Un « scoop » qui tombe à pic

Par-delà l’exploitation qu’en font les États-Unis, le message attribué au chef d’el-Qaïda suscite bien des interrogations.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Les Irakiens ont été les premiers surpris par la réapparition, fort inopportune (pour eux), d’Oussama Ben Laden dans un message audio d’une durée de seize minutes, où il exhorte les musulmans à combattre aux côtés des « socialistes apostats » du parti Baas au pouvoir à Bagdad. Cette solidarité tardive, Saddam et les siens s’en seraient bien passés au moment où Washington cherchait à prouver leurs liens avec le réseau d’el-Qaïda.
Pour les Américains, qui ont été les premiers à révéler l’existence de ce message, cette réapparition de leur ennemi public n°1 était, au contraire, fort opportune. Et pour cause : elle a eu lieu une semaine après la prestation peu convaincante du secrétaire d’État américain Colin Powell devant le Conseil de sécurité et, surtout, trois jours avant la présentation du rapport de Hans Blix, chef des inspecteurs du désarmement de l’Irak, devant la même instance. Ils l’ont donc exploitée à fond dans leur guerre, pour l’instant encore seulement médiatique, contre l’Irak.
Le message sonore d’OBL, que les experts du Pentagone ont authentifié avec une rapidité inhabituelle, continue de susciter les commentaires les plus contradictoires. Pour tous ceux qui sont habitués à la rhétorique théologico-historique du chef d’el-Qaïda, son contenu n’a rien d’exceptionnel. Ce sont les circonstances de sa révélation et l’exploitation (politique) qui en a été faite par les responsables américains qui continuent de nourrir les doutes quant à son authenticité, et pas seulement dans le monde arabo-musulman. Histoire d’un « scoop » qui tombe à pic.
Mardi 11 février, lors d’une audition devant la commission du budget du Sénat, Colin Powell ne se contente pas de présenter le budget de son département pour 2004. L’audition étant retransmise en direct par les chaînes câblées, il profite de l’occasion pour annoncer à ses compatriotes (et au reste du monde) que la télévision par satellite Al-Jazira est en possession d’une nouvelle bande sonore d’OBL où ce dernier reconnaît ses liens avec l’Irak.
Une heure auparavant, George Tenet, directeur de la CIA, qui parlait devant la commission du renseignement du Sénat, a porté la même accusation, en citant le nom de Moussab el-Zarkaoui, un Jordanien d’origine palestinienne, chef d’un réseau terroriste proche de l’Irak, qui serait l’instigateur des complots d’empoisonnement en Europe et de l’assassinat d’un employé du département d’État en Jordanie. Il a ajouté que ses services ont intercepté des communications entre des dirigeants terroristes attestant l’existence d’une menace sérieuse visant les États-Unis et les pays de la péninsule Arabique, c’est-à-dire l’Arabie saoudite – après le pèlerinage à La Mecque, qui s’est achevé le 13 février -, le Yémen, Oman, les Émirats arabes unis, le Koweït, Bahreïn et Qatar, soit tous les pays arabes voisins de l’Irak et qui collaborent avec Washington.
Robert Mueller, directeur du FBI (service chargé de la sécurité intérieure), qui a succédé à son collègue à la tribune de la même commission, a confirmé, pour sa part, l’existence de cellules dormantes qui s’apprêtent à lancer des attentats terroristes sur le sol des États-Unis. Ces cellules, « formées de plusieurs centaines d’extrémistes islamiques liés à el-Qaïda » constituent, selon ses termes, « la menace la plus urgente pour les intérêts américains ».
Alors que de nombreux experts du terrorisme, et même certains agents de la CIA, restent sceptiques sur l’existence de liens entre el-Qaïda et l’Irak, ces « révélations », ajoutées au message d’OBL, sont censées justifier, au regard des responsables américains, le renforcement du niveau d’alerte dans le pays, qui est passé d’« élevé » à « très élevé », le second dans l’échelle établie en mars dernier par Washington.
Il n’en fallait pas tant pour que les mesures de sécurité soient renforcées. Les appels à la vigilance lancés par les médias, la distribution de masques à gaz et de kits de survie à la population, le déploiement des unités antiterroristes sur l’ensemble du territoire n’ont pas tardé à raviver la psychose terroriste qui s’était emparée des Américains au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. L’objectif de Washington est, à l’évidence, de venir à bout de toutes les résistances à la guerre et de préparer psychologiquement les Américains à cet événement déjà programmé.
Par-delà l’« exploitation » qu’en ont faite les Américains, le document sonore attribué à Ben Laden pose un certain nombre de problèmes que nous pourrions résumer dans une série d’interrogations. Pourquoi sont-ce les Américains qui, les premiers, en ont annoncé l’existence ? Y a-t-il un accord secret entre Doha et Washington en vertu duquel la chaîne Al-Jazira s’engage à soumettre les messages d’OBL qui lui parviennent aux responsables américains avant de les diffuser (ou pour être autorisée à le faire) ? Pourquoi la chaîne qatarie a-t-elle démenti, quatre heures durant, l’existence du document avant de se rétracter et de le diffuser dans la soirée du 11 février ? Le document diffusé semble avoir fait l’objet d’un montage. Cela a été confirmé par plusieurs experts européens. Qui a donc procédé à cette opération et dans quelle mesure le contenu du message n’a pas été, d’une certaine façon, altéré ou détourné ?

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