Une affaire française

Tout en préparant le prochain sommet Afrique-France, l’Élysée et le Quai d’Orsay essaient de désamorcer les critiques formulées au sein de la classe politique hexagonale sur leurs positions dans la crise ivoirienne.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Palais des congrès de la Porte Maillot, Paris, jeudi 20 février, 10 h 30. Dans son discours d’ouverture de la XXIIe Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, devant une bonne trentaine de ses pairs du continent – lesquels, pour plus de commodité et de sécurité, seront pour beaucoup logés dans la tour du Concorde-Lafayette tout proche -, Jacques Chirac évoquera assurément le sujet africain de l’heure : la Côte d’Ivoire. Dans la salle, bien évidemment, sera assis un homme dont toute l’Afrique francophone connaît désormais le visage : Dominique de Villepin. Une précision qui n’est pas inutile, tant la rumeur d’un dépôt de démission de la part du ministre français des Affaires étrangères, pour cause d’échec de sa diplomatie en Côte d’Ivoire, a saisi ces derniers jours le « village » françafricain. Les initiés avancent même une date : le 29 janvier. Alors que la rue abidjanaise grondait et que les expatriés fuyaient le pays, Villepin aurait, par écrit, offert à Chirac de rendre son tablier, avant de se heurter à un refus présidentiel.
Dans l’entourage du ministre, mais aussi à l’Élysée, on se demande encore d’où provient ce que l’on qualifie d’« intox ». « C’est aberrant, confie un proche. Si Dominique a toujours su que cette crise l’exposait, il n’a jamais fléchi. C’est mal le connaître que de croire qu’il démissionnerait pour cela, au milieu du gué. Et puis, où est l’échec ? »
Fondée ou non, la rumeur confirme dans tous les cas que Villepin n’a pas, dans son propre camp, que des amis. Et que la crise ivoirienne est aussi une (petite) affaire franco-française. Représentant du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest, le Mauritanien Ahmedou Ould Abdallah, qui a quitté Abidjan le 13 février pour rejoindre Dakar (il est remplacé en Côte d’Ivoire par un envoyé spécial à plein temps, le Béninois Albert Tévoèdjrè), juge ainsi avec beaucoup de sévérité les critiques ouvertes formulées au sein de la classe politique hexagonale à l’encontre des positions françaises dans ce pays : « Donner des signaux contradictoires à des excités, à des paranoïaques enfermés dans leurs ghettos intellectuels, c’est irresponsable et dangereux », assène-t-il. Il est vrai que de Laurent Fabius à François Hollande en passant par Dominique Strauss-Kahn, même les dirigeants socialistes les moins alignés sur le « camarade Gbagbo » semblent avoir dépassé leur gêne initiale pour fustiger les ambiguïtés de la France en Côte d’Ivoire. Alors que, fait remarquable et peu remarqué en ces temps de haute tension entre Paris et Washington, Américains et Britanniques ont publiquement fait connaître leur soutien.
Y aura-t-il un Kléber bis en marge du Sommet Afrique-France, quelque part entre le 19 et le 21 février ? « Ce n’est pas exclu, mais ce n’est pas prévu et, de toute façon, pas sous les mêmes formes », répond-on au Quai d’Orsay, où l’on insiste sur le fait qu’il s’agit d’une réunion de chefs d’État exclusivement, avec un ordre du jour chargé et d’autres médiations en coulisses à prévoir – entre la Centrafrique et le Tchad par exemple, voire, puisque Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika sont annoncés, entre l’Algérie et le Maroc. Et puis, dans la mesure où nul désormais ne peut prévoir l’avenir ivoirien au-delà de vingt-quatre heures, le terrain, plus que jamais, est déterminant.
À ce sujet, les Français qui ont choisi de faire une lecture volontairement positive, voire biaisée, du discours prononcé par Laurent Gbagbo le 7 février plutôt que d’en stigmatiser les reculs (« C’est un discours malin dont nous ne voulons retenir que la seconde partie, celle où le président s’engage à travailler à l’application des accords de Marcoussis », souligne un proche de De Villepin), savent qu’ils marchent sur des oeufs. Ils craignent en effet que Gbagbo et son entourage cherchent à « pousser au crime » les rebelles du MPCI en les obligeant, par une attitude intransigeante, à venir provoquer les forces françaises le long de la ligne de cessez-le-feu. Sur le papier, forte de trois mille hommes et du mandat que lui confère la résolution 1464 de l’ONU, l’« opération Licorne » a les moyens à la fois de contenir le front et de sécuriser les Français d’Abidjan, sauf si les rebelles combinent les tentatives d’incursion au-delà de la ligne rouge et une (hypothétique) insurrection au coeur même de la métropole ivoirienne où, à les en croire, ils auraient déjà infiltré des hommes et des armes. Scénario cauchemar qui verrait une nouvelle fois se retourner le sentiment anti-Français, le Nord sur ce terrain remplaçant le Sud…
Suspendus aux résultats des négociations d’Accra, le 14 février, entre les représentants de la rébellion et le Premier ministre Seydou Diarra, inquiets à l’idée que ce dernier puisse être tenté de jeter l’éponge (Diarra, qui a eu l’intelligence et le courage de refuser toute protection française ainsi que le lui proposait Paris, n’est guère assuré de sa sécurité), le Quai d’Orsay et l’Élysée maintiennent avec le président Gbagbo « un contact froid » selon les mots d’un haut responsable français. La manière dont s’est déroulée la rencontre, à Yamoussoukro le 10 février, entre Laurent Gbagbo et trois des chefs d’État du groupe de contact de la Cedeao n’a guère dû les rassurer. Une réunion sous haute tension, pendant laquelle Obasanjo, Kufuor et Eyadéma ont prôné l’apaisement et le respect des accords de Marcoussis-Kléber (« C’est Dieu qui donne le pouvoir, ne force pas le destin », a répété le président togolais) face à un Gbagbo un peu absent, presque sonné, qui répétait son refus de voir les rebelles prendre les ministères de la Défense et de l’Intérieur – alors que, selon tous les témoins, il avait formellement accepté cette répartition à Paris.
Il est vrai que le président ivoirien était à Yamoussoukro très étroitement encadré par deux durs du régime : le ministre des Finances Paul Bohoun Bouabré (qui s’est récemment rendu au Maroc, où il a été reçu par Mohammed VI, dans une tentative aussi vaine que désespérée de faire revenir Omar Kabbaj sur sa décision de déménager la Banque africaine de développement d’Abidjan à Tunis) et surtout le leader des « patriotes », Charles Blé Goudé. La seule présence de ce dernier, entouré de sa garde prétorienne armée jusqu’aux dents, explique en grande partie le refus du MPCI de participer à ce minisommet. « On va droit dans le mur », commentait, consterné, Ahmedou Ould Abdallah à l’issue de la réunion. Depuis, Laurent Gbagbo aurait, dit-on, fait une concession minime, acceptant la présence de rebelles à des postes honorifiques. Et ces derniers auraient, sur pression française, consenti à différer leur ultimatum. Le tiède après le froid : la Côte d’Ivoire commence à prendre l’habitude de cette météo aléatoire. Nul doute qu’elle ne contribuera guère à réchauffer l’ambiance de la grand-messe africaine de la Porte Maillot.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires