L’anti-Arafat

Futur Premier ministre palestinien

Publié le 18 mars 2003 Lecture : 3 minutes.

«Je vous demande d’approuver la création d’un poste de Premier ministre. » Par ces mots, lâchés presque incidemment à la fin d’un long discours sur les méfaits de l’occupation israélienne, Yasser Arafat se résignait à faire ce pour quoi le Parlement palestinien avait été réuni en ce 10 mars 2003. La proposition a été adoptée, sans surprise, par une large majorité des députés présents (64 voix pour, 3 voix contre et 4 abstentions). Sur recommandation du raïs, c’est Mahmoud Abbas, dit Abou Mazen, numéro deux de l’OLP et architecte palestinien des accords d’Oslo, qui devrait occuper ce poste.
Abou Mazen, c’est un peu l’anti-Arafat. Silhouette massive, moustache blanche, grosses lunettes, costume-cravate : des allures de bon père de famille qui tranchent avec le look fedayin du Vieux. Avare d’interviews, il a toujours oeuvré loin des caméras. Homme de l’ombre, il n’a cependant jamais hésité à se démarquer du chef de l’Autorité, ce qui conduisit plus d’une fois les deux hommes à ne plus s’adresser la parole…
Mais ces brouilles sont davantage le signe d’une intimité que le stigmate d’une hostilité. Abou Mazen appartient à la « vieille garde » qui a suivi le raïs dans tous ses exils. Membre fondateur du Fatah en 1961, admis relativement tard au sein du Comité exécutif de l’OLP (1981), il est vite apparu comme l’homme de confiance d’Arafat, voire comme son héritier naturel. Plus encore après la disparition d’Abou Jihad (1988) et d’Abou Iyad (1991), deux figures historiques de la résistance. Ainsi, le 1er juin 1992, Arafat, hospitalisé à Amman, le désignait, avec Farouk Kaddoumi et Hani el-Hassan, pour assurer l’intérim à la tête de l’OLP. La consécration, il la connaîtra un an après son retour dans la bande de Gaza, lorsqu’il est nommé, en 1996, secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP, devenant ainsi le numéro deux de la centrale palestinienne.
Né en 1935 à Safed, au nord de la Galilée, Mahmoud Ridha Abbas a quitté son foyer, comme des milliers de Palestiniens, pendant la guerre de 1948. Réfugié en Syrie – il adhère au parti Baas en 1954 -, il commence des études à Damas qu’il achèvera à l’université de Moscou par un doctorat d’histoire sur le sionisme.
Partisan précoce du dialogue avec Tel-Aviv, il est chargé par Arafat, dès la seconde moitié des années soixante-dix, de prendre langue avec les Israéliens. En mai 1977, il se rend à Prague, où il rencontre discrètement des représentants du Parti communiste israélien. Abou Mazen est prêt à discuter avec toutes les composantes de l’échiquier politique de l’État hébreu, des travaillistes au Likoud. Un pragmatisme au goût de trahison pour les franges palestiniennes plus radicales, mais fort apprécié des Israéliens et des Américains. Ces derniers feront de lui un acteur incontournable des négociations de paix, exigeant, notamment, que sa signature figure à côté de celle de Shimon Pérès en bas des accords d’Oslo, paraphés le 13 septembre 1993.
En novembre 2002, dans un discours devant les chefs de camps de réfugiés de la bande de Gaza, Abou Mazen sort de sa réserve pour prôner publiquement la « démilitarisation » de l’Intifada, dénonce « ceux qui ont fait dévier l’Intifada […] par des activités s’apparentant à une bataille militaire et non à un soulèvement populaire », et appelle à la trêve. Une position modérée devenue plutôt rare dans les Territoires… Et qui a fait d’Abou Mazen le candidat favori des Occidentaux pour le poste de Premier ministre.
Au point qu’Arafat s’est vu contraint d’abandonner son premier choix, Monib el-Mari – sexagénaire milliardaire sans étiquette politique -, au profit de son vieux compagnon de route. Est-ce à dire qu’Abou Mazen marchera sur les plates-bandes du raïs ? Rien n’est moins sûr. Si l’ordre public et la sécurité intérieure relèvent désormais du Premier ministre, « le haut commandement des forces palestiniennes » et la politique extérieure – donc les négociations avec l’État hébreu – demeurent la prérogative exclusive du président de l’Autorité.
Au regard de l’impasse diplomatique à laquelle a conduit la mise à l’écart de ce dernier par Sharon et Bush, la nomination d’Abou Mazen pourrait offrir une porte de sortie consensuelle. Sur le plan intérieur, en revanche, le nouveau Premier ministre souffre de sérieux handicaps : son manque de charisme, d’assise populaire, sa santé que l’on dit fragile… Et, surtout, une réputation ternie par son enrichissement personnel à la faveur d’opérations immobilières douteuses.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires