Profession, chef de chantiers

Lutte contre la corruption, lancement des grands projets… Le chef du gouvernement entend être présent sur tous les fronts.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 5 minutes.

A un mois du troisième anniversaire de l’arrivée au pouvoir du président Abdoulaye Wade (il a été élu le 19 mars 2000), la lutte contre la corruption demeure encore un domaine où les attentes sont insatisfaites. En témoigne la place que le sujet a occupée dans le message à la nation du chef de l’État, en date du 31 décembre 2002. Et qui est revenu dans le discours de politique générale de son Premier ministre Idrissa Seck le 3 février dernier. Devant l’Assemblée nationale, ce dernier a réitéré la promesse du président de créer une commission nationale de lutte contre la corruption. Ajoutant qu’une plus grande rigueur sera apportée à l’application du nouveau code des marchés publics, pour que « l’appel d’offres soit de rigueur, et le marché de gré à gré utilisé seulement dans les cas prévus par la loi ».
Ces deux sorties, à deux mois d’intervalle et à mi-législature, indiquent que beaucoup reste à faire dans ce domaine. Les récriminations ne manquent pas. Elles visent aussi bien le gouvernement, la présidence de la République, que la magistrature. Le 7 décembre 2002, l’Ordre des architectes du Sénégal porte plainte contre l’État. Motif : « Le marché de gré à gré est devenu la règle, en violation de tous les engagements de transparence. » C’était au lendemain de la présentation de la maquette du futur aéroport de Diass, à 60 km de Dakar, baptisé Blaise-Diagne, du nom du premier député du Sénégal. Les projets cités, à titre d’exemple, sont nombreux et relèvent tous de la présidence de la République : l’aéroport de Diass, mais aussi la Case des tout-petits (des sortes de maternelles), les Espaces Jeunes, le futur parking de la place de l’Indépendance, la réhabilitation du palais de justice, la promenade des Thiessois, etc.
Les interrogations sont tellement nombreuses autour de ces projets que le député Djibo Kâ a décidé, le 16 janvier, de saisir le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Il lui demande un audit de l’Agence nationale de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix), structure dépendant directement de la présidence de la République et en charge de ces projets.
Pour un coût estimé à 173 milliards de F CFA, la réalisation du projet du nouvel aéroport est confiée au groupe ABB, selon le gouvernement, par le procédé du Build, Operate and Transfer (BOT), c’est-à-dire constuire, exploiter et restituer. Ce qui soulève de nombreuses questions, liées notamment à la garantie que l’État du Sénégal devra apporter, alors que ses propres finances ne le permettent pas et que son principal bailleur, la Banque mondiale, est loin d’être emballé par ce projet. Le BOT soulève d’autant plus d’inquiétudes qu’un autre projet, de nettoiement de la ville de Dakar, celui-là, a été confié depuis 2000, par ce procédé, à une petite société suisse du nom d’Alcyon. Laquelle a bénéficié de très larges exonérations fiscales. Pour l’heure, elle s’occupe de collecte d’ordures, mais l’engagement d’investir 80 milliards de F CFA pour construire une usine de retraitement des déchets se fait toujours attendre.
Que cachent donc ces marchés de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que la transparence dans la gestion, attendue par les populations, n’est pas encore satisfaite. Pas plus que « la soif de justice prévisible » dont a parlé Thierno Demba Sow, le substitut du procureur, à la rentrée solennelle des cours et tribunaux, le 15 janvier dernier, n’est encore étanchée. Les moyens de ce département sont certes faibles (1,06 % du budget national), et le personnel insuffisant : en moyenne, un cabinet d’instruction gère 350 dossiers, et le tribunal régional de Dakar, qui traite le plus grand nombre d’affaires, compte 10 greffiers pour 30 magistrats. Autre difficulté : les magistrats de la Cour de cassation et du Conseil d’État ne se déplacent que lorsqu’ils ont une audience, parce qu’ils n’ont pas de bureau.
Ce n’est pas tout : les accusations de corruption touchent la magistrature. Mohamadou Mansour Sy, coordonnateur de la section sénégalaise de l’Observatoire pour l’indépendance du pouvoir judiciaire en Afrique, l’a dit, à Dakar, le 13 janvier dernier : « Le fléau de la corruption s’est installé chez les magistrats. » Alors que le président Wade, lui, deux semaines auparavant, déclarait : « S’il y a des magistrats corrompus, la magistrature est corrompue. »
De fait, la promesse du pouvoir politique de changer de comportement dans la gestion de l’argent public pâtit aussi d’un faisceau de faits et d’indices qui restent tenaces. Ainsi de la conduite des audits des sociétés publiques : un seul cas est pour le moment passé en justice. Celui de l’ancienne directrice de la Société du domaine industriel de Dakar (Sodida), Khady Diagne, jugée le 6 février, et dont le délibéré sera vidé le 6 mars prochain. Le Premier ministre Idrissa Seck a promis que tous les audits seront menés à terme. Tout comme il s’est engagé à châtier les corrompus et à accompagner les braves gens. Mais il va devoir faire ses preuves sur le chapitre de l’impartialité de l’État et de la liberté accordée à la justice.
Certains nouveaux hommes du pouvoir, subitement riches, mènent un train de vie sans commune mesure avec leur traitement officiel, alors qu’il y a trois ans seulement ils étaient des « Gorgoorlu », personnage pauvre d’une bande dessinée que le Premier ministre a pris en exemple lors de son discours. Le maire de Dakar, président de l’Assemblée nationale, fait ainsi l’objet de la plainte d’un jardinier qui l’accuse d’expropriation à des fins personnelles par des moyens illégaux d’un terrain situé sur la Corniche.
Idrissa Seck lui-même n’échappe pas aux accusations. Au lendemain de son discours de politique générale, il s’est vu rappeler une affaire qui l’a opposé à la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel). À l’époque dans l’opposition, Seck avait créé deux noms de domaines Internet : sonatel.com et sonatel.net. Et, lorsque la société de téléphonie voulut utiliser ces deux noms, qui lui reviennent de droit, comme le dit la jurisprudence de l’Organisation internationale de propriété intellectuelle (OIP), Seck lui réclama des droits. Un refus lui fut opposé. Mais dès son arrivée au pouvoir, le bras droit de Wade dans l’État et au Parti démocratique sénégalais fut indemnisé. À hauteur d’un montant que ni la Sonatel ni le nouveau premier ministre ne veulent dévoiler.
Ainsi va la transparence…

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