Les plaisirs du vin dans le potager romanesque
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Les romanciers anglais ont la satire dans le sang. Que peut-on faire d’autre quand le ciel est bas, la pluie inlassable, le conformisme aussi épais et lourd que le pudding, quand les bonnes manières vous enferment le tempérament dans une cage d’acier, quand le puritanisme surveille vos débordements intimes ? S’enivrer de mixtures alcoolisées dans un pub ou à son club ? Écrire des romans policiers comme Agatha Christie ? S’embarquer pour les colonies comme Kipling ? Ou alors prendre pour cible cette société si rigide sous son humour – de Gaulle, qui s’y connaissait, parlait de « la lourde pâte anglaise » – et qui ne déteste pas, en bonne masochiste, qu’on lui décoche des flèches ?
Thackeray s’y est employé magnifiquement dans La Foire aux vanités, où il a assaisonné de vinaigre et de divers condiments le potage des moeurs hypocrites en y introduisant des arrivistes. Ses successeurs – Dickens ou l’impitoyable Trollope, puis Oscar Wilde ou Bernard Shaw – l’ont suivi dans cette voie. C’est devenu un genre traditionnel qui se perpétue aujourd’hui, après Graham Greene, avec Barnes, avec David Lodge, l’irrésistible auteur d’Un tout petit monde, avec Jonathan Coe, car la littérature anglaise, contrairement à la nôtre, si elle s’accorde aussi des expérimentations à la Virginia Woolf, n’éprouve pas le besoin de casser le moule traditionnel : elle s’y loge confortablement et n’oublie pas qu’en Angleterre lire est avant tout une distraction, alors qu’en France, c’est un jeu dangereux. On y joue son destin pour quelques lecteurs enthousiastes devant les acrobaties et la « modernité » du novateur.
En Angleterre, on a tendance à écrire pour des lecteurs, en France, pour des universitaires qui préparent des colloques. Est-ce la raison pour laquelle on a rompu ici avec le roman satirique ? Le Aragon des Beaux Quartiers, le Dutourd d’Au bon beurre, le Druon des Grandes Familles, le Marcel Aymé de La Jument verte, le Bazin de Vipère au poing n’ont pas de successeurs. Quant à d’autres romanciers qui ont pu brosser des fresques sociales – Nourissier, Michel Morht, Déon, Marceau -, leur oeuvre ressortit plutôt au Bildungsroman, le roman de formation qui, sur le modèle stendhalien revu par Drieu la Rochelle, n’évoque la société et ses tares que pour nous aider à comprendre le moi tourmenté et désenchanté d’un héros qui est le double de l’écrivain.
Cette disparition de la société dans le roman français – du moins dans une vision large car Houellebecq, Echenoz, Besson, etc., se saisissent d’un aspect particulier du paysage social – est peut-être un des traits de la littérature d’aujourd’hui. Il existe encore des descendants de Benjamin Constant, mais Balzac n’a pas laissé de postérité. Les romanciers français ont passé la main ; les Anglais continuent à s’ébrouer dans le sarcasme, l’ironie, et à dénoncer allègrement les moeurs de leurs contemporains.
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