Un cauchemar pour Taylor

Publié le 18 février 2003 Lecture : 3 minutes.

Chef de file des rebelles du Liberia «Je crois en la prédestination, je pense que mon destin est de remettre sur pied le Liberia et de redonner la liberté et la dignité aux Libériens. » Telles étaient, en septembre 2002, les paroles, en anglais, bien sûr, de Sekou Damate Conneh à Voïnjama, près de la frontière guinéenne. Le Lurd (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie) est depuis sa création, fin 1999, le cauchemar de Charles Taylor, lui-même ex-chef de guerre. Conneh et ses troupes ont une prédilection, semble-t-il, pour le mois de février. C’est en février 2002 qu’ils ont véritablement menacé le pouvoir de Taylor pour être arrivés jusqu’aux portes de Monrovia. Et c’est aussi en février 2003 qu’ils ont lancé une offensive contre la ville de Tubmanburg, à 60 km de la capitale.
Sekou Conneh, qui se verrait bien à la place de Taylor, aura peut-être l’occasion de l’affronter, non pas par les armes, mais devant les urnes lors des élections prévues en octobre prochain. Les rebelles ont accepté le 8 février le principe d’un dialogue avec le gouvernement, et Taylor leur offre la possibilité de se muer en parti politique pour prendre part aux élections. En attendant, lunettes noires, tenue de camouflage ou au contraire en costume-cravate, Conneh aime poser pour les photographes. Il est le nouveau visage d’une rébellion qui a jusque-là manqué de visibilité. Et dont on ne connaissait que les jeunes commandants aux noms de guerre tout droit sortis des gangs de Los Angeles : Dragon Master, Bush Dog, Jungle Root ou Nasty Duke… sous l’autorité du chef des opérations militaires, General Prince Seo.
Celui qui veut remplacer Taylor est né en 1960 à Gbarnga, dans une famille musulmane du groupe ethnique mandingue, minoritaire au Liberia. Contrairement à ses troupes, Sekou Conneh, dont le père possédait une plantation de caoutchouc et une ferme, a fréquenté l’université. Ses compagnons du Lurd lui attribuent même un doctorat en finances publiques… sans doute pour mieux peaufiner son image de présidentiable. Conneh a pris la tête du comité national exécutif du mouvement rebelle début 2002 alors qu’il ne faisait pas partie des membres fondateurs. Selon sa biographie officielle, il a travaillé à partir de 1986 comme percepteur, avant de quitter le Liberia. Et à en croire certains membres de son entourage, il aurait surtout fait fortune dans le commerce de voitures d’occasion importées d’Europe.
Sa carrière politique débute en 1980, lorsqu’il rejoint le Parti progressiste du peuple (PPP), une formation d’opposition interdite sous le régime de William Tolbert. Il est alors poussé à l’exil en Ouganda. Et reste dans l’anonymat jusqu’à l’année dernière lorsqu’il s’impose dans la sphère dirigeante du Lurd, avec comme vice-président Chayee Doe, frère cadet de l’ex-président Samuel Doe, tué en septembre 1990. Une ascension sans doute favorisée par une générosité que salue le secrétaire général du mouvement, Joe Gbalah : « Il a dépensé 400 000 dollars pour nous fournir vingt véhicules 4×4 et il envoie régulièrement des médicaments et des vivres à la population et aux troupes. »
Conneh, lui, met en avant d’autres raisons : « Charles Taylor n’est pas le bon président pour les Libériens et il a isolé le pays de la communauté internationale. » Et d’accuser le chef de l’État de s’acharner sur les personnalités appartenant aux groupes ethniques mandingues et krahns, qui fournissent le gros des troupes du Lurd. Alors que, descendant d’esclaves revenus des Amériques, Taylor s’est appuyé sur les Manos et les Gios, deux ethnies persécutées sous le régime du Krahn Samuel Doe. Comme le Mouvement uni de libération pour la démocratie au Liberia (Ulimo, qui a combattu Taylor au cours de la guerre civile, de 1990 à 1997) en son temps, la nouvelle rébellion bénéficie sinon du soutien actif, du moins de la bienveillance de la Guinée voisine. Selon un rapport publié en mai 2002 par l’ONG américaine Human Rights Watch, la connexion guinéenne ne fait aucun doute. Les hommes de Conneh traversent allègrement la frontière et recrutent dans les camps de réfugiés installés en Guinée. Le rapport mentionne aussi les relations entre Sekou Conneh et le président guinéen Lansana Conté, par l’intermédiaire de sa femme, Ayesha Conneh. Celle-ci aurait été un temps conseillère spirituelle de Conté, auquel elle aurait prédit en 1996 une tentative de coup d’État.
Après Samuel Doe et Charles Taylor, Conneh président ? Lui, semble y croire fermement. Mais la guerre pour le moins bizarre de son mouvement contre le pouvoir de Monrovia continue à susciter un doute sur ses véritables motivations. Le Lurd fait parler sporadiquement de lui chaque année et donne une semaine à Taylor pour démissionner. Et il est chaque fois « repoussé ». Ou convié à des pourparlers avec l’ennemi juré comme aujourd’hui.

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