Leçons de métissage à Yaoundé

De l’artisanat à la gastronomie et à l’habillement, toutes les coutumes du Cameroun se croisent et se mélangent dans la capitale.

Publié le 18 février 2003 Lecture : 5 minutes.

Vendredi 24 janvier 2003, 13 heures. Du palais présidentiel de Yaoundé au carrefour qui, quelques centaines de mètres plus bas, conduit aux quatre coins de la capitale camerounaise, pas une voiture, pas un passant. Tous les 20 mètres, de part et d’autre de l’avenue, est posté un membre de la garde présidentielle : Paul Biya rentre de Libreville, où il a assisté au sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). « Il ne fait que passer, précise un officiel. Bonjour-au revoir à sa famille et, tout de suite, il repart à Paris pour la clôture des négociations sur la Côte d’Ivoire. »
La circulation aux abords de la présidence sera donc interdite plusieurs heures durant, et l’aéroport fermé à la circulation aérienne le temps que l’avion de la Camair dépose puis reprenne son prestigieux passager. C’est bien toutefois le dernier vestige d’une présence policière ô combien pesante au début des années quatre-vingt. À l’époque, les journalistes étrangers ne pouvaient pas faire un pas sans être suivis d’hommes de la sécurité. Jusque dans les restaurants. Leurs conversations téléphoniques étaient probablement écoutées. Les gens cependant parlaient, beaucoup même, tels ces opposants anglophones rencontrés « par hasard ». Et puis il y avait les luttes de clans, pesantes, à l’intérieur de chaque camp. Tous essayaient de vous mettre dans leur poche, rivalisaient d’amabilités. Faisiez-vous mine d’acquiescer, vous étiez catalogué membre du clan. Et ennemi par le clan adverse…
Le Cameroun semblait s’abîmer dans la zizanie, personne ne donnait cher de la peau de Paul Biya. On parlait déjà de mutineries au sein d’une armée largement dominée par les gens du Nord. C’est qu’à cette époque, secret de polichinelle, la paix civile reposait sur un savant dosage d’emplois réservés : l’administration et l’armée aux Nordistes, les affaires aux Bamilékés et, après l’avènement de Biya, l’entrée discrète de gens du Centre-Sud un peu dans tous les secteurs. C’est Ahmadou Ahidjo qui avait voulu ce montage dont ne semblaient plus exclus que les anglophones et les gens du Littoral. Un Ahmadou Ahidjo qui n’avait quitté le pouvoir que contraint et forcé et qui pensait avoir mis en place, avec son ex-Premier ministre, une sorte d’homme de paille à lui tout dévoué.
Que de chemin parcouru ! L’homme est toujours là, et bien là. Et il n’a rien de paille : maître incontesté du jeu politique, il peut même se payer le luxe de laisser ses lieutenants « regretter, pour le Cameroun, que l’opposition n’ait pas su se renouveler ». Ces jeunes loups disent cela avec un sourire carnassier, tandis que, comme vivant sur une autre planète, les journaux locaux déversent un torrent d’injures sur le régime. Biya, dit-on, s’y est accoutumé, et ses proches ne cherchent plus à faire du zèle en emprisonnant les rédacteurs en chef. « Certains en faisaient d’ailleurs profession, confesse l’un de ses conseillers. Cela nous faisait plus de mal que de bien… »
Les emplois réservés, eux, ont vécu. L’administration et l’armée sont ouvertes à tous, et tout le monde fait des affaires. On retrouve jusqu’à des Fangs boutiquiers dans le quartier musulman. Les recrutements ne sont plus ethniques, comme en témoigne la réussite des Lions indomptables : chacun a conscience que les succès de l’équipe nationale de football tiennent à la compétence de ses joueurs et de ses entraîneurs. Le phénomène ne s’arrête d’ailleurs pas aux footballeurs : les handballeurs et les haltérophiles se portent bien eux aussi, tous ces champions incitant un nombre croissant de jeunes Camerounais à courir le long des routes, comme en Éthiopie ou au Kenya.
Le Cameroun serait-il donc une anti-Côte d’Ivoire ? À Yaoundé, très certainement : chacun s’habille non plus en fonction de ses origines, mais de la mode ou du confort. Des Sudistes arborent de magnifiques boubous, tandis que des Nordistes portent fièrement le costume des « Men in Black » si cher aux forestiers. Les jeunes filles, d’où qu’elles viennent, ont adopté la coiffure nordiste, bien plus commode que les lourdes tresses béties, et adaptent la longueur de leur jupe à la seule chaleur ambiante. Il n’y a pas jusqu’à la gastronomie qui n’ait subi sa cure de mixité : imaginez que les Camerounais ont fait un plat national du cabri, viande éminemment nordiste, cuit à la mode forestière, en cocotte avec une sauce…
Il est vrai que, jadis déjà, le « poulet-bicyclette » et le poisson de rivière, tous deux braisés par des femmes dans leur maison (cela s’appelait des « chantiers », similaires aux « maquis » de Côte d’Ivoire), avaient unifié les coutumes alimentaires camerounaises. Mais, aujourd’hui, la carte de ces restaurants informels, agrandis et sortis du domicile trop étroit de leur propriétaire, s’est considérablement allongée et enrichie de plats en sauce. Le poulet-bicyclette est devenu le « poulet DG », plus travaillé. Des légumes méditerranéens sont venus s’ajouter aux traditionnels manioc et bananes plantains, le riz et les frites accompagnant l’ensemble quoi qu’il arrive. N’étant plus crispés sur leurs valeurs ancestrales, les Camerounais ont créé une cuisine nationale aux influences multiples…
Pour ce qui est de l’artisanat d’art, le grand nombre d’ethnies présentes dans le pays lui conférait une exceptionnelle richesse. Mais on a vu, à l’ouest du continent, à quoi pouvait aboutir la stylisation croissante de thèmes ancestraux qui ne veulent plus rien dire : des gadgets pour touristes… Les plus hardis des jeunes créateurs camerounais font l’inverse. Conservant l’antique technique, donc de superbes patines à leurs objets, ils représentent des thèmes résolument modernes : le souci de l’homme d’affaires, le fardeau des maternités répétées… Cet art-là tend à l’universel, tout comme les oeuvres des meilleurs écrivains du pays, à l’instar de celles de Calixthe Beyala. La télévision n’est pas en reste : les téléfilms tournés à Douala pour la chaîne publique pourraient passer n’importe où en Afrique. Ils s’attaquent aux travers actuels de l’homme africain tels son machisme, sa naïveté en affaires, la place que l’argent a prise dans sa vie. Il y a vingt ans, seuls quelques chansonniers osaient caricaturer ainsi leurs compatriotes…
Il fallait indiscutablement dépasser l’ethnicisme pour en arriver là. En témoigne aussi la vogue des mariages mixtes, commencée voici une vingtaine d’années (les premiers enfants de ces unions arrivent à l’âge adulte), plus que jamais d’actualité. Le problème n’est plus à présent la mixité, mais son coût. Chacun imagine que l’autre est plus riche que lui. Les prétentions sont souvent exorbitantes en matière de dots. Le gouvernement a dû s’en mêler, via son ministre de la Santé Urbain Olanguena Awono, qui vient de prôner la dot zéro.
La question religieuse, si prégnante au Nigeria voisin et souvent pesante dans les mariages entre Européens et Maghrébins, laisse ici de marbre. À chacun ses dévotions ! « La grande mosquée de Yaoundé a été édifiée avenue Jean-Paul II ! » notent avec humour les habitants de la capitale. Qui pratiquent en fait la tolérance sans même s’en rendre compte…

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