Pas d’amélioration en vue

Dans une conjoncture économique morose, le gouvernement doit faire face à trois embûches : la hausse du déficit budgétaire, le gouffre financier de la protection sociale et la réforme du système des retraites.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 6 minutes.

Comme il est loin le temps où les colloques et les éditorialistes se préoccupaient du prochain retour du plein emploi en France ! Il y a deux ans encore, les experts du marché du travail s’inquiétaient du fameux « papy boom » qui, à partir de 2005, enverra de gros bataillons à la retraite, ouvrant par dizaines de milliers des postes pour les plus jeunes, dans le privé comme dans le public. Autant en emporte le vent mauvais qui souffle sur l’économie mondiale : on ne compte plus désormais les plans sociaux, les fermetures d’établissements et les dépôts de bilan. Hier, Alcatel, Hewlett-Parckard, Atofina, Aventis, Gemplus et la multitude des « jeunes pousses » qui s’étaient multipliées dans le secteur des nouvelles technologies annonçaient des suppressions d’emplois par centaines. Aujourd’hui, c’est au tour d’Arcelor, Metaleurop, Pechiney, Daewoo-Orion, Giat-Industries, Wanadoo ou Noos de pratiquer des coupes plus ou moins brutales dans leurs effectifs, au point que le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a éprouvé le besoin de dire, le 27 janvier, son « indignation face à des entreprises qui méprisent les territoires » où elles sont implantées.
Mais le chef du gouvernement n’a pas de prise sur un mouvement de fond qui se traduit par une nouvelle poussée du chômage. Après la création de 1,7 million d’emplois entre 1997 et 2001, les années Jospin se sont achevées par une remontée à 9 % du pourcentage des sans-emploi en 2002. L’année s’est conclue sur une progression de 105 000 du nombre des chômeurs. Le marché du travail français continue de se traîner aux dernières places européennes en compagnie de ceux de l’Espagne et de la Finlande, alors que la Grande-Bretagne affiche une santé insolente avec un chômage inférieur à 6 %.
Et comment pourrait-il en être autrement avec une conjoncture qui n’est certes pas aussi catastrophique que celle de l’Allemagne en récession, mais qui mérite le qualificatif de médiocre ? La croissance, que le gouvernement annonçait à 1,4 %, n’a pas dépassé 1 % en 2002. La consommation n’a progressé que de 1 %, quand elle caracolait depuis des années autour de 4 %. Le taux d’autofinancement des entreprises, qui atteignait 100 % en 1999, est retombé à 60 %. Les patrons parlent de réduire de 7 % leurs investissements en 2003. L’indice boursier CAC 40 a reculé de 33,75 % l’année dernière, soit la plus forte perte de son histoire.
Tout n’est pas sinistre dans ce panorama. Le taux d’épargne a atteint 17 %, ce qui est mauvais pour la consommation, mais procure à l’économie les liquidités dont elle a besoin. De même, le solde des échanges de la balance commerciale continue de s’améliorer : + 18,9 milliards d’euros en 2000, + 25,1 milliards en 2001 et + 30 milliards en 2002. La compétitivité des produits français ne semble pas pénalisée par la remontée de l’euro par rapport au dollar. D’autant que les prix demeurent relativement sages, avec un taux d’inflation qui évolue à un rythme un peu supérieur à 2 % l’an.
Reste que Jacques Chirac et son gouvernement peuvent se faire du souci tant sont inextricables trois dossiers qui limitent la marge de manoeuvre de la France. La première de ces embûches est le déficit budgétaire de l’État, qui frôle les 3 % du Produit intérieur brut (PIB), limite supérieure à ne pas franchir selon les critères du traité de Maastricht. Malheureusement, au cours de sa campagne électorale, Jacques Chirac avait promis de baisser l’impôt sur le revenu dès 2002 et de 30 % durant les cinq ans de son mandat. Résultat : le déficit budgétaire, au lieu de se réduire, a eu tendance à s’accroître à 45,8 milliards d’euros ; la Commission de Bruxelles, qui n’est pas satisfaite du laxisme français, sermonne d’autant plus Paris que le gouvernement Raffarin dit haut et fort que la réduction des déficits n’est pas sa priorité, à la différence des deux autres mauvais élèves de la classe, l’Allemagne et le Portugal, qui jurent de faire mieux, taillent dans les dépenses et augmentent leurs impôts. On comprend la nécessité dans laquelle se trouvent MM. Chirac et Raffarin de doper une économie languissante et de contenir le chômage, mais la France risque une amende si son déficit dérapait et elle se prive à terme des moyens d’agir si la situation s’aggravait. D’ailleurs, le ministre de l’Économie et des Finances a été contraint d’annuler 5 milliards d’euros de dépenses votées… On verra très vite qui, de la France ou de l’Allemagne, a choisi la bonne thérapeutique.
