que l’ex-président américain Bill Clinton a qualifié en 1998 de « symbole de la nouvelle génération de leaders africains », a été ternie ces dernières années par l’aventure militaire de son armée en République démocratique du Congo. Et par l’élection présidentielle contestée du 12 mars 2001 qui ne l’a pas laissé indemne malgré sa large victoire. Il se pourrait bien que la volte-face de Museveni sur l’ouverture totale du jeu politique réponde à une volonté de restaurer son prestige, et d’apparaître définitivement comme le père de l’Ouganda moderne.
Les seuls facteurs internes qu’il met en avant n’expliquent pourtant pas sa conversion au multipartisme. Des raisons économiques y sont également pour quelque chose. « Ceux qui nous ont ouvert leurs marchés, dit le chef de l’État, sont aussi ceux qui souhaitent que nous ouvrions notre espace politique au multipartisme… Nous devons faire un compromis tactique afin de réaliser nos objectifs stratégiques. » Et de poursuivre en précisant que l’Ouganda, petit pays pauvre, ne pouvait pas se permettre, comme la Chine, de dire « non » aux occidentaux qui multiplient les pressions pour une ouverture politique. Il est vrai que la reconstruction économique du pays a été largement soutenue par les partenaires étrangers, notamment les États-Unis et l’Union européenne. Pour beaucoup d’analystes, l’argument des pressions extérieures n’est cependant pas la seule raison de la conversion de Museveni.
Le président reste incontestablement populaire dans son pays. Mais cette popularité s’effrite avec l’usure du pouvoir et les accusations de corruption, de népotisme et de verrouillage politique portées par son rival Kizza Besigye, lors de l’élection présidentielle de 2001. Si le chef de l’État sortant l’avait emporté avec près de 70 % des voix, la campagne, fort peu conviviale, a laissé des traces dans l’esprit des Ougandais. D’autant plus que Besigye était un homme du sérail, membre du Mouvement et autrefois compagnon de guérilla de Museveni. La stature de libérateur que nombre de ses concitoyens lui trouvent commence aussi à être remise en question – certains d’entre eux se demandant pendant combien de temps encore ils devront le remercier d’avoir ramené la paix dans la majeure partie du pays (une rébellion obscurantiste, l’Armée de résistance du Seigneur, sévit en effet dans le Nord depuis plus de quinze ans même si des signes de règlement durable sont en vue).
Et puis, Museveni a peut-être voulu couper l’herbe sous le pied à ses opposants en se posant désormais en architecte de la deuxième phase de la démocratisation du pays. Le nouveau credo du président n’est pas du goût de tous les hauts responsables du conseil exécutif du Mouvement de résistance nationale. Mais il semble déterminé et favorable à une révision de la Constitution, par référendum s’il le faut. Il n’aura probablement pas beaucoup de mal à convaincre les Ougandais qu’ils sont maintenant mûrs pour le multipartisme. Et ce même si un sondage publié le 27 février indique que 35 % de la population s’identifie au Mouvement et seulement 13 % aux différents partis politiques. Si 74 % des sondés pensent que la démocratie est toujours la meilleure option politique, ils ne sont que 42 % à juger l’activité des partis nécessaire pour le pays. Quant à la confiance dans les institutions, les Ougandais accordent la première place aux conseils locaux (77 %), suivis de l’institution Museveni (61 %), du Mouvement (56 %). Et ils ne sont plus que 16 % à accorder leur confiance aux partis politiques. Le sondage, réalisé en août et septembre 2002, ne tient évidemment pas compte de la conversion du président.
Yoweri Museveni inscrira son nom dans l’Histoire comme le père de l’Ouganda « moderne » s’il instaure effectivement le pluralisme et annonce officiellement qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle de 2006. La Constitution actuelle ne l’autorise pas à solliciter un troisième mandat. Il peut aussi tirer éventuellement profit de l’organisation d’un référendum constitutionnel sur le multipartisme pour faire sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels. C’est ce dont certains le soupçonnent déjà, et qui serait pour lui un joli un coup politique. Mais on n’en est pas encore là.

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