Le paradoxe argentin

À l’affiche L’Ours rouge, d’Adrêan Caetano et Tan de repente, de Diego Lerman

Publié le 18 février 2003 Lecture : 2 minutes.

« À part le cinéma, tout le reste va mal », constatait récemment le réalisateur Diego Lerman lors de la sortie à Paris de son étonnant film Tan de repente (« Tout à coup »). Tous les cinéphiles ont relevé le paradoxe : alors que l’Argentine s’enfonce dans une crise économique et sociale dramatique, son cinéma connaît un renouveau spectaculaire.
En 2002, La Cienaga, premier film de Lucrecia Martel, tragi-comédie familiale sur fond de crise de nerfs permanente, avait fait sensation au festival de Berlin, avant de conquérir un large public. Aujourd’hui, c’est au tour de plusieurs longs-métrages de grande qualité et de genres très différents d’apporter de bonnes surprises en provenance de Buenos Aires. Avant la sortie d’El Bonaerense, de Pablo Trapero, qui évoque de façon très réaliste les pratiques peu conventionnelles d’un commissariat de police glauque des faubourgs de la capitale argentine, citons trois films à l’affiche dans les salles parisiennes.
Le plus spectaculaire, et le plus original, est sans doute Tan de repente. Cette histoire d’enlèvement d’une fille triste et quasi obèse par deux adolescentes déjantées navigue entre road movie « social » et portrait intimiste, où les personnages sont superbement croqués. Ce film coloré, quoique tourné en noir et blanc, enchante par l’ambiance étrange et envoûtante qu’il crée, mais aussi par son style, proche de celui du Jim Jarmush de Stranger than Paradise.
L’Ours rouge, d’Adrían Caetano, a toutes les apparences et toutes les qualités d’un polar. Il raconte le retour difficile à la vie « civile » d’un homme emprisonné pendant sept ans pour un hold-up sanglant. Solitaire et désargenté, il va participer de nouveau à un mauvais coup pour aider, sinon reconquérir, sa femme et sa fille. L’histoire, bien sûr, tournera mal. L’occasion, entre quelques scènes d’action, de peindre le tableau d’une Argentine sinistrée, propice aux actes désespérés.
Avec Los Porfiados (« Les Acharnés »), de Mariano Torres Manzur, la violence se situe au niveau des fantasmes. Ce petit film désargenté, amusante satire très théâtrale, nous conte comment une poignée de marginaux pathétiques, regroupés autour d’un nostalgique de la révolution, s’entraînent dans une banlieue minable pour former un hypothétique commando terroriste censé renverser l’ordre établi.
Alors, comment expliquer ce feu d’artifice cinématographique dans un pays à la dérive ? La productrice de la plupart de ces films de jeunes cinéastes, Lita Stantic, confie que « les enfants de la petite et moyenne bourgeoisie savent qu’il ne servira à rien de devenir ingénieur, médecin ou avocat puisque, de toute façon, ils seront pauvres ». C’est pourquoi « ils font ce dont ils ont envie : du cinéma, du théâtre ». On remarquera surtout que les films tournés ces dernières années par la nouvelle vague argentine sont très ancrés dans la réalité quotidienne. Un enracinement qui donne une épaisseur et une authenticité incontestables à ces oeuvres.

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