Le deuxième souci tient à la mauvaise santé financière de la protection sociale. Prenons l’assurance maladie : le déficit de 2002 s’élève à 6 milliards d’euros et pourrait se monter à 8 milliards en 2003. L’assurance chômage n’est pas dans un meilleur état en raison de la dégradation de la situation de l’emploi : elle est retombée dans le rouge avec un déficit de 3,7 milliards d’euros qui risque fort d’atteindre 5,1 milliards en 2003. Pour sauver le système de santé, le gouvernement tente pour la énième fois de maîtriser le goût des Français pour la médecine (30 000 lits d’hôpitaux sont considérés comme excédentaires et un quart des urgences n’en sont pas), en refusant de rembourser quelque 835 médicaments jugés peu ou pas efficaces et en taxant encore un peu plus le tabac – le produit généré devant être alloué à l’assurance maladie. Le patronat et les syndicats se sont entendus pour augmenter les cotisations chômage à partir du 1er janvier. Mais, dans les deux cas, il ne s’agit que d’un sursis et certains redoutent la naissance d’une protection sociale à deux vitesses, ceux qui en ont les moyens pouvant se payer des assurances complémentaires.
Quant au troisième problème, la réforme du système de retraites, l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard avait dit, en son temps, qu’il pouvait faire « sauter plusieurs gouvernements » tant il était politiquement sensible. La situation est simple : le système dit « de retraite par répartition » repose sur le principe selon lequel les actifs paient les pensions des retraités. Cette solidarité entre les générations ne va pas pouvoir résister au bouleversement démographique en cours : le ralentissement des naissances, par rapport à la période des Trente Glorieuses, ne compensera pas les 750 000 départs annuels annoncés à partir de 2006. À ce rythme, le nombre de cotisants pour un retraité tombera de 2,2 aujourd’hui à 1 en 2040, et les Cassandres parlent d’un déficit apocalyptique de 120 milliards d’euros.
Les solutions sont connues. Elles sont au nombre de trois : soit il faut reculer l’âge de la retraite, actuellement fixé à 60 ans, comme le font les autres pays du monde développé, soit il faut augmenter les cotisations, soit il faut diminuer les pensions. On sait que la France doit d’abord augmenter son taux d’emploi qui est le plus bas d’Europe : 32 % des 55-64 ans y ont un travail, contre 41 % en Europe et 71 % en Suède. On sait aussi que les avantages des salariés du secteur public (durée de cotisation plus courte et retraites plus avantageuses) devront se rapprocher de ceux de leurs camarades du secteur privé. Mais Jacques Chirac a peur de répéter les erreurs commises en 1995, lorsque son Premier ministre Alain Juppé avait provoqué une grève des services publics en projetant cette harmonisation des régimes de retraite « spéciaux ». Comme ses prédécesseurs, le gouvernement réformera donc le plus tard et le moins possible… au risque de laisser à ses successeurs une situation plus difficilement maîtrisable.
La France peut-elle compter sur une reprise qui l’aiderait à se tirer de ce mauvais pas ? Même pas. Les prévisionnistes ne se font aucune illusion pour 2003 : la croissance demeurera molle en raison d’une consommation toujours languissante – malgré les baisses d’impôts – et d’un investissement en recul. Le spectre d’une guerre en Irak, la flambée des cours du pétrole, la rechute boursière, les menaces qui pèsent sur le dollar et l’impécuniosité de l’État n’annoncent pas d’amélioration. Tout au plus peut-on espérer la fin du déstockage, qui garantirait une croissance comprise entre 1 % et 1,5 %, soit à peine plus qu’en 2002. Pas de quoi pavoiser, ni rattraper le retard pris depuis dix ans sur une Amérique du Nord qui caracole en tête de l’économie mondiale, ni réduire le chômage qui ne baisse qu’à partir d’une croissance de 2,4 %.

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