Un spahi au Quai d’Orsay

Avec l’arrivée de Dominique de Villepin au ministère des Affaires étrangères, l’ Afrique est redevenue l’une des préoccupations quotidiennes des diplomates français.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Avant même que n’éclate la crise ivoirienne, le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin avait tenu à remettre l’Afrique au rang des préoccupations quotidiennes de la diplomatie française. Et comme l’ancien secrétaire général de l’Élysée affectionne les opérations commandos et n’aime guère partager ses prérogatives, les responsables Afrique sont à la fois peu nombreux, prépositionnés aux postes stratégiques et alignés derrière le hussard du Quai d’Orsay. Le coup d’État manqué du 19 septembre à Abidjan a précipité cette évolution, dans la mesure où la crise a longtemps été gérée de façon quasi solitaire par le ministre et son équipe. Quand on sait en outre que les responsables de la DGSE et de la DST sont des proches de Villepin, qui a lourdement pesé sur leur nomination, on mesure mieux l’étendue des pouvoirs d’un homme qui s’est taillé un champ d’action beaucoup plus large que la plupart de ses prédécesseurs.
L’essentiel du dossier ivoirien est géré presque à plein temps, au Quai d’Orsay, par Nathalie Delapalme. Dans son bureau du troisième étage encombré de dossiers, cette économiste discrète, qui se veut l’ombre du ministre, a le titre de conseiller pour l’Afrique et le développement – un poste qu’occupait avant elle, et auprès d’Hubert Védrine, Georges Serre, l’actuel ambassadeur à Kinshasa. Bosseuse, modeste, timide au point d’apparaître froide, attentive et souvent brillante, très au fait des réalités d’un continent qu’elle a appris à aimer sans aucun relent de paternalisme, Nathalie Delapalme est également la « madame Afrique » du ministre délégué à la Coopération, Pierre-André Wiltzer. Son apprentissage s’est déroulé sous les lambris du Sénat, au sein de la cellule économique puis de la commission des Finances, où elle a suivi de près les questions d’aide au développement. Collaboratrice du socialiste Michel Charasse – qui est au mieux avec Dominique de Villepin -, elle a également été membre, pendant deux ans du cabinet de Jacques Godfrain, alors ministre de la Coopération. « On peut l’appeler à minuit sur son portable, elle rappelle une heure après », confie, admiratif, un homme politique ivoirien. Son « marquage » politique est donc moins important que son professionnalisme et sa capacité de travail. Même si la traditionnelle Direction des affaires africaines et malgaches (DAM) du Quai continue de fonctionner, et même si Dominique de Villepin a toujours recours aux recettes secrètes de l’avocat Robert Bourgi, missi dominici expert en décryptage de « l’Afrique de la nuit », Nathalie Delapalme est devenue, presque à son corps défendant, incontournable.
L’activisme très médiatique de Villepin a souvent tendance à gêner ses trois adjoints, qui se sentent parfois réduits à l’inauguration des chrysanthèmes. Ministre déléguée aux Affaires européennes, Noëlle Lenoir ne cache pas ses états d’âme. Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, récemment envoyé pour une longue tournée en Afrique australe, se montre volontiers grinçant. Et Pierre-André Wiltzer ? Marginalisé dans la crise ivoirienne, écarté des Grands Lacs, ayant eu, lui aussi, ses états d’âme, le ministre délégué à la Coopération a eu recours aux « franches explications » pour se définir un champ d’action : le développement, certes, mais aussi quelques dossiers sensibles comme la Centrafrique, le Congo-Brazzaville (où son directeur de cabinet, Hervé Bolot, fut ambassadeur), Madagascar, le Nepad…
Reste que l’affaire ivoirienne a vu réapparaître sur la scène franco- africaine un acteur dont les relations avec le Quai d’Orsay sont souvent délicates : l’armée. Si l’équipe Villepin, en plein accord avec l’Élysée, a répondu aux souhaits de l’état-major de l’opération Licorne en procédant au « débarquement » d’ambassadeur le plus rapide de l’histoire de la Ve République – Renaud Vignal, remplacé par Gildas Le Lidec -, les points de friction demeurent nombreux. Boulevard Saint-Germain, aux côtés du chef d’état-major des armées, le général Hervé Bentegeat, c’est son conseiller Afrique et Moyen-Orient, le général Alain Pellégrini, qui gère la crise ivoirienne. Avisé, peu loquace et très informé, Pellégrini couve l’impressionnant réseau des militaires africains formés en France (ou, en Afrique, par des officiers français), une fraternité d’armes beaucoup moins connue mais tout aussi efficace que la toile jadis tissée par Jacques Foccart – et, de plus, en renouvellement constant. De Mathias Doué à Michel Gueu, en passant par Seka Seka Yapo et Tuo Fozié, tous les acteurs militaires du conflit ivoirien ont ainsi leur « fiche » au ministère de la Défense.
Troisième acteur essentiel, enfin : l’Élysée. On a dit la « cellule Afrique » de Jacques Chirac quelque peu mise sur la touche au début de la crise ivoirienne par l’activisme du Quai d’Orsay. Sans doute n’est-ce pas inexact, mais à l’occasion des grands sommets, comme celui de Kléber ou Afrique-France du 19 février, la cellule retrouve toutes ses prérogatives. Les coups de téléphone de et à Chirac transitent presque toujours par le n° 2 de la rue de l’Élysée, où officie Michel de Bonnecorse Benault de Lubières. Ce fils d’officier de 62 ans connaît bien Jacques Chirac, dont il fut membre du cabinet à Matignon de 1974 à 1976. En poste à Dakar, Antananarivo, puis à l’Unesco, cet homme affable et cultivé a été ambassadeur au Kenya, au Maroc pendant six ans – où il a pu observer la fin du règne de Hassan II et l’avènement de Mohammed VI -, en Suisse, enfin. Auteur d’un ouvrage sur « Les matières premières dans le dialogue Nord-Sud », Michel de Bonnecorse est l’interface obligé entre Chirac et les chefs d’État africains. C’est lui qui informe quotidiennement le président de l’évolution de la situation ivoirienne. À ses côtés, un homme suit très attentivement ce dossier : son adjoint, Bernard Diguet. Ancien de la Banque de France, ce grand commis souriant et caustique a travaillé au Sénégal auprès d’Abdou Diouf, mais aussi, longuement, en Côte d’Ivoire avec Houphouët, Bédié et Ouattara.
Bien évidemment, au second plan, mais non sans influence, d’autres personnalités du « village » ont leur mot à dire. Du Medef (Michel Roussin, bon connaisseur de la Côte d’Ivoire) à l’Agence française de développement (Jean-Michel Severino) en passant par Denis Tillinac et sa Renaissance Afrique-France (étonnamment discret sur une affaire où ses capacités d’imagination et de proposition auraient dû s’exprimer), les expertises ne manquent pas. À moins que, sûr de son fait, Dominique de Villepin ait décidé de s’en passer…

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