[Tribune] Tunisie : Abir Moussi ou l’illusion de la modernité
Bien que l’une des rares femmes au premier plan de l’échiquier politique tunisien, Abir Moussi, la chef de file du Parti Destourien Libre (PDL), n’est pas pour autant porteuse d’une révolution sociétale.
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Amine Snoussi
Essayiste, auteur de « La politique des Idées » (Centre national du livre), et militant pour la justice sociale et écologique.
Publié le 22 mai 2020 Lecture : 3 minutes.
Indéniablement, Abir Moussi assure le show, sous la coupole du Bardo. La chef de file du Parti Destourien Libre (PDL) enchaîne les sit-ins et les manifestations, la même cible dans son viseur à chaque fois : Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), et d’Ennahdha. Ce positionnement de première opposante au bloc islamiste attire beaucoup de nouveaux sympathisants au PDL, et rend irrésistible l’ascension de sa patronne.
Là où le bât blesse, c’est qu’Abir Moussi, bien que l’une des rares femmes au premier plan de l’échiquier politique tunisien, n’est pas pour autant porteuse d’une révolution sociétale. Elle s’oppose aux islamistes, mais emprunte à l’islamisme ses méthodes.
Extrémisme
La structure même de son projet politique pose problème et s’apparente souvent à une forme destourienne de l’extrême droite. Le propos peut choquer de prime abord, mais l’analyse, dans le détail, des positions prises par Abir Moussi ne souffre aucune contestation.
Tandis que feu Bourguiba à joué un rôle pionnier dans la libération de la femme Tunisienne, la présidente du PDL n’a pas de clémence pour les minorités actuelles. Farouchement opposée à la dépénalisation de l’homosexualité et à la reconnaissance des enfants nés hors mariage, elle fait partie de ceux qui, en 2018, ont durement attaqué, Bochra Bel Haj Hmida, présidente de la Commission pour les libertés individuelles et l’égalité.
Malgré sa persévérance à écarter Ennahdha du système politique tunisien, Abir Moussi se rapproche bel et bien de Rached Ghannouchi, dans sa structure de pensée politique, et dans celle de son parti. Pour le PDL comme pour Ennahdha, la conviction est portée par ce à quoi l’on s’oppose, pas parce que l’on propose. La conviction par l’ennemi, et non pas ce qu’on est.
Les méthodes des sympathisants « libres-destouriens » ressemblent à celles déployées par les formes les plus radicales de l’islamisme
Aussi, les méthodes des sympathisants « libres-destouriens » ressemblent, à bien des égards, à celles déployées par les formes les plus radicales de l’islamisme. Les groupes Facebook des partisans PDL relaient une contre-propagande islamiste aux amalgames douteux : Ennahdha est tour à tour associée à des incendies, à des bavures policières, à Daesh et Al-Qaïda. Les observateurs avisés du débat public tunisien notent les similitudes avec les campagnes de dénigrement à l’encontre de feu Béji Caïd Essebsi, propagées par les sympathisants d’Ennahdha, l’accusant de trahison et de bradage des ressources nationales au nom de supposés liens troubles avec l’Europe.
Dégradation du climat politique
La direction du PDL n’est sans doute pas à l’origine des excès de ses partisans, qui participent pourtant de la dégradation du climat politique tant dénoncée par Abir Moussi. Cette dernière gagnerait à condamner le dérapage de ses troupes, ou tout du moins d’émettre un rappel à l’ordre. Sauf à considérer que tout bien pensé, la violence lui profite davantage qu’elle ne lui nuit. Combattre le feu par le feu, le meilleur moyen de propager l’incendie…
L’avenir du Destour peut-il s’écrire dans l’extrémisme ? A ce jour, le courant souffre d’être l’otage d’une pratique attaché à un homme, Habib Bourguiba, et à une exigence de respect de son héritage. Ce faisant, le Destour peine à faire vivre un grand vivier idéologique, capable de projeter un idéal et d’influer la société. Une mauvaise chose ? Bien au contraire ! Car tant que le verre est vide, on peut choisir ce qu’on boit.
Les Destouriens ne pourront se réconcilier avec les classes populaires qu’en développant un nouveau discours social
Promettre le scalp d’Ennahdha ne suffira pas. À mon sens, les Destouriens ne pourront se réconcilier avec les classes populaires qu’en développant un nouveau discours social, porté le promesse de nouveaux acquis et du rétablissement des services publiques. Le vide laissé par la gauche sur ce créneau, y compris par la gauche syndicale et l’UGTT, n’a toujours pas été rempli.
C’est en tenant ce discours que les Destouriens pourront tisser de nouveaux liens avec ceux qu’ils ont longtemps ignorés, comme pour mieux s’assurer du soutien des élites. Ces réflexes d’antan doivent disparaître. Cra la politique a changé. Ce n’est plus la cooptation des 1% qui garantit le pouvoir, mais l’expression du peuple. Lequel a envoyé un message clair lors des élections de 2019 : il préfèrera toujours le frisson de l’inconnu au retour à l’ancien régime.
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