Maroc : après ses exploits face au coronavirus, l’hôpital public attend sa réforme

Mis à l’épreuve durant cette pandémie, le système de santé public du royaume s’est dépassé pour offrir à tous un service de qualité. La démonstration que la réforme tant attendue de ce secteur est à portée de main.

Dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital Moulay Abdellah, à Salé au Maroc, en premier ligne face au coronavirus, le 15 avril 2020. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital Moulay Abdellah, à Salé au Maroc, en premier ligne face au coronavirus, le 15 avril 2020. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

fahhd iraqi

Publié le 26 mai 2020 Lecture : 5 minutes.

Héros du quotidien, dévouement exemplaire, engagement sans failles… Dans la presse comme dans la bouche des dirigeants, les formules superlatives ne manquent pas à l’égard du personnel soignant de l’hôpital public. L’approche marocaine, saluée de toute part, est présentée comme un exemple à l’assemblée générale de l’OMS. Comme le temps passe… Car il y a quelques mois à peine, le corps médical vivait l’une des crise les plus ardues de son histoire.

Grève à répétition des professionnels du secteur, refus des étudiants en médecine de passer leurs examens, désaccords avec le secteur privé… Le département de la Santé paraissait agonisant, et à l’apparition du Covid-19 dans le Royaume, plus d’un pariait sur sa dislocation face à une pandémie déjà éprouvante pour des systèmes de santé robustes, et pour certains réputés les plus solides au monde.

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Mais en lieu et place de la catastrophe annoncée, l’hôpital public a fait la démonstration de sa résilience. Comme une rémission.

Effort collectif et bond qualitatif

« Cela a été rendu possible par un effort collectif du royaume. Le personnel soignant a fait beaucoup de sacrifices et a travaillé dans des conditions difficiles, même si notre système de santé ne s’est à aucun moment retrouvé en saturation », rappelle un épidémiologiste qui a requis l’anonymat.

Alors qu’il a enregistré des taux de létalité (2,7 %) et de guérison (57 %) parmi les plus élevés au monde, le nombre de cas actifs n’a jamais dépassé les 3 400 cas dans le royaume. De quoi préserver les 9 200 médecins du public du burn-out, et les 22 720 lits des centres de soin de l’engorgement.

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Surtout, la qualité de la prestation de santé publique n’a jamais atteint un tel niveau, de l’accueil des patients aux soins, jusqu’à leur rétablissement sous les applaudissements du personnel soignant.

« Même pour la restauration, des instructions royales ont été données pour faire appel aux services d’un traiteur. Nos patients n’ont jamais été aussi bien nourris qu’en cette période », confie, admiratif, un radiologue opérant dans un hôpital provincial du nord du royaume.

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Les syndicats mettent en garde malgré tout : les lacunes et les travers du système de santé restent criants, entre déficit d’infrastructures, manques de moyens humains, insuffisance des équipements, disparités territoriales…

« Ces maux n’ont pas disparu comme par enchantement. Ils sont toujours là mais relégué au second plan par la mobilisation collective en ces temps exceptionnels », souligne Abdellah El Montadar Alaoui, secrétaire général du Syndicat indépendant des médecins du secteur public (SIMSP), une organisation qui, dès le début du mois de mars annonçait par communiqué le « plein engagement de ses membres » et la mise en sourdine de son cahier de revendications.

La promesse a été tenue : le personnel soignant du public a répondu présent, et a pu compter sur le renfort des cliniques privés, qui ont mis à disposition leurs équipements et infrastructures, et de la médecine militaire, qui a fourni en un temps record des hôpitaux de campagne.

« La santé pour tous »

En cette période, la réelle prouesse reste d’avoir garanti l’équité face au service public. Jusque-là, les consultations médicales étaient considérée comme un luxe, et des familles entières pouvaient basculer dans la précarité à cause des frais faramineux occasionnées par le traitement d’une lourde maladie ou par une importante intervention chirurgicale.

Mais le Covid-19 a tout changé. Une fois testés positifs, riches comme pauvres se sont retrouvés à l’hôpital pour se faire soigner, tous égaux devant la maladie. Comme par miracle, « La santé pour tous » s’est matérialisée, loin des slogans politiques.

L’égalité face aux soins, possible en temps de crise, peut-elle devenir une réalité permanente ?

« Les Marocains ont redécouvert un hôpital efficace et performant, avec un personnel soignant engagé », se félicite Alaoui. Cette égalité, possible en temps de crise, peut-elle devenir une réalité permanente ? Oui, à la condition d’une réforme profonde du système de santé.

Déjà urgente hier, celle-ci est aujourd’hui en passe de devenir prioritaire sur l’agenda politique. « Aujourd’hui, plus que jamais, la restructuration et la réorganisation du système de santé figure parmi les principaux axes de travaux de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement (CSMD) », nous assure un proche de la commission dirigée par Chakib Benmoussa.

Ses futures propositions ont sans doute abonder dans le sens de la kyrielle de propositions déjà formulées par les professionnels et les forces politiques, mais qui sont restées jusque-là des vœux pieux. « Les ressources humaines du secteur de la santé représentent la pierre angulaire dans l’amélioration de l’offre de soins et de la qualité des services fournis. Motiver le corps soignant en lui octroyant une rémunération digne et à la hauteur de l’effort fourni est une nécessité absolue », insiste Abdellah El Mountadar Alaoui.

Même son de cloches du côté du Professeur Raja Aghzadi, chirurgienne praticienne et membre de la CSMD : « L’arrivée de la crise sanitaire du Covid-19 a permis de pointer quelques défaillances et insuffisances dans notre système de santé, mais elle a démontré qu’il est possible d’accélérer les décisions et de changer les comportements pour pallier aux urgences. Il en ressort la nécessité de mettre en place un système de santé fort, résiliant et équitable sur tout le territoire. Pour cela, la priorité est le renforcement des ressources humaines ainsi que la mise à niveau des infrastructures. Il est dorénavant vital d’avoir une politique de prévention forte et pérenne avec une veille sanitaire constante ».

Déclaration de presse du directeur de l'épidémiologie et de lutte contre les maladies au ministère de la Santé, Mohamed El Youbi pour décliner les statistiques relatives à la pandémie du coronavirus au Maroc.
© Kkhalid CHAFIQ/MAP

Équation budgétaire

L’accès universel à des services de santé passe par une généralisation de l’assurance maladie. Améliorer l’efficacité du système Ramed en étendant les prestations au secteur privé est une idée qui revient souvent sur la table. « Cependant les cliniques privées doivent jouer un rôle complémentaire et non pas alternatif à l’hôpital public », glisse un médecin.

Cette mise à niveau du système de santé doit également tenir compte des disparités territoriales. Le contraste entre les milieux urbain et rural doit être atténué en dotant toutes les régions du royaume d’hôpitaux universitaires, régionaux et provinciaux ainsi que de dispensaires.

Une telle restructuration mobiliserait d’importantes ressources financières pour doter les établissements de santé des moyens indispensables à leur bon fonctionnement. Cela passerait par une plus grande autonomie financière des hôpitaux publics qui devraient, selon certaines propositions, commencer à proposer des services payants.

Mais l’investissement public reste le facteur le plus déterminant. Malgré une augmentation de 50 % ces dernières années, le budget du ministère de la Santé ne représente encore que 6 % du PIB. Un ratio à doubler, estiment plusieurs acteurs politiques, qui espèrent que la loi de Finances rectificative présentée dans les jours à venir enverra un signal fort.

« Le Maroc est cité en exemple à l’international, par les décisions fortes et rapides qu’il a eu à prendre pendant la crise du Covid-19. Une stratégie qui a permis d’éviter le pire et de contenir la pandémie en gardant une courbe relativement aplatie. La mobilisation de tous, la fluidité des prises en charge, la mise en place spontanément et avec harmonie d’un partenariat public/privé a pesé dans cette démarche. Il est important de rester sur cet élan en accélérant les décisions, en renforçant le partenariat public/privé, en encourageant la recherche et l’innovation et surtout d’arriver à une autonomie dans l’industrie sanitaire pour faire face à toute crise future », conclut le Professeur Raja Aghzadi.

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