Que peuvent-ils faire ?

Officiellement opposés à la guerre contre l’Irak, les voisins de Bagdad se préparent néanmoins à y participer.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 8 février, le président égyptien Hosni Moubarak s’est entretenu, à Amman, avec le roi Abdallah II de Jordanie. Le lendemain, il a reçu, à Charm el-Cheikh, en Égypte, son homologue syrien Bachar el-Assad et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. À l’issue de ces minisommets, le raïs a expliqué, dans un entretien à la télévision égyptienne, que les Arabes n’ont pas les moyens d’empêcher une guerre en Irak. Il a aussi demandé « plus de temps aux inspecteurs de l’ONU », se rapprochant ainsi de la position franco-allemande.
Ce pacifisme impuissant affiché par la plupart des dirigeants des pays voisins de l’Irak dénote une volonté sincère d’éviter la guerre. Il ne doit cependant pas masquer l’ampleur de la coopération militaire de ces pays avec les États-Unis. Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint américain à la Défense, avait en tête certains d’entre eux en déclarant, le 29 janvier, que les États-Unis « n’agiront pas seuls » en cas de guerre contre l’Irak et que plusieurs pays de la région les soutiendront « le moment venu ». En ajoutant que « les pays encore hésitants ne veulent pas se déclarer avant qu’il soit évident qu’il va y avoir une action militaire », le responsable américain a laissé entendre que ces pays, comme l’Arabie saoudite et la Jordanie, accepteront, le jour J, d’accorder des facilités à l’US Army sur leur territoire, si ce n’est déjà fait.
Richard Armitage, secrétaire d’État adjoint, n’a pas pris de gants, lui non plus, pour annoncer, le 31 janvier, devant la Commission des affaires étrangères du Sénat, que son pays aura accès aux territoires et espaces aériens de vingt et un pays du Moyen-Orient pour attaquer l’Irak, mettant ainsi dans l’embarras la plupart des dirigeants de cette région. Ces derniers souhaitent, certes, un renforcement du camp de la paix autour de l’axe franco-allemand, mais se gardent de s’y associer ouvertement. Car ils sont convaincus que les Américains n’accepteront pas de surseoir à leur projet de guerre contre l’Irak. Aussi, tout en continuant à plaider, officiellement et sans conviction, pour une poursuite des inspections, ils se préparent tous, en catimini, à participer à la guerre ou à en subir les conséquences.
En réalité, la plupart des pays voisins de l’Irak ont déjà offert leur hospitalité aux troupes américaines, qu’il s’agisse du Koweït, du Qatar, de Bahreïn, des Émirats arabes unis et de la Turquie. D’autres, comme l’Arabie saoudite, Oman, le Yémen, la Jordanie et l’Égypte, se sont déjà engagés à collaborer et n’attendent qu’une nouvelle résolution des Nations unies pour le faire ouvertement. Ils pourraient même, le cas échéant, s’en passer.
En Turquie, le Parlement a déjà donné son feu vert pour la participation d’Ankara à une action militaire contre l’Irak. Environ 20 000 soldats américains et britanniques seront bientôt stationnés dans le sud du pays, en attendant de se lancer à l’assaut de Bagdad. En contrepartie, les États-Unis consentiront une aide financière à la Turquie. Cette aide, estimée à 4 milliards de dollars, devrait compenser les pertes de l’économie turque consécutives à la guerre et aider Ankara à faire face à l’afflux de réfugiés irakiens. Des avions-radars Awacs et des batteries de missiles antimissiles Patriot seront également déployés dans le pays pour prévenir une éventuelle attaque irakienne.
Pour venir en aide à la Jordanie, autre allié traditionnel des États-Unis, dont les pertes, en cas de guerre, pourraient s’élever à 1 milliard de dollars, l’administration américaine a prévu une enveloppe de 459 millions de dollars, déjà inscrite dans le budget de 2004. Washington a aussi livré à Amman des batteries Patriot pour lui permettre de se protéger contre une éventuelle attaque irakienne. Renvoi d’ascenseur : la Jordanie, qui avait annoncé antérieurement qu’elle fermerait sa frontière avec l’Irak pour prévenir un afflux massif de réfugiés en provenance de ce pays, s’est ravisée.
Les dirigeants jordaniens continuent de démentir les informations selon lesquelles ils ont accepté une présence militaire américaine dans leur pays. Ils auront cependant du mal à refuser, le moment venu, des facilités à l’US Army sur leur territoire. « La Jordanie d’abord », un slogan qui fleurit sur des milliers d’affiches à travers le pays, en dit long sur les réelles dispositions d’Amman à l’égard de Bagdad.
L’Arabie saoudite, dont les relations avec Washington se sont beaucoup détériorées depuis les attentats du 11 septembre 2001, maintient, elle aussi, un profil bas. Tout en promettant de procéder aux réformes politiques exigées par Washington et de poursuivre la lutte contre les réseaux terroristes, elle se garde d’afficher trop ostensiblement son opposition à la guerre. Elle s’est même engagée à fournir à la Jordanie, à des prix défiant toute concurrence, les 90 000 barils de pétrole que ce pays reçoit quotidiennement de l’Irak et dont il pourrait être privé dès l’ouverture des hostilités. Ce geste, qui exprime une meilleure disposition du royaume à participer aux efforts de guerre américains, a été apprécié à Washington.
La Syrie et l’Iran semblent donc être les seuls pays de la région à afficher ouvertement leur opposition à la guerre et ne risquent pas de s’y associer. Certes, Damas et Téhéran ne verraient pas d’un mauvais oeil la chute du régime de Saddam, mais ils ont de bonnes raisons d’appréhender l’instauration à Bagdad d’un régime proaméricain, qui affaiblirait la position des Syriens dans d’éventuelles négociations de paix avec Tel-Aviv et accentuerait l’isolement des Iraniens, qui se trouveraient ainsi coincés entre plusieurs alliés de Washington : l’Afghanistan, à l’Est, l’Irak à l’Ouest, la Turquie et les pays du Caucase au Nord, les monarchies du Golfe au Sud.

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