Sous l’habit de lumière

Un socialiste à l’Hôtel de Ville ? Des nouveaux bourgeois dans les quartiers populaires ? Une population de plus en plus métissée ? Paris, capitale en constante évolution, ne se dévoile pas du premier coup d’oeil à ses visiteurs.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Ah… Paris ! La tour Eiffel, les Champs-Élysées, l’Arc de triomphe, le Carrousel du Louvre et la butte Montmartre, « so typique »… Paris, ville la plus visitée au monde – 30 millions de touristes viennent chaque année flâner le long de ses quais -, offre inlassablement à l’étranger de passage l’image d’une cité d’art et de culture comme figée dans son histoire. Évidemment, le Parisien, lui, ne la voit pas de cet oeil. C’est que la capitale française a bien changé.
« Paris est si petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour », disait Arletty à son « enfant du paradis », en admirant les lumières de Ménilmontant. Depuis, Paris a grandi : dans les années vingt, Ménilmontant n’était encore qu’un faubourg, populaire et grouillant, où des provinciaux en quête de travail et la tête pleine de rêves échouaient après avoir débarqué à la gare de Lyon ou à la gare de l’Est.
Aujourd’hui à la frontière du 11e et du 20e arrondissement, la colline accueille surtout des Algériens, des Marocains, des Maliens et quelques Chinois qui « débordent » du quartier de Belleville. Elle attire aussi de plus en plus les « bobos » – contraction de bourgeois-bohèmes(*) -, cette nouvelle classe sociale typiquement urbaine, sorte de croisement du hippie des années soixante-dix et du yuppie des années quatre-vingt. Issu de la moyenne bourgeoisie, le bobo entend jouir de la vie et des avantages que lui procurent ses moyens financiers tout en restant fidèle à un certain nombre de valeurs morales. Il aime à flirter avec l’orientalisme ou l’africanisme, s’intéresse autant à la culture qu’à la mode, apprécie les romans de Michel Houellebecq comme le foot, se montre un peu artiste, un peu sérieux et fréquente aussi bien le bistrot du coin que les bonnes tables du 8e arrondissement. Les enfants des bobos se prénomment Léa, Hugo, Océane ou Lucas, ils vont à l’école municipale et, dans les quartiers de l’est de la ville, ont copiné avec Ryan et Yacine, les enfants de la troisième génération d’immigrants.
À l’image des bobos, c’est un « Paris mosaïque », « une ville métisse ouverte sur le monde », forte de ses 2,1 millions d’habitants, qui est entrée dans le IIIe millénaire, comme l’expliquent les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (voir bibliographie). C’est aussi une cité dont la population a beaucoup évolué. Et d’abord géographiquement. Depuis les années cinquante, la capitale a perdu 700 000 habitants, partis se réfugier dans des banlieues tentaculaires ou « dortoirs ». Les quartiers de l’Ouest et du Centre se sont dépeuplés pour laisser la place à des bureaux qui se vident le soir venu, donnant aux rues des allures de no man’s land. À l’inverse, le 19e et le 13e arrondissement, ceux de l’immigration, voient sans arrêt de nouveaux venus s’installer.
Dans le même temps, Paris s’est embourgeoisé. Entre 1954 et 1999, le nombre de ceux qui exercent une profession libérale ou une fonction de cadres supérieurs a augmenté de 154 %. Les ouvriers sont, eux, deux fois moins représentés qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Et pour cause : vivre dans Paris intra-muros est presque devenu un luxe : les loyers n’ont jamais cessé d’augmenter, et la ville se classait en 2002 au dixième rang des métropoles les plus chères au monde, et au premier dans la zone euro. Paris est ainsi aujourd’hui un lieu de travail plus qu’un lieu d’habitation. Beaucoup d’hommes d’affaires ou de politiciens ont choisi de n’y disposer que d’un pied-à-terre, chose très rare il y a vingt ans lorsque les appartements parisiens étaient pratiquement tous des résidences principales. Qu’elles soient positives ou négatives, les Parisiens sont ceux qui ressentent le plus fortement les évolutions générales de la société française. Ainsi, en 2002, le taux de chômage était de 10,5 % à Paris, contre 9 % sur l’ensemble du territoire. Et plus de 50 000 foyers de la capitale ne vivent qu’avec le Revenu minimum d’insertion (RMI).
Illustration – et pas des moindres – de cette constante évolution : en mars 2001, les Parisiens ont pour la première fois choisi un socialiste pour administrer leur ville, rompant ainsi avec un traditionnel ancrage à droite. En moins de deux ans, Bertand Delanoë, 52 ans et accessoirement l’un des rares hommes politiques a n’avoir pas caché son homosexualité, a su se faire aimer de ses administrés (on lui prête déjà un destin présidentiel à l’instar de Jacques Chirac, qui régna presque vingt ans sur la capitale). Dès son arrivée à l’Hôtel de ville, il déclare son intention de développer les actions sociales – comme la création de 4 500 places en crèche à l’horizon 2007 – et fait commencer les travaux pour redessiner la ville, notamment en faisant la « chasse » aux automobilistes : la multiplication des voies réservées aux bus doit faciliter l’usage des transports en commun, et le prix du stationnement résidentiel est divisé par quatre pour inciter les habitants à moins utiliser leur véhicule.
Plus médiatiques, de nombreuses initiatives culturelles ou festives sont lancées. En juillet et août 2002, l’opération « Paris plage » transforme les quais de Seine en plages de sable avec chaises longues et parasols. La nuit du 5 au 6 octobre suivant, est organisée la première « Nuit blanche », qui permet aux Parisiens d’assister à différents spectacles, de visiter des lieux insolites ou encore d’aller boire un verre dans les salons de l’Hôtel de ville. C’est d’ailleurs là que Bertrand Delanoë, venu vérifier que tout se passait bien, se fait poignarder à l’abdomen par un inconnu motivé par sa haine des homosexuels. Cette homophobie révoltera une opinion publique locale toujours prompte à se montrer en avance sur les mentalités.
Les millions de touristes arpentant les pavés peuvent-ils sentir tout ce qui fait de cette ville plus qu’une capitale administrative et historique ? Paris incarne la centralisation monarchique dans toute sa splendeur, le pouvoir économique – le nombre de sièges sociaux d’entreprises est juste un peu inférieur à celui de Tokyo -, et c’est là que se fonde l’unité nationale. C’est à Paris que s’est rassemblé le million de manifestants au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle d’avril-mai 2002, qui a vu arriver Jean-Marie Le Pen en seconde position. N’en déplaise à certains, Paris est bien le centre de la France.

* Les Bobos (traduit de l’américain), David Brooks, Florent Massot, 2000.

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