Un aller simple pour Zurich

Destination favorite des « touristes du suicide » : la Suisse.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 3 minutes.

Un lundi matin de la mi- janvier, Reginald Crew (74 ans) a quitté son appartement de Liverpool, dans le nord de l’Angleterre, et a pris l’avion pour Zurich, en Suisse. Avec la ferme intention de mettre fin à ses jours. Paraplégique, il ne se déplace qu’en fauteuil roulant et souffre le martyre. À 10 heures, il a rencontré un médecin qui, en toute légalité, a certifié qu’il était en phase terminale et lui a prescrit une dose mortelle de barbituriques. À 15 heures, il a avalé la potion fatale. Quatre minutes plus tard, il était mort. Sa femme et sa fille étaient à ses côtés.
Reginald Crew n’est pas un cas isolé. C’est un « touriste du suicide », comme on commence à dire ici. Autrement dit, l’un de ces malades désespérés qui, désirant abréger leurs souffrances, ont choisi de se mettre à couvert de la très libérale loi suisse sur l’euthanasie, qui date de 1942. En 2000, à Zurich, trois étrangers se sont ainsi suicidés avec assistance. En 2001, leur nombre est passé à trente-huit, vingt autres personnes portant leur choix sur Berne. Ils ont été cinquante-cinq, l’an passé.
La plupart de ces suicides assistés ont eu pour cadre un appartement loué par Dignitas, l’une des quatre organisations de ce type opérant en Suisse, dans un quartier ouvrier de Zurich. Fondée, en 1988, par Ludwig Minelli (70 ans), un ancien journaliste devenu avocat, Dignitas a pour ambition « d’aider les autres à mourir dans des conditions de dignité qu’ils ne trouvaient pas dans leur pays ». 75 % de ses patients sont étrangers.
La Suisse n’est pas le seul pays à avoir légalisé l’euthanasie. Les Pays-Bas et la Belgique sont dans le même cas, mais ils n’attirent que très peu de « touristes de la mort », leur législation exigeant que l’« assistant au suicide » soit un médecin connu du patient de longue date. Un médecin de famille en quelque sorte. Souvenir de l’eugénisme nazi, l’Allemagne reste très frileuse en ce domaine : la loi y assimile l’euthanasie à un crime.
Selon Minelli, la majorité des adhérents de Dignitas, qui paient 70 dollars de frais d’inscription plus une cotisation annuelle de 30 dollars, sont allemands. Quelques-uns viennent d’Autriche et de France, d’autres de beaucoup plus loin : Israël, États-Unis, Grande-Bretagne, Liban… Ils ont souvent découvert l’association via son site Internet (www.dignitas.ch).
Le développement de ce tourisme très particulier est loin de faire l’unanimité en Suisse. Une députée, Dorle Vallender, a récemment déposé au Parlement un projet de loi visant à rendre les procédures plus restrictives, de manière à laisser aux candidats au suicide le temps de la réflexion.
« Je ne suis pas contre le suicide assisté, explique-t-elle, mais avec Dignitas, tout va trop vite. Les gens arrivent le matin ; quelques heures plus tard, ils sont morts. » « Grâce aux progrès de la médecine, nous sommes parvenus à prolonger la vie, réplique Minelli, mais de nombreux malades s’interrogent sur l’intérêt de cette longévité. À quoi bon vivre quand l’agrément de la vie a disparu ? »
Quoi qu’il en soit, le problème est désormais clairement posé. Et Reginald Crew, par exemple, a souhaité donner à son geste un certain retentissement médiatique, dans le but d’influencer l’opinion en faveur de l’euthanasie. Toutes les dépenses de son suicide assisté ont été prises en charge par une émission de la télévision britannique (Tonight with Trevor Mc Donald) diffusée sur le réseau privé Independent Television. Qui a également acheté les droits exclusifs de son histoire, pour un montant qui n’a pas été révélé, mais n’est sûrement pas négligeable.
© The New York Times et J.A./ l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires