Un règne impérial

Libérés de la cohabitation, le président Jacques Chirac et sa famille politique ont aujourd’hui toutes les clés du pouvoir entre les mains.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Jamais règne républicain ne fut d’apparence aussi impériale : une réélection, même ambiguë, à 82 %, des majorités confortables tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, une prédominance au Conseil constitutionnel, une primauté dans les régions et les départements, une opposition défaite et, pour l’heure, incapable de se reconstruire. Dix mois après son succès, Jacques Chirac demeure aujourd’hui encore le maître de la politique française. Et comme si sa réélection devait ouvrir une ère nouvelle, l’organisation de l’Élysée a connu une certaine mutation. Non qu’elle soit visible. Les journées se déroulent comme sous le septennat précédent. Généralement, le président commence à travailler relativement tard, vers 9 heures, mais il a alors écouté toutes les radios et parcouru tous les journaux. La relecture collective des discours qu’il doit prononcer est aussi minutieuse aujourd’hui qu’hier. C’est une caractéristique de sa méthode et un rythme immuable : entouré de Philippe Bas, le secrétaire général de l’Élysée, de sa fille Claude, des spécialistes du dossier traité et d’une ou deux personnes du service de presse, Chirac, méticuleux, lit, rature, corrige ce qu’on lui a préparé, surlignant au stylo rouge les passages essentiels, attentif aux détails et aux mots.
De même, son souci de tout savoir, son désir de se renseigner personnellement, son goût des réseaux, son attention aux autres et son impatience n’ont pas changé. Ils le conduisent à utiliser le téléphone aussi fréquemment qu’auparavant. « Peut-être, reconnaît un familier, contrairement au début de son précédent mandat où il surveillait tout, se comporte-t-il moins en Premier ministre. Mais la différence est minime. » Sans doute Chirac n’accepte-t-il plus de « se laisser emmerder » – l’expression serait de lui – et accorde-t-il une certaine autonomie au Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Mais que le sujet soit délicat ou le passionne, et le naturel reprend le dessus. Ainsi, il suit avec une particulière attention le dossier des retraites et celui des problèmes agricoles, sa marotte depuis toujours, allant, si besoin est, jusqu’à solliciter plusieurs fois par jour les ministres concernés.
Le plus souvent, même si sa vie privée est très discrète, le président déjeune à l’Élysée. Il lui arrive, le dimanche, de prendre son repas en tête à tête avec sa femme, Bernadette, leur chien à leurs pieds et la télévision allumée. Quant à ses préoccupations intellectuelles, elles se portent de plus en plus vers les arts premiers, les civilisations asiatiques ou les origines de l’homme, sa dernière passion. Au point parfois de lasser quelque peu le ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry, au cours de leurs échanges.
En réalité, le changement doit être apprécié en fonction de la composition de l’entourage présidentiel. Les conseillers les plus anciens sont toujours là, comme Maurice Ulrich, en charge notamment de la Corse, ou Jérôme Monod, qui, bien qu’ayant annoncé son départ, l’a différé. D’autres, plus jeunes, sont également demeurés en place, tels la porte-parole Catherine Colonna, énarque et diplomate, particulièrement utile en cette période de crise internationale. Claude Chirac, elle, semble un peu moins présente. En dépit de ces piliers, le renouvellement a été important. Il s’est traduit par un rajeunissement du cabinet, une modification du style et l’apparition d’une nouvelle sensibilité « de centre droit », qui s’est substituée à l’orientation libérale, voire nettement inscrite à droite, de l’entourage précédent. Le secrétaire général, Philippe Bas, au passé démocrate-chrétien, est un homme très politique, pondéré, plus rationnel et moins flamboyant et rigoriste que son prédécesseur Dominique de Villepin. Ne serait-ce que parce qu’il n’impose plus de rester debout lors des réunions quotidiennes de cabinet comme l’exigeait Villepin ! La fibre sociale a toujours été la caractéristique de ce catholique pratiquant, passé par les cabinets de Jacques Barrot et de Simone Veil. Il est entouré de deux adjoints – au lieu d’un seul auparavant -, l’un venu de chez Alain Juppé, l’autre qui a connu le monde de l’entreprise et est chargé des questions sociales et de l’éducation. La « tradition » Villepin, c’est-à-dire le souci de la grandeur de la France et la nostalgie de son influence, est incarnée par Maurice Gourdault-Montagne, « sherpa » de Chirac depuis octobre dernier et fidèle inconditionnel de Juppé. Ce diplomate non-énarque et ancien élève de l’École des langues orientales, de famille militaire, est aussi passionné que son ami Villepin sans en avoir la démesure. Quant à Blandine Kriegel, philosophe chargée des questions éthiques, elle reste plutôt cataloguée à gauche.
C’est que Chirac est toujours stupéfait des résultats du premier tour de la présidentielle et du score de Le Pen. Il en a tiré la leçon que le discrédit des politiques était si profond qu’il risquait d’être durable si ceux-ci ne répondaient pas aux attentes du peuple. D’où son double souci : tenir, cette fois, les promesses faites et s’intéresser à des problèmes souvent négligés par les gouvernants. La priorité donnée à l’insertion des handicapés ainsi qu’à la lutte contre le cancer et les accidents de la route traduit cette volonté de gouverner « autrement », pour reprendre un slogan de Jospin. Autant par conviction que par sens tactique, le président a fait de cette réhabilitation du politique un des enjeux de son quinquennat.
Car il n’a pas oublié non plus le tournant en faveur de la rigueur qu’il a pris au début de son septennat et la dissolution ratée qu’il a décidée en 1997. Le premier l’a fait, pour le moins, considérer comme un inconstant ; la seconde a ouvert la porte à la gauche et conduit à une cohabitation où, sans vrai pouvoir, il est apparu comme un « roi fainéant ». Chirac entend donc effacer ces deux erreurs et espère, par son deuxième mandat, laisser une trace dans l’Histoire. D’où également une diplomatie offensive, prégnante, capable de s’opposer aux Américains comme dans la crise irakienne, bref une diplomatie active mâtinée de souvenir gaulliste. Pour le moment, comme on dit à l’Élysée, « cela ne se passe pas trop mal ».

